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La compagnie progressait
rapidement, galopant et galopant encore, ne faisant halte que
pour préserver leurs destriers. Les Terres Hautes de Xilbor étaient
fertiles et vallonnées, parcourues de nombreux ruisseaux à l'eau
claire. Les randonneurs étaient habituellement nombreux en cette
saison, appréciant la douceur de l'été et goûtant aux parfums
fