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Récit de
force. Fevrier 2000
Par Ken Dal

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Chapitre1
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Alors que l'astre naissant
projetait déjà ses rayons de lumière par dessus les montagnes
de l'Est, la Phalange d'Ahrin se mit en route. Elle était constituée
des vingt meilleurs champions de la capitale et de ses environs,
excepté Ahrin lui-même, passé maître au combat depuis maintes
années. Il avait choisi les plus loyaux et les plus vaillants
guerriers. Seul en tête, il menait sa compagnie par deux rangs
côte à côte. Les étendards bleu et or flottaient calmement sur
un vent léger, qui agitait les cheveux dépassant sous les heaumes
argentés. Et sur toutes les épaulières, on pouvait voir l'insigne
d'Ahrin, plus éclatant encore que le métal. Mais tous avaient
le cœur lourd cependant d'aller livrer une bataille incertaine
contre l'armée des morts. La compagnie s'étant éloignée d'une
lieue de Middleshire, Ahrin s'apprêta à donner l'ordre de forcer
l'allure, mais un de ses hommes aperçut en arrière un petit groupe
de cavaliers qui galopait dans leur direction. Lorsqu'ils se furent
approchés, Ahrin sentit son cœur rempli d'allégresse, car il avait
reconnu le Grand Clerc Loanrek, accompagné de son jeune disciple
Rion, et de trois de ses serviteurs.
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Loanrek était l'un des
hommes les plus puissants de Xilbor. C'était lui qui relayait
les énergies mystiques dans tout le royaume, à destination des
lieux reculés. Son seul égal en magie dans l'Elemaan était Théodorus,
le Gardien du Sanctuaire de Tanihis. Mais Loanrek résidait à la
capitale, et il était très populaire et son apparition suffisait
à galvaniser tous les esprits. Il était grand, et son visage paraissait
ne pas subir les effets du temps, si bien qu'on ne pouvait estimer
son âge. Ses yeux étaient sombres et profonds, et il arborait
en permanence un léger sourire d'assurance, car il restait toujours
étrangement calme.
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Il était vêtu de la longue
robe bleue des clercs, qui tombait en longs plis sur l'échine
de son cheval.
"Seigneur Loanrek !" s'écria Ahrin, "Que me vaut l'honneur de
votre personne ?"
- J'ai convaincu Layboor qu'on pouvait se passer de moi à la capitale
pour quelques temps, et je vous accompagne, car c'est folie d'espérer
vaincre les généraux de Leetaax sans hommes de magie."
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Ce nom siffla dans les
crânes des cavaliers.
"De grâce !"pria Ahrin, "Ne le nommez jamais explicitement dans
nos terres !" - Nous sommes en guerre" précisa Loanrek, "et de
ce fait nous ne pouvons vaincre sans regarder notre ennemi en
face, si noir soit-il."
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Ahrin baissa la tête. Le
Nécromancien était craint par tous les vassaux des Manfred.
- Allons chevalier, nous avons une rude tâche à accomplir, et
nous n'avons déjà perdu que trop de temps."
Et sur ces paroles, la compagnie grossie repartit au galop en
direction du Nord-Est, dans la lumière maintenant éclatante du
nouveau jour.
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Durant deux jours, ils
chevauchèrent ainsi. Ils avaient dressé leur campement à la nuit
tombée et étaient repartis bien avant le lever du jour. Aucun
obstacle ne s'était posé sur leur chemin, mais les plaines intérieures
de Xilbor étaient relativement sûres. Loanrek avait néanmoins
décelé de ses yeux attentifs la présence d'oiseaux rapaces tournoyant
dans le vaste ciel qui dominait les grandes étendues vertes, mais
il ne le signala qu'à Ahrin. Le chevalier, quant à lui, restait
muet pendant la journée, ne prononçant que des ordres où des avertissements.
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Le soir du deuxième jour
cependant, ils atteignirent l'orée de la redoutée forêt de Devongh.
Les chevaux et les hommes étaient exténués, car il relevait de
l'exploit de couvrir la distance qui sépare Middleshire de la
forêt, même en disposant d'excellents chevaux provenant des écuries
seigneuriales. Lorsqu'ils eurent dressé le camp, la Lune luisait
déjà bien haut dans le ciel noir. Le disciple Rion, qui observait
les étoiles, demanda avec un sourire pourquoi certaines brillaient
plus que d'autres, ce qui était le sujet de nombreuses légendes.
Alors Ahrin, qui croyait profondément à la sienne, expliqua que
chaque étoile incarnait l'esprit d'un guerrier ayant vécu loyal
et bon, et que certains avaient fait preuve d'une valeur particulière,
alors leurs astres scintillaient d'une lumière plus forte dans
le firmament. Ils parlèrent encore quelques instants, puis le
sommeil les emporta jusqu'au matin.
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Chapitre deux
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Lorsque le froid soudain
qui précède l'aube se fit sentir, la Phalange d'Ahrin s'aventura
dans la forêt. Mais les anciens sentiers étaient en mauvais état,
et ils devaient souvent ralentir, malgré leur précipitation.
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Alors qu'ils pénétraient
une petite clairière d'herbes hautes, une flèche surgit de nulle
part se ficha dans le paquetage d'un cavalier. La compagnie, prise
de court, galopa vers le taillis le plus proche, afin de prendre
refuge derrière la feuillure des arbustes. A présent, les flèches
sifflaient autour d'eux, et ils étaient cernés par les tireurs
embusqués.
Rion se concentra : "Ils devraient être une cinquantaine." dit-il.
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Alors Loanrek leva la main
et instantanément une aura magique protectrice les entoura, et
elle déviait la plupart des projectiles.
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Ahrin désigna rapidement
cinq groupes de cavaliers, et ils chargèrent dans toutes les directions.
De leur côté, les serviteurs du Grand Clerc, des moines guerriers,
projetaient des rafales d'énergie dans les bosquets d'où provenaient
les flèches. La clairière était illuminée, les champions fonçaient
aveuglément, tels des lances de lumière, emportés par leur courage.
La première ligne de brigands fut exterminée en un souffle. Mais
brusquement surgit des fourrés une vague énorme de chevaucheurs
de loup. Ahrin tira son épée, et décapita un gobelin à sa portée,
puis, d'un rapide coup tournoyant, en faucha un second, et fendit
le crâne d'un troisième ; trois autres suivirent. Et leurs montures
furent piétinées par les chevaux en furie. Les autres cavaliers
balayèrent de leurs lances une quarantaine de bandits. De leur
côté, Loanrek et Rion, qui maniaient aussi l'épée, abattirent
une quinzaine de gobelins et de voleurs, avec leurs loups. Devant
le massacre, le reste des brigands s'enfuirent à grands cris dans
les bois. Malheureusement, l'un d'eux avait été assez rapide pour
asséner un coup à l'un des moines, et celui-ci succomba sous les
yeux de son maître. Ahrin, revenant vers eux, lança au disciple,
sur un ton de profond reproche : "Maître Rion, je crains que tu
ne doives encore aiguiser tes pouvoirs. Ils étaient au moins plus
de trois cents, à n'en pas douter."
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En effet, plus d'une centaine
gisaient là, abreuvant la terre d'un sang noir. Des bandits de
toutes sortes : des voleurs, des chevaucheurs de loup, des lanceurs
de haches, des archers rebelles et des hyènes des marais, en un
mot toute la racaille de Xilbor.
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Ahrin était inquiet, les
brigands ordinaires de la forêt de Devongh n'auraient jamais osé
attaquer un tel groupe d'hommes en armes et de clercs, qui portaient
l'insigne d'un haut chevalier seigneurial. Bien qu'inférieurs,
ils les avaient assailli sans scrupules, avec une telle haine
dans les regards qu'on y lisait leur but, qui n'était guère de
les voler, mais de les occire jusqu'au dernier.
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- Ils ont été commandés."
déclara-t-il soudain. "Le Nécromancien a eu vent de notre expédition."
- Les Rocs." dit calmement Loanrek, qui gardait son habituel sourire.
"Les rapaces qui survolaient la plaine, ce sont les Rocs du Royaume
Désolé."
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Alors le clerc précisa
sa pensée. Il raconta comment les Maîtres de Guerre, des barbares
sanguinaires du Royaume Désolé, aujourd'hui passés au service
de Leetaax, avaient au fil des siècles domestiqué des oiseaux
géants à des fins militaires.
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Tous l'écoutaient, car
seuls les mythes anciens mentionnaient l'existence de ces aigles
légendaires.
Ils décidèrent donc de quitter le sentier pour le reste de la
traversée pour profiter du couvert des arbres.
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Après avoir offert une
sépulture décente au moine tombé au combat, ils repartirent. Ils
chevauchèrent toute la journée sur leurs gardes, mais la fatigue
et l'obscurité incertaine qui tombait rapidement les contraignirent
à s'arrêter pour la nuit. Ahrin décida de doubler la garde ce
soir-là, et il pris le premier tour avec neuf de ses hommes. On
ne percevait pourtant que le timide bruissement du vent dans les
feuilles, et les craquements irréguliers des brindilles que le
feu consumait, mais il croyait entendre des murmures de voix,
provenant des profondeurs mystérieuses de la vieille forêt. Il
ne se passa rien cette nuit-là. Mais Loanrek, qui n'avait pas
dormi, déclara que la compagnie devait éviter de passer une autre
nuit sous les arbres, il fallait atteindre la lisière avant que
le coucher du soleil. Alors, malgré la fatigue qui les accablaient
tous, ils reprirent la route une nouvelle fois.
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La journée se passa sans
incident mais Ahrin eu la sensation qu'il avait éprouvée la nuit
dernière, légèrement accentuée cependant. Excepté Loanrek, tous
les cavaliers étaient nerveux, et la fatigue semblait peser plus
que jamais.
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Lorsque la dernière lueur
orangée se fut éteinte dans le ciel, Ahrin donna l'ordre de s'arrêter
pour la nuit. Ils n'avaient pas encore atteint la lisière septentrionale
de la forêt.
Tous les hommes qui n'étaient pas de garde succombèrent immédiatement
au sommeil, et ceux qui en étaient avaient grand peine à garder
les yeux ouverts.
Ahrin était de ceux-là, et il pensait aux difficultés qu'ils auraient
à rejoindre Tanihis par le Laanden, quand ils seraient à Dyrale,
qui n'était qu'à une douzaine de lieues de la l'orée de la forêt.
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Soudain il prit conscience
que les voix qu'il avait perçu s'étaient amplifiées considérablement.
En effet, presque inaudible la veille, le son était maintenant
toujours faible, mais clair et mélodieux, comme un chant. Brusquement,
une ombre passa parmi les arbres. Ahrin se leva, et tous firent
de même, seul Loanrek restait assis, le regard dans le vide, souriant.
Lentement, il se mit à prononcer des mots étranges, appartenant
à quelque langue ancienne datant des premiers âges. Tous les chevaliers
l'écoutait, sa voix était grave et solennelle, et elle se mêlait
aux chants qui se rapprochaient. A présent, plusieurs ombres passaient
dans les arbres régulièrement, puis s'évanouissaient dans les
ténèbres.
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Puis Loanrek se tut, et
se leva, et c'est alors qu'une des ombres s'arrêta et s'avança
vers lui. Quand la lueur du feu l'eut découverte, les membres
de la compagnie furent subjugués. Il était apparut un grand et
bel Elfe, habillé d'une longue cotte de mailles d'or et d'argent,
la couleur même de ses cheveux. Il était armé d'un grand arc dont
le bois semblait encore bien vivant.
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Alors, comme personne n'osait
prononcer un mot, l'Elfe des bois déclara dans la langue de Xilbor
: " Les compagnons du sage Loanrek sont les bienvenus à Devongh.
Mon seigneur Thorgrim vous prie de bien vouloir partager sa demeure
pour le reste de la nuit."
Ahrin ne put articuler une syllabe, alors Loanrek acquiesça en
langue elfique, et ils remontèrent à cheval pour suivre le grand
Elfe et sa troupe.
Ahrin chevauchait à ses côtés. Entre deux chansons, l'Elfe, de
sa voix douce et claire, l'informait sur la situation : "Nous
vous suivons depuis la nuit dernière, la forêt n'est pas sûre
pour les étrangers depuis quelques temps."
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- Nous avons eu à repousser
une attaque de brigands hier matin." déclara Ahrin. "Nous avons
perdu un des nôtres."
- Ils ne sont pas de la région. Ils viennent du Nord, mais ils
s'introduisent dans nos territoires par la lisière occidentale.
Et nous ne sommes plus assez nombreux pour les contenir. Mes frères
patrouillant à l'Ouest ont signalé avant-hier une compagnie de
sept cents voleurs. Mais quel est votre destination ?"
- Nous devons rejoindre Dyrale, au Nord, au plus vite." dit Ahrin.
"Nous partirons à l'aurore."
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La Lune avait déjà disparu
du firmament lorsqu'ils atteignirent la ville elfique de Devongh,
qui dominait la forêt du même nom, et dont seuls les grands hommes
de savoir d'Elemaan connaissaient l'existence. Elle était ceinte
d'une haute muraille de pierre surmontée d'armatures en bois,
d'où tiraient jadis les archers, qui surplombaient un profond
fossé hérissé de pieux acérés. De tout évidence, la ville avait
eu autrefois à soutenir de longs sièges et de violents assauts.
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Elle était gouvernée par
Thorgrim, un homme mystérieux doté de la sagesse des Elfes et
du savoir des Nains. Cette nuit-là, Ahrin et Loanrek la passèrent
à disserter avec lui sur l'avancée des troupes ennemies, sur le
manque d'effectifs disponibles pour les combattre, et sur le danger
mortel de la prise éventuelle du Sanctuaire.
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"Malheureusement, je ne pourrais
vous fournir qu'un petit détachement, mais il sera composé de
mes meilleurs éléments." déclara Thorgrim.
- Tout combattant en état
de nous rejoindre vaut de l'or à mes yeux." répondit Ahrin. Puis
le seigneur de Devongh appela un page en langue elfique, et on
lui apporta peu après un long coffret de bois clair, sans ornements.
Alors il l'ouvrit lentement, fit signe à Ahrin d'approcher, et
en sortit une longue et magnifique épée, à la poignée d'ivoire
cerclée d'argent, et dont le pommeau et la garde étaient sertis
de nombreuses gemmes bleues. La lame, étincelante d'elle-même,
était gravée de mystérieuses runes elfiques.
- Chevalier." dit Thorgrim
gravement. "Tu sers une cause noble et tu est valeureux, reçoit
donc l'Epée Chantante. Son chant de mort a le pouvoir de terrasser
un dragon, mais seul un Héros au cœur pur et oeuvrant pour la
lumière est digne de la manier. A présent, accomplit ton destin."
Sans prononcer mot, Ahrin
s'inclina profondément, et les hôtes se retirèrent.
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Chapitre trois
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Il était près de neuf
heures quand la Phalange d'Ahrin, après avoir maintes fois remercié
le maître de céans, quitta la ville elfique de Devongh.
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Le " modeste détachement
" qu'avait fourni Thorgrim était constitué d'une soixantaine de
centaures, qui, comme à leur habitude, restaient à l'écart des
humains, d'une soixantaine de Nains joyeux et rieurs, et d'une
troupe de quarante archers, que commandait Eylorn, le grand Elfe
rencontré la veille. Mais ce qui honorait particulièrement la
compagnie, c'était sept magnifiques licornes sauvages, plus blanches
que la lumière du jour, et dont les cornes majestueuses étaient
dressées vers le ciel. A la surprise de tous, elles n'avaient
accepté d'obéir qu'à Ahrin, et même les Elfes qui les avaient
domestiqué avaient perdu presque toute emprise sur elles. Thorgrim
avait aussi accordé aux chevaliers un guérisseur de combat, et
une tente de soins.
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Le matin du cinquième jour,
donc, ils partirent ; et Rion, se retournant, put apercevoir,
au sommet du pic rocheux dominant le flanc de la montagne où était
située la ville, des fantastiques formes ailées qui survolaient
Devongh. " Je crois que les Rocs sont revenus... " murmura-t-il
à son maître. Loanrek ne dit rien, mais son sourire s'accentua.
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Ils chevauchèrent sans
embûche toute la matinée, mais vers midi, alors que la forêt devenait
moins dense et qu'ils approchaient de sa lisière septentrionale,
ils entendirent derrière eux de violents cris de guerre et des
clameurs haineuses, assez lointains cependant.
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C'est alors qu'Eylorn, qui
fermait la marche avec sa compagnie, et circulait quelquefois
parmi les hautes branches, apparut et lança : " Il y en a plus
d'un millier ! C'est un régiment qui a bifurqué vers le Nord dans
notre direction ! "
- Au galop ! La lisière
est proche, ils seront à notre merci dans la plaine !" cria Ahrin,
sans en écouter davantage. "Eylorn ! Grimpez dans les derniers
arbres et bloquez l'accès à la forêt quand ils seront tous sortis
!".
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Et ce fut une terrible
cavalcade, une course effrénée contre la mort. Les fers des formidables
destriers des chevaliers d'Ahrin soulevaient et déchiquetaient
les feuilles mortes du sol qu'ils labouraient dans un grondement
sourd et régulier. Déjà les cris s'amplifiaient, les abominables
beuglements des orques et les féroces hurlement des loups. Les
flèches se fichaient dans l'épaisse écorce des arbres avec un
bruit sec. Loanrek, se retournant, leva la main, et le sol devint
soudainement boueux et visqueux sous les pieds des barbares qui
s'enlisèrent. Mais ils avançaient toujours.
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Des Nains tombèrent. Ils
avaient pris place sur les centaures ou en croupe des chevaliers,
et malgré leurs lourdes cottes de mailles, certaines flèches acérées
parvenaient à les abattre. Brusquement, la compagnie entière fut
submergée d'une éclatante lumière, la clarté du jour. Ils avaient
atteint la plaine.
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Ils parcoururent encore
un quart de lieue, puis Ahrin donna l'ordre de s'arrêter. Tournés
vers la sombre forêt, ils attendaient, les poings crispés sur
leurs armes. Dans les arbres en face, les Elfes bandaient calmement
leurs arcs.
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Les chevaucheurs de loup
sortaient en vagues turbulentes et désordonnées. Puis ce fut le
tour des orques, des gobelins et des voleurs, et enfin les ogres
apparurent.
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C'est alors que tombèrent
du ciel avec d'horribles cris stridents d'immenses rapaces en
furie. "Les Rocs !" crièrent des voix. A cette vue, Ahrin s'élança,
la rage au cœur, avec un cri déchirant. Et toute sa Phalange chargea,
déchaînée, de même que les licornes, aveugles de la colère de
leur maître. Et les Nains fermaient l'assaut, écrasant tout ce
qui passait à leur portée, alors que les centaures tentaient avec
difficulté de repousser les Rocs. Et ils foncèrent dans la masse
compacte des brigands, tandis que les Elfes, de l'autre côté,
vidaient leurs carquois avec application.
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Au premier impact, la lance
d'Ahrin se brisa, elle avait empalé cinq gobelins. Alors il porta
la main à l'Epée, et elle émit un son en sortant du fourreau.
Elle chantait et brillait de plus belle à chaque tête qu'elle
faisait sauter, abreuvée de sang et de terreur, répandant la mort
sur son sillage.
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Et tous les autres chevaliers
étaient pris de la même rage qu'Ahrin. Tous leurs coups frappaient
au but, et tous étaient fatals. Les licornes, illuminées de leur
colère, telles des vengeresses divines, tuaient sauvagement leurs
ennemis horrifiés. Et le Grand Clerc, lâchant des éclairs de sa
main mortelle, maniait de l'autre un long glaive, tandis que son
valeureux disciple, au cœur de la bataille, usait sa lame contre
la dure peau des ogres. Et les centaures luttaient toujours contre
les Rocs, persévérant malgré leurs frères qui tombaient à leurs
côtés. Ils combattirent ainsi un certain temps, et aucun n'aurait
pu dire s'il s'agissait d'une éternité ou de quelques secondes.
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Lorsqu'Ahrin baissa le
bras, il considéra le champ de bataille. Son Epée lui parut peser
très lourd, et il ferma les yeux. Les dents de son collier étaient
tâchées de sang. Rion s'effondra, exténué, et Loanrek, la main
tremblante, descendit de cheval et tomba à genoux. Aucun barbare
n'en était réchappé, ceux qui avaient voulu fuir par la forêt
avaient été abattus par le détachement d'Eylorn. Plus aucun Roc
ne tournoyait dans le ciel, car ils gisaient éventrés dans l'herbe
rase de la plaine.
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Mais la compagnie avait
elle aussi subi de lourdes pertes, car il ne restait qu'une vingtaine
d'Elfes, quelques centaures et une quinzaine de Nains, mais Ahrin
avait surtout perdu trois chevaliers de sa Phalange, et il leur
rendit grâce longtemps pour leur valeur et leur courage. Le guérisseur
accomplissait un dur labeur.
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Le soleil penchait considérablement
vers l'Ouest quand ils reprirent la route, le cœur rempli de lassitude
et de tristesse. Ils ne dirent plus rien, et ne dressèrent le
camp que tard dans la nuit, quand le sommeil fut devenu implacable.
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Pendant la nuit, Loanrek
vint trouver Ahrin, qui observait les étoiles. "Je vais partir."
dit-il. "Je dois aller soutenir Théodorus avant qu'il ne soit
trop tard, je ne peux pas risquer un long détour par Dyrale."
Ahrin ne répondit pas, mais il sourit. Loanrek quitta la compagnie
à la lueur du clair de lune, et le son des sabots sur la terre
rude se perdit dans le murmure du vent.
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Le soir du sixième jour,
ils atteignirent Dyrale. C'était une grande ville à la limite
des plaines, peu fortifiée mais dotée d'une puissante garnison.
Exceptionnellement, sous l'ordre de Layboor, elle était devenue
le point de rencontre de toutes les troupes disponibles de Xilbor,
chargées d'aller combattre les Nécromants dans les Terres Hautes,
sous le commandement du chevalier Ahrin. La ville elle-même n'offrant
le gîte qu'à l'état-major et la cavalerie, les troupes en attente
logeaient dans des tentes de régiment sous les remparts ; elles
s'étendaient jusqu'à six cents mètres à la ronde.
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On reconnut Ahrin tout
de suite, et on l'escorta jusqu'au centre. Les hommes d'armes
écarquillaient les yeux devant les licornes et les Elfes.
Malgré l'état des troupes d'Ahrin, le départ pour Tanihis fut
décidé pour le lendemain, à l'aube.
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Cette nuit-là, le chevalier
manda Rion dans ses appartements. "Je ne puis me résoudre à un
autre détour. " dit-il. "C'est pourquoi je t'ai choisi pour acheminer
des renforts occidentaux jusqu'au Sanctuaire."
- De qui parlez-vous ?" demanda
le jeune clerc.
Ahrin hésita un instant,
puis prononça d'une voix calme : "Des créatures de Tivanos." Rion
se tut, mais on pouvait lire dans ses yeux une terreur sans nom.
Puis le chevalier défit son étrange collier et le lui tendit.
"Donne ceci à Temlak, et dit lui que le temps presse." Puis il
ajouta : "Prends avec toi quatre chevaliers. Lorsque tu auras
atteint les marais, sonne de ce cor." et il lui tendit un curieux
cor d'ivoire orné d'anneaux de bois. "C'est peut-être de toi que
dépend notre survie, à présent."
Et Rion partit la nuit même
au grand galop, en compagnie d'une partie de la Phalange, lorsque
la Lune s'évanouit dans le ciel.
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Chapitre Quatre
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A l'aube, l'armée fut rassemblée
à une demi lieue de Dyrale. Les armures, les heaumes et les lames
des hallebardes, qui réfléchissaient la lumière du soleil formaient
une fantastique marée scintillante. Il y avait là peut-être trois
cents cavaliers, et plus de mille sept cents fantassins, parmi
lesquels des hallebardiers, des moines et des hommes d'épée. Et
on avait fait venir une cinquantaine de griffons royaux, des créatures
fabuleuses que l'on dressait à l'Est, dans les montagnes.
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En tête chevauchait Ahrin,
en compagnie d'Eylorn, et toute sa Phalange cheminait derrière
lui. Il savait s'orienter, et ils atteignirent le désert du Laanden
dans l'après-midi.
Mais le sol devint vite
rocailleux, et les chevaux comme les hommes avançaient péniblement.
L'ordre de suspendre la marche fut donné peu après le coucher
du soleil, car le froid nocturne tombait et devenait mordant.
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Ils levèrent le camp le
lendemain lorsque la chaleur se fit à nouveau sentir. L'astre
trônait haut dans le ciel sans nuages quand les griffons s'agitèrent
soudain. Eylorn leva les yeux. "Ce sont des aigles...des aigles
d'or !" On voulu lâcher les griffons mais Ahrin s'y opposa. Les
rapaces volaient vers le Sud-Est. Il siffla, et prononça quelques
phrases en langue elfique ancienne, dont on apprenait des bribes
à l'université. Les grands oiseaux s'approchèrent sans aggressivité.
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Après quelques minutes,
les oiseaux d'or étaient aussi dociles que les chevaux. Eylorn
le félicita, en lui précisant que seul les Elfes avaient jusqu'ici
su apprivoiser de telles créatures.
Il s'agissait en réalité de Rocs magiques.
Ils s'apprêtaient à continuer leur route, quand les chevaux devinrent
brusquement très nerveux, et presque incontrôlables. Ils hennissaient
sans cesse et désarçonnèrent plusieurs chevaliers.
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Puis le sol aride se mit
à trembler, et une fissure s'ouvrit devant l'armée, parallèlement
à son alignement. La brèche s'élargissait et le sol se soulevait.
Les troupes fuyaient en rangs confus. Seule la Phalange d'Ahrin
restait devant la trouée béante, et les chevaliers contenaient
leurs destriers à grand mal. Et soudain, deux ailes immenses,
plus noires que les ténèbres, jaillirent, en un colossal Dragon
émergea des insondables profondeurs de la Terre. Il se dressa
devant les cavaliers, il mesurait peut-être quatre cents pieds.
Même la Phalange avait reculé, à présent, excepté son capitaine
qui demeurait impassible face au monstre, et le défiait du regard.
Les troupes s'étaient ressaisies, et les archers décochaient abondamment
leurs flèches, mais elles s'abîmaient inutilement sur les sombres
écailles de la créatures. Les clercs lançaient en vain leur sort
magiques.
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Puis le Dragon s'impatienta.
Il ouvrit la gueule et cracha une flamme gigantesque sur ses assaillants.
Mais Ahrin, plus prompt que l'éclair, avait lâché sa lance et,
l'Epée au poing, il s'était élancé de toute la puissance de son
cheval, sous le monstre. Et il frappa d'estoc, en un coup bref
et précis, dans le ventre écailleux. La bête poussa un cri déchirant,
et martela le sol, le labourant de ses griffes, et, dans une crise
de rage et de douleur, cracha une flamme droit devant elle. Sa
première attaque avait balayé une cinquantaine de fantassins,
et celle-ci en brûla le double. Les hommes se tordait de douleur
à terre en poussant des cris affreux. Mais la Phalange avait encerclé
la créature, et, au signal du chant mortel de l'Epée d'Ahrin,
treize valeureux champions se ruèrent ensemble sur le Dragon,
et le percèrent violemment de leurs lances effilées. Excédé par
la souffrance, le monstre hurla à la mort et donna un brutal coup
de queue vers l'avant qui projeta tous les cavaliers à terre.
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Quand Ahrin se releva,
il était seul. Et il avait chu sous la gueule de la bête, dont
il sentait le souffle chaud. Maintenant que son adversaire était
à sa merci, le Dragon avait recouvré son calme, et il respirait
lentement. Puis soudain il s'élança pour achever l'infortuné chevalier,
mais Ahrin, d'une feinte majestueuse, s'accroupit et empoigna
son arme tombée près de lui, évita la gueule du monstre en roulant
sur le côté et, d'un formidable coup oblique, lui trancha la gorge
en se redressant. La Lame Chantante entama profondément la chair
coriace, le sang noir jaillit de la large blessure et abreuva
la terre craquelée. Le Dragon s'effondra avec un hurlement étouffé
dans un fracas épouvantable.
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Il fallut écarter les hommes
de la dépouille avec force, car les vertus magiques de la créature
valorisaient ses écailles et ses yeux. Mais les dents revenaient
de droit au courageux tueur. Quand l'armée se remit en route,
tard dans la journée, Ahrin portait au cou un nouveau collier.
Ses hommes avaient maintenant totalement confiance en leur meneur
et l'admirait profondément, ils le suivraient désormais jusqu'aux
Enfers.
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Ils dormirent une nouvelle
fois dans le désert, et le soir du jour suivant, ils s'arrêtèrent
à quelques lieues de la frontière du Laanden. On voyait distinctement
les Terres Hautes qui s'élevaient au Nord, encore embrasées par
la lumière du soleil mourant.
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Alors que la plupart des
troupes venait de s'endormir, une sentinelle entra dans la tente
des généraux. "Il se passe d'étranges choses près de la frontière."
dit le jeune hallebardier. Ahrin soupira, puis sortit et le suivit.
Effectivement, on apercevait des ombres en mouvement qui semblaient
pénétrer dans les terres désertiques. Un Elfe, qui s'était approché,
dit calmement : "Ce sont eux." Alors Ahrin se mit à donner des
ordres dans toutes les directions. La sonnerie du cor d'alerte
réveilla tout le camp. Les ombres s'avançaient rapidement, et
on avait du mal à équiper les chevaux et les hommes. Des clameurs
sèches commencèrent à s'élever dans l'armée des Nécromants, qui
glaçaient le cœur des hommes.
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Lorsque les morts ne furent
plus distants que d'une lieue du camp, les troupes d'Elemaan lancèrent
leur première attaque. On avait réunit un détachement de cavalerie,
qui devait freiner l'avancée des squelettes. La trentaine de champions
se rua sur les assaillants, mais en pénétrant dans leurs rangs
ils furent rapidement submergés. Heureusement, la vitesse qu'ils
avait acquise leur permit de passer les vagues d'infanterie sans
dommages, mais les Chevaliers de la Mort les attendaient. De terribles
esprits maudits chevauchant des créatures ténébreuses. Ils fauchèrent
trois cavaliers, puis coupèrent la route au survivants, permettant
au zombies d'arriver au contact. Ahrin donna la charge avant qu'il
ne soit trop tard.
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La compagnie de cavaliers
qu'il menait, et dont il était le fer de lance, creusa une brèche
énorme dans les rangs ennemis. L'armée des ténèbres fut prise
de court, mais les morts ne ressentaient pas la peur, et ils frappaient
de plus belle à chaque attaque subie. La cavalerie avançait, et
les Chevaliers Noirs durent se mettre en garde, ce qui laissa
un temps de répit aux premiers cavaliers. L'infanterie accomplissait
pendant ce temps la tâche la plus rude. Il fallait éloigner les
ennemis du camp très vite. Mais les squelettes étaient coriaces,
et même les Elfes combattirent au corps à corps.
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Ahrin et ses compagnons
désarçonnèrent plusieurs Chevaliers Ténébreux lors de la charge,
mais les Nécromants étaient très puissants au contact, et d'autres
valeureux combattants tombèrent.
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La bataille dura peu de
temps, car les troupes d'Ahrin eurent rapidement le dessus, sans
subir trop de pertes. Mais le chevalier savait que ce n'était
que l'avant-garde de l'armée du Royaume Désolé, et son cœur restait
sombre.
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Le matin arriva, froid
et morne. Le guérisseur soignait les derniers blessés, et les
malades contaminés par les zombies. Ils incinérèrent les corps
afin que le Nécromancien n'en fasse pas ses servants. Lorsque
le soleil, masqué par de sombres nuages, fut monté bien haut dans
le ciel, l'armée d'Elemaan reprit sa quête. A midi, ils pénétrèrent
enfin les Terres Hautes. Ahrin envoyait plusieurs éclaireurs,
qui revenaient tous en décrivant des collines infestées de morts-vivants.
Des Rocs menaçants tournoyaient dans les airs. Ils rencontraient
souvent des anciennes fermes ou des garnisons isolées en ruine,
ravagées par le fer et le feu. Le climat devenait lourd et oppressant,
mais le charisme d'Ahrin impressionnait tous les hommes sous son
commandement. Ils cheminèrent pendant deux jours entre les collines.
Et le troisième jour, ils gravirent la montagne de Tanihis. Lorsqu'ils
arrivèrent sur le plateau, la nuit était tombée, et ils sentirent
le poids de la Mort les accabler un peu plus.
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L'assaut du Sanctuaire
avait commencé. Des gigantesque gerbes de flammes s'échappaient
de la ville, et toutes les forces ennemies étaient concentrées
autour des remparts. Ahrin donna l'assaut sur les machines de
guerre, et elles furent rapidement capturées. Mais alors que l'armée
avait encerclé les Nécromants, et n'attendait que l'ordre de son
chevalier, un bruit sourd et des cris de victoire retentirent.
Les monstres des barbares avaient enfoncé les lourdes portes d'acier.
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Chapitre Cinq
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Adossé à un créneau de
la muraille, Elden caressait l'empennage de sa flèche. Il avait
peur, certes, mais il restait calme. La situation s'enlisait.
Hors de la ville, de l'autre côté des remparts, il y avait les
troupes de la Mort, qui attendaient patiemment depuis presque
deux semaines. Ils avaient l'éternité devant eux. A l'intérieur
de la ville, les troupes seigneuriales de Xilbor attendaient elles
aussi, les renforts...ou l'assaut final...Car dehors ils étaient
des milliers, et même Tanihis ne pouvait leur résister indéfiniment.
Et puis les machines de guerre arriveraient bien un jour, et alors
les enceintes tomberaient. Elden considéra d'un œil ironique le
colosse d'or d'une centaine de pieds, dressé sur la place centrale,
symbolisant la puissance de la cité.
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Il fallait résister, avait
dit Théodorus, le Grand Prêtre du Sanctuaire, car il manquait
de clercs, et il lui fallait du temps pour exécuter les rituels
sacrés nécessaires à l'appel des forces divines. Mais mis à part
Théodorus, tout le monde doutait, à présent. On ne pensait qu'à
la Mort. Elle était partout. On ressentait constamment le pesant
silence, l'odeur, le goût même de la Mort. Et les hommes de garde
sur le chemin de ronde plus que quiconque, car ils guettaient
en permanence les manoeuvres des Nécromants. Elden était de ceux-là.
C'était un jeune archer en service court à Tanihis ; d'ordinaire
il maniait son arc plus à l'Ouest, à Teckenheim. Il avait troqué
cette arme contre son arbalète réglementaire, ce qui lui avait
valu trois tours de garde supplémentaires, car il trouvait l'arc
plus léger et plus souple. Mais tout cela n'avait guère plus d'importance.
Tanihis était condamnée si quelques renforts hypothétiques n'arrivaient
pas. Il se couvrit le visage de ses mains et attendit.
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Une, ou peut-être deux
heures passèrent, Elden n'aurait pu le dire. Chaque seconde qui
s'écoulait paraissait le vieillir d'une année. Puis soudain, une
clameur s'éleva, abominable et sans timbre. Le jeune archer se
retourna, et il fut glacé d'horreur. Toute l'armée était en mouvement.
On pouvait voir des régiments de squelettes, de zombies, d'âmes
déchues, de gobelins, d'ogres et d'autres monstres sans nom s'avancer.
Les machines de guerres étaient arrivées. Alors des cris s'élevèrent
du chemin de ronde et les défenseurs, pris de panique, organisèrent
rapidement leur défense. On avait ordonné aux archers d'enflammer
leurs flèches pour détruire en priorité les catapultes et les
balistes, encore inactives.
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Elden avait perdu tout
espoir, mais il décochait néanmoins ses flèches avec application,
afin qu'aucune ne soit vaine. Mais les machines étaient hors de
portée.
L'après-midi passa, et on ne tirait plus, attendant l'attaque
des morts-vivants.
Au crépuscule, les catapultes furent mises en batterie, et des
cris de morts rompirent le silence ambiant, de même nature. L'assaut
était lancé.
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Les premières vagues étaient
composées de squelettes, de zombies et de gobelins, et elles furent
contenues sans grande difficulté. Les blocs de pierre pleuvaient,
et entamaient peu à peu la muraille. Puis les liches commencèrent
à cracher leurs nuages mortels, et tous les archers se réfugièrent
derrière les créneaux.
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Soudain, un projectile
tomba à quelques mètres d'Elden, et il n'eut que le temps de s'enfuir
vers l'enceinte est avant que le poison ne l'atteigne. Mais en
pénétrant dans la première échauguette, un nuage verdâtre le prit
à la gorge, et il ne put faire un pas de plus. Il tomba inconscient
sur la pierre froide.
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Lorsqu'il ouvrit à nouveau
les yeux, il faisait nuit. Tous ses membres étaient engourdis,
et il peina à se relever. Puis il sentit l'odeur de la Mort, devenue
familière. Ayant ramassé son arc et recouvré ses esprits, il prit
conscience de la situation. Elle était critique. La ville était
en feu, et les murailles étaient sérieusement endommagées. Dehors,
les Nécromants avaient allumé des feux, et les flancs de la montagne
étaient illuminés, ils poussaient d'horribles cris de guerre.
Il régnait un vacarme assourdissant. Mais soudain un bruit domina
les autres, retentissant dans l'enceinte de la ville. Elden comprit
alors, dans une montée d'angoisse, que les portes avaient cédé.
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Chapitre six
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Rion sonna du cor d'ivoire,
puis il attendit. L'atmosphère commençait à se faire pesante.
On n'entendait que les stridulations des insectes nocturnes et
les craquements des branches pourries. L'air étouffant et saturé
d'humidité qui régnait, ainsi que la fatigue accumulée, oppressait
les hommes et les chevaux.
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Voilà deux jours à présent
qu'ils avaient quitté la Phalange d'Ahrin, et ils pataugeaient
à présent dans les marais séculaires d'Elemaan, avançant lentement
dans la jungle dense, une quarantaine de lieues à l'Ouest de Dyrale.
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|
Une demi-heure s'était
écoulée depuis la dernière sonnerie de Rion, et ils avaient tout
au plus avancé d'un mille, quand ils entendirent des rires et
des voix s'élever autour d'eux. Ils tirèrent leurs dagues, les
seules armes que l'on pouvait manier dans l'enchevêtrement de
lianes et d'arbustes des marécages. On ne pouvait sonder les profondeurs
de la brume. Soudain, Rion sentit le sol vaseux se dérober sous
ses pieds. Il s'enlisait dans le fond de la mare stagnante. Des
hyènes hideuses surgirent derrière lui avec des cris affreux,
et ses chevaliers furent violemment pris à parti. Ils tuèrent
quelques créatures, mais ils reculaient. Brusquement, des hommes-lézards
apparurent, et, furtivement, grimpèrent sur les chevaux et s'échappèrent
entre les arbres. Rion regardait impuissant, embourbé dans les
sables jusqu'à la taille, la fin du combat désespéré que ses hommes
livraient, sans montures, contre leurs ennemis toujours plus nombreux.
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|
Il entendit subitement
du bois craqueler derrière lui. Lorsqu'il se retourna, une terreur
absolue l'envahit, et il ne put faire un mouvement. Sept têtes
monstrueuses, montées sur un corps difforme, le considérait, en
crachant et en expirant leur ignoble haleine au visage du jeune
clerc. Puis il revint à lui, et dans un réflexe extraordinaire,
il agrippa une racine émergée et se tira avec toute la force du
désespoir hors du trou de vase. Il dut s'enfoncer parmi les arbres
pour échapper à l'hydre qui attaquait. L'énorme créature dévastait
tout sur son sillage en pourchassant sa proie, ne lui permettant
aucun répit. Rion déboucha sur un espace plus dégagé, au milieu
duquel s'élevait un grand arbre au tronc immense, qui lui barrait
le passage.
|
|
Alors se résignant à affronter
la bête, il resta plaqué le dos contre l'écorce humide, et il
tira sa longue épée. L'hydre approcha, en poussant de multiples
sifflements dissonants. Les sept têtes se ruèrent en désordre
sur le jeune homme. Celui-ci couru de côté, en longeant le fût
de l'arbre, puis sauta derrière une grosse racine. Mais une tête
l'avait précédé, alors, conservant sa vitesse, il plongea sous
elle et, s'étant retourné sur le dos, donna un violent coup d'épée
à deux mains en travers du cou de la bête. Mais la lame, si affûtée
qu'elle eut été, ne put pénétrer la peau dure comme le roc. Les
membres vacillant sous l'effet du choc, Rion lâcha l'épée. Il
réussit tout de même à éviter la riposte de l'hydre, mais deux
autres têtes l'attendait, il était pris entre deux feux. Il leva
alors la main devant ses nouveaux assaillants, et projeta un froid
glacial qui les fit se tordre de douleur. Puis, profitant de ces
quelques instants de sursis, il reprit son épée et d'un rapide
coup de taille en arrière, il détourna l'autre créature qui allait
frapper. Mais, encore une fois, il n'avait infligé qu'une écorchure
bénigne.
|
|
L'hydre l'encerclait de
nouveau, alors il réfléchit rapidement. Elle paraissait invincible,
mais il se souvint subitement d'un sortilège ancien que son maître
lui avait enseigné il y avait bien longtemps. Mais il était fatigué,
et ses chances de réussite étaient aléatoires. Il se concentra,
et la créature sembla intimidée, ou du moins surprise. Et sa lame
s'enflamma, et lui-même parut briller d'un intense éclat. Les
têtes plongeaient, alors Rion sauta sur l'une d'elle et, debout
sur la nuque de la bête, il lui trancha le cou vivement, et la
blessure s'enflamma. La peau avait été lacérée avec une aisance
inouïe.
|
|
Galvanisé par cette mince
victoire, le jeune clerc fut soudain possédé par la rage, et perdit
presque le contrôle de ses mouvements. Il courut vers le corps
de la créature et, devant son poitrail, d'où émergeaient les sept
serpents, il fendit deux gorges de dessous, puis il monta sur
le dos de la bête et asséna un furieux coup verticale sur l'encolure
d'un quatrième monstre. Les têtes s'effondraient brutalement dans
la vase l'une après l'autre. L'hydre se contracta brusquement,
faisant choir Rion. Mais alors qu'elle voulait l'écraser, il se
releva promptement vers l'avant et sectionna deux autres cous.
La dernière tête n'osait approcher ce puissant inconnu. Mais déjà
les autres repoussaient.
|
|
A cette vue, Rion lança
de sa main une gerbe de flammes sur les blessures cicatrisantes.
Il manqua cependant d'être broyé par les mâchoires de la dernière
bête qui, rageuse, s'était élancée. Le jeune guerrier lança sa
lame, mais en heurtant les dents du monstre, elle se brisa d'un
coup sec. Regagné par l'horreur, il dut faire un vif écart pour
éviter de nouveau la créature qui revenait à la charge. Mais sa
jambe s'enfonça soudain dans un trou masqué. Il aperçut le monstre
qui allait frapper, et ferma les yeux.
|
|
C'est alors qu'il entendit
un appel : "Combattant !" Il rouvrit les yeux, et vit une épée
qui tombait du ciel, droit sur lui. Il ne réfléchit pas. Saisissant
l'arme au vol, il se coucha dans la vase, et se redressant derrière
le passage de la bête, il lui trancha sauvagement le cou. La dernière
tête de l'hydre s'écroula avec un bruit sourd.
Rion lâcha sa lame, tomba à genoux, et pleura. Jamais la Mort
ne l'avait effleuré d'aussi près.
|
|
Lorsqu'il recouvra ses
sens, il était entouré de hyènes et d'hommes-lézards, mais devant
la dépouille de l'hydre que cet étranger avait abattu à lui seul,
ils ne ricanaient plus. Devant le jeune homme se dressait un être
étrange, mi-humain, mi-bête, qui semblait être leur chef. Il était
monté sur un cheval brun, et il portait simplement une légère
cuirasse et une courte toge. Une de ses créatures ramassa le glaive
providentiel dont Rion s'était servi et le lui apporta. L'inconnu
le replaça calmement dans son fourreau. "Vous avez fait preuve
d'une valeur sans égale dans cette petite épreuve, Temlak sera
satisfait de faire votre connaissance." prononça-t-il clairement.
|
|
Le ton insouciant exaspéra
le jeune clerc, traumatisé par le danger mortel auquel il avait
échappé. Il voulu se ruer sur l'insolent mais se ravisa devant
les nombreux archers qui l'encerclaient.
|
|
"Je suis Alkin, vassal du
Seigneur Temlak, le gouverneur de Tivanos et le maître des marais.
Vous désiriez le rencontrer, je suppose."
- C'est exact." répondit
Rion. C'est alors qu'il aperçut ses camarades, et son cœur fut
rempli d'allégresse. Les quatre chevaliers étaient saufs, mais
solidement enchaînés. "Je souhaite cependant que mes compagnons
soient libérés de leurs liens, l'accueil de Temlak est quelque
peu douteux."
- Dans les marais, il est
seul maître." répliqua Alkin. Et il ordonna que l'on délivre les
prisonniers.
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|
Ils cheminèrent durant
toute la journée suivante, et atteignirent la forteresse de Tivanos
au crépuscule. C'était une immense place forte enceinte de puissants
murs, et d'une large rivière qui la contournait. Et la ville elle-même
était située sous les arbres. Seul le donjon central dépassait
les hautes cimes. Rion aperçut les mêmes formes ailées que celles
du pic de Devongh qui tournoyait au dessus du bâtiment, mais elles
étaient plus menaçantes et leur vue lui était profondément désagréable,
comme repoussante. Tivanos était peuplée d'immondes créatures
à l'aspect corrompu par l'atmosphère des marécages, et elles se
montraient agressives envers les prisonniers d'Alkin. Mais elles
semblaient toutes descendre des humains, si difformes soient-elles,
et n'étaient pas aussi menaçantes que les armées de la Mort.
|
|
Il y avait là toutes sortes
de sauriens bipèdes, de serpents et d'insectes géants. L'escorte
des lézards arriva au pied du large donjon. Alkin entra seul,
et les hommes de la Phalange attendirent un long moment. Puis
on leur fit signe d'entrer, et ils montèrent le grand escalier,
toujours accompagnés de leurs geôliers. Après une montée interminable,
ils débouchèrent enfin sur une grande salle, située au sommet,
sans aucun ornement, où s'agitaient une horde de créatures à sang
froid. Quand les prisonniers entrèrent, elles cessèrent leurs
activités et s'écartèrent lentement. Au centre de la pièce, assis
sur un haut siège de pierre taillée, trônait un grand homme-lézard,
aux larges écailles d'un sombre bleu turquoise. Les mains jointes,
il fixait Rion de ses yeux jaunes de reptile, où se reflétait
la flamme des torches. Il avait dû être jadis un grand seigneur,
car le fond de son regard inspirait encore du respect. A sa droite
se tenait Alkin.
|
|
Puis Temlak se leva, et
son lieutenant lui tendit le cor dont Rion avait sonné, et qu'il
avait perdu dans la bataille. Lorsque les hommes d'Ahrin se furent
approchés, il rendit la corne d'ivoire au jeune clerc et déclara
: "Cela fait bien longtemps que nous n'avons plus de relations
avec les hommes d'Elemaan, pourquoi sollicitent-ils le peuple
des marais, à présent ?"
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|
Alors Rion conta les derniers
événements qui avaient entraîné la guerre, en essayant de convaincre
le chef de se joindre à la cause des habitants du royaume.
"Nous ne servons pas nos
intérêts en vous soutenant." rétorqua Temlak. "Ceci est votre
guerre, et les Nécromants ne nous ont pas provoqué."
|
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Rion baissa les yeux. Il
y eut un long silence pendant lequel les deux parties méditaient.
Puis soudain le clerc brandit le collier d'Ahrin, sans prononcer
un mot, et les lézards furent stupéfiés. Temlak considéra l'artefact,
et serra le poing. Il le saisit et en cassa brutalement la corde.
Le silence fut rompu par les bruits secs des lourdes dents qui
chutèrent sur le sol dur. "Nous viendrons." dit posément l'homme-lézard.
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Epilogue
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Ahrin s'élança sans réfléchir,
et déclencha l'attaque du même coup. La cavalerie percuta les
derniers rangs d'ogres et s'engouffra telle une vague surpuissante
dans Tanihis. En passant sous l'immense porche, elle écrasa plusieurs
dizaines de squelettes. Les fantassins qui avaient détruit les
machines de guerre et exterminé les liches surgirent à leur tour
derrière les troupes de la Mort déconcertées. Le gros des cavaliers
empêchaient maintenant les Nécromants de franchir l'enceinte.
Mais les autres poursuivaient les Monstres, qui avaient détruit
les portes, pénétré la ville et anéantissaient tout ce qui se
trouvait à leur portée. Il s'agissait d'ignobles créatures au
pelage gris, corrompues par les Maîtres de Guerre barbares
|
|
Elles mesuraient trois
fois la taille d'un homme et en égalaient vingt lorsqu'elles frappaient
de leurs griffes tranchantes. Ahrin commit l'erreur d'attaquer
un Monstre de face, et avant qu'il n'ai pu seulement brandir sa
masse, la bête donna un puissant coup latéral, et le cheval d'Ahrin
poussa un furieux hennissement de douleur. Il s'effondra dans
sa course. Alors le Monstre se précipita vers le chevalier désarçonné.
Mais à l'instant même où il allait asséner un véritable coup de
massue de sa patte mortelle, une flèche à empennage bleu perça
sèchement son œil. La bête lança un faible cri rauque, et Ahrin
n'eut que le temps de rouler de côté afin de ne pas finir écrasé
sous le corps du Monstre.
|
|
Elden attrapa promptement
une autre flèche dans son carquois, et choisit une autre cible.
Des sonneries de cors et de trompettes retentirent. Et du second
porche de la ville surgirent de majestueux cavaliers montés sur
des chevaux blancs. La garnison de Tanihis sortait, à la venue
des renforts. Elle vint soutenir les hommes qui bloquaient l'entrée
de la cité aux morts, tout en permettant à l'infanterie d'Ahrin
de se mettre à couvert. Le valeureux chevalier était déjà remonté
sur un autre cheval, et combattait les derniers Monstres, et les
autres affreuses entités qui avaient pu s'introduire dans la place
|
|
Les forces d'Elemaan reculaient
à présent sous la poussée des squelettes, qu'elles disloquaient
par dizaines. Mais les archers du chemin de ronde n'étaient pas
restés inactifs, et lâchèrent brusquement une volée de gerbes
de flammes sur les assaillants, et leurs rangs furent brisés.
L'infanterie d'Ahrin qui essayait de rentrer dans la ville put
enfoncer aisément l'armée noire et se réfugier derrière les enceintes.
Lorsque le dernier hallebardier fut passé, on apporta de grands
blocs de pierre et on barricada sommairement l'entrée.
|
|
Ahrin passait et repassait
devant ses hommes, alignés en rangs précis. La faible lueur de
l'aube faisait briller l'oiseau blanc sur son épaulière. Les effectifs
disponibles ne pouvaient rivaliser avec ceux des Nécromants, qui
attendaient de nouveau, dehors. Mais ce qui l'inquiétait, c'était
de n'avoir aperçu aucun membre de l'état-major de l'armée ennemie
pendant la bataille. Aucun lieutenant, aucun général, ni même
aucun maître de guerre. Les troupes semblaient obéir à des consignes
précises.
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|
Il avait mandé Théodorus,
mais le prêtre s'était enfermé dans le Sanctuaire et refusait
d'interrompre ses incantations. On n'avait eut aucune nouvelle
du Grand Clerc.
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Soudain, un guetteur donna
l'alerte. Les morts s'étaient remis sur pied, et ils attaquaient
déjà. La peur s'empara des hommes d'Elemaan, mais la vue d'Ahrin
leur donna le courage de résister encore.
|
|
Plusieurs Monstres faisaient
cette fois partie de l'assaut, et leurs rugissement propageaient
la terreur chez les assiégés. Les liches couvrirent leur offensive.
Les blocs de roche résistaient aux coups répétés des lourdes créatures,
mais au bout d'une heure ils basculèrent et l'entrée de la ville
fut à nouveau découverte. Les événements se précipitèrent. Les
troupes attendaient les Monstres et ils furent criblés de flèches
enflammées, alors que les clercs faisaient surgir des murs de
feu devant eux. Mais la voie était libre et les squelettes se
pressaient déjà à l'entrée.
|
|
C'est alors que surgit
de leurs rangs un furieux Chevalier Noir, et il passa entre les
flammes, tel une maléfique apparition sortant des enfers, montée
sur un cheval de ténèbres. Il s'engouffra dans Tanihis à vive
allure, en fauchant quelques hommes au passage, et disparut vers
le centre. Personne ne put l'arrêter, les troupes ennemies pénétraient
déjà dans la ville. Alors Ahrin lança sa compagnie dans la bataille,
et, chevauchant en tête avec sa Phalange, ouvrit un passage à
ses combattants dans l'armée des morts. Il sortit de la ville.
Elden regarda passer le Diable Noir, et un pressentiment l'horrifia.
Il arracha une flèche elfique des mains d'Eylorn, qui combattait
à ses côtés, descendit promptement des remparts, prit une monture
et s'enfuit au galop dans la cité.
|
|
Théodorus terminait une
incantation, quand il entendit des cris de terreur s'élever à
proximité. Il se rendit à la fenêtre et vit une ombre imposante
gravir quatre à quatre les marches du Temple. Il courut à la grande
salle. Le Chevalier entra dans l'édifice, et monta le dernier
escalier. Il aperçut le Grand Prêtre agenouillé devant l'autel
sacré. Alors il se rua vers lui en sifflant. Mais lorsqu'il voulut
tirer son sabre pour l'abattre, sa lame resta dans le fourreau.
Il avait passé le porche du Sanctuaire. "Arrière Démon ! Tu profane
un lieu divin !" cria Théodorus. Mais le Chevalier poussa un rire
ignoble, et leva sa main qui s'enflamma de ténèbres, étouffant
toute la clarté qui régnait. Alors Elden lâcha sa corde, et le
cœur du Nécromancien fut transpercé par un trait de lumière. Avec
un sifflement de rage, il s'affaissa lentement sur le sol.
|
|
La situation au dehors
était critique. Plus les hommes détruisaient de créatures de l'ombre,
et plus il en venait, interminablement. Ahrin et sa troupe étaient
encerclés, à présent, et ils devaient aussi prendre garde au attaque
traîtresse des Rocs. La Phalange ne comptait plus, hormis Ahrin
lui-même, que deux chevaliers, et leur fin était proche.
|
|
Soudain, des roulements
de tambours primitifs résonnèrent, et le cœur d'Ahrin fut immédiatement
submergé de la lumière de l'espoir. Ils furent bientôt accompagnés
de chants harmonieux, puis de sonneries de cors de guerre. Alors,
lentement, aux sommets des collines alentour apparurent successivement
une gigantesque armée de monstrueux lézards, une autre de beaux
Elfes, accompagnés de Nains et de centaures, et enfin un contingent
de valeureux combattants de Xilbor. Puis l'assaut fut lancé. Temlak
s'élança en hurlant, suivit de Rion et d'Alkin, et des quatre
chevaliers d'Ahrin, et Thorgrim et Layboor firent de même. Le
choc fut effroyable. Les Nécromants et les barbares refluaient
en désordre. Les Dragons de Devongh calcinaient des dizaines de
morts-vivants, alors que leurs frères des marais empoisonnaient
nombre d'ogres et de Rocs. La cavalerie d'Elemaan balayait des
rangs entiers d'ennemis en une seule charge, et les hydres tuaient
les fuyards.
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|
Temlak combattait avec Ahrin
: "J'ai douté de ton soutien." lui dit le chevalier.
- Le jour où ce Dragon allait
me tuer, je doutais aussi du tien." A ce moment, Layboor de Manfred
les rejoignit, et ils frappèrent de plus belle.
De son côté, Alkin fut brusquement
désarçonné par une âme errante. Un ogre s'approcha et leva sa
massue, mais Rion lança un bouclier à son compagnon, qui dévia
le coup et le transperça de son glaive en se relevant. "A présent
nous sommes quittes." dit le jeune clerc en riant.
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Les Nécromants voyaient
leurs forces considérablement réduites à chaque assaut, et déjà
les barbares s'enfuyaient. Mais vers midi, le ciel s'assombrit
progressivement, et Ahrin devint inquiet. La Mort revint, avec
la peur qu'elle inspire. Une nouvelle armée s'avançait. La dernière
armée du Royaume Désolé, dirigée par le sombre état-major de Leetaax,
ses meilleurs généraux. Les troupes étaient innombrables, accompagnés
d'une compagnie entière de redoutables Chevaliers Noirs, et, pire
encore, de terrifiants Dragons Fantômes. Mais l'horreur saisit
tous les hommes lorsqu'ils reconnurent un obscur général. Ahrin
fut pétrifié, il baissa le bras, et l'Epée cessa son chant. Loanrek
les observait.
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Dans ses yeux brûlaient
une flamme rouge, la flamme du Mal. Son paraissait avoir traversé
des siècles. Il souriait toujours, mais d'un rictus sauvage et
démoniaque. A cette vue atroce, l'espoir quitta tous les coeurs.
Rion ferma les yeux.
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Le Mal chargea. Les forces
d'Elemaan livrèrent alors l'Ultime Combat, celui du Bien contre
le Mal, de la Lumière contre les Ténèbres.
Alkin et Temlak furent les
premiers à réagir. Au cœur de la bataille, ils décimèrent l'infanterie.
Et leurs troupes les appuyaient courageusement, tandis que leurs
Dragons se heurtaient aux Fantômes de l'ombre.
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Les Elfes, Eylorn à leur
tête, combattaient à le fois des Rocs, des morts-vivants et des
barbares. Beaucoup d'entre eux tombaient mais ils avaient prit
la décision de se battre jusqu'à la mort, et ne renoncèrent pas.
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Le jeune clerc se rua sur
son ancien maître, écrasant tous les obstacles qui l'empêchaient
d'atteindre son but. Il décapita un Chevalier Noir, d'un coup
sec, et abattit quelques squelettes. Sa rage était aveugle. L'image
du Grand Clerc, corrompu par le Mal, l'avait rendu fou. Loanrek,
lui aussi, galopait vers son disciple, l'arme au poing. Des flammes
jaillirent sous le choc. Rion fit tomber la foudre, mais son maître,
bien plus expérimenté, la dévia et le disciple tomba à terre.
Se retournant, il brandit son épée et tua net le cheval de Loanrek.
Tout en luttant par le fer, ils multipliaient les sortilèges.
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C'était un combat à mort.
Ensemble, Layboor et son vassal tenaient tête au plus dangereux
fléau des Nécromants, la Cavalerie Noire et ses généraux. Ils
chargèrent ensemble d'un même élan, et détruisirent plusieurs
Chevaliers, qui prirent peur pour la première fois devant l'insigne
d'Ahrin, puis ils tirèrent leurs épées et se battirent avec une
volonté inlassable. Mais les Nécromanciens connaissaient aussi
l'usage des sortilèges, et Layboor fut soudainement frappé par
un éclair sournois. Ahrin redoubla d'effort et de courage.
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L'affrontement dura jusqu'au
crépuscule, mais les forces obscures, plus nombreuses, eurent
le dessus. Les derniers combattants d'Elemaan étaient à bout de
forces. Mais à l'image d'Ahrin, ils persévéraient.
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Soudain, une immense colonne
de lumière jaillit du sommet de la voûte céleste et vint frapper
le Sanctuaire sur son pic rocheux. La lumière submergea les Terres
Hautes, et on raconte qu'on l'aperçut jusqu'à cent lieues au sud
de Middleshire. Quand les combattants aveuglés recouvrèrent leurs
sens, une vision les subjugua. Dans le ciel éclairé de leur lumière,
des Anges volaient.
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Alors les hommes d'Elemaan
ressentirent une nouvelle force en eux, et ils combattirent encore
plus fort, de toutes la vitesse et la force dont ils étaient capables.
Les Anges abattaient des
centaines d'ennemis de l'ombre, car rien ne pouvait leur résister,
et leur puissance était infinie. Les troupes barbares fuyaient.
Cette fois-ci la Mort était apportée par la Lumière, et les combattants
des ténèbres découvrirent le Désespoir.
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Rion et Loanrek étaient
toujours face à face. Le jeune clerc attaqua d'un mouvement rapide,
en faisant trembler la terre sous les pieds du Chevalier Noir,
mais celui-ci para l'assaut, et asséna un rude coup du pommeau
de son arme sur la nuque de son disciple qui tomba lourdement.
"Tu a toujours été trop impétueux, Rion." dit Loanrek en levant
son sabre. Mais son disciple, rassemblant ses dernières forces,
pivota sur lui-même et contra le coup de grâce. Et toutes les
forces mystiques des deux hommes s'affrontèrent. Ils restèrent
ainsi un long moment à lutter silencieusement. Mais la tension
était trop forte, le sabre de Loanrek cassa net et Rion, d'un
coup d'estoc imparable perça son cœur noir, et libéra ainsi son
âme de l'emprise du Mal.
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Ahrin, profondément exténué,
luttait seul, à pied, contre le dernier Chevalier Noir. Ce dernier
attaqua brusquement, mais le Chevalier de Lumière s'écarta en
levant sa lance, et l'abattit violemment dans le dos de l'assaillant.
Mais un Dragon Fantôme surgit brusquement et sa griffe lacéra
l'épaulière d'Ahrin, qui hurla sous la douleur et tomba à genoux.
Le monstre revint à la charge et le chevalier reçut un nouveau
coup contre son flanc. Alors il courut ramasser l'Epée Chantante,
et lorsque le Dragon attaqua de nouveau, il la planta de toutes
ses forces dans le poitrail du Fantôme. Et, tel une clameur de
victoire, le chant de l'Epée se mêla au hurlement d'agonie du
monstre, et aux cris des Anges mortels, qui exterminaient les
derniers Nécromants.
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Lorsque les Anges s'en
furent repartis vers les hauteurs divines, Rion fit ses adieux
à Alkin, qui regagnait les lointains marécages. Puis il chercha
Ahrin dans l'immense camp improvisé derrière le champ de bataille.
Il le trouva allongé près d'un arbre, entouré de ses lieutenants,
mortellement blessé. Alors Rion demanda à rester seul avec lui,
mais il ne dit rien, et se mit à pleurer. Ahrin lui souriait,
car il était calme et heureux, ce soir, libéré de ses peines et
de sa fatigue. Le jeune clerc le veilla bien longtemps. Et lorsque
que le chevalier rendit son dernier souffle, une nouvelle étoile,
plus scintillante que nulle autre, naquit dans le ciel d'Elemaan.
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KenDal
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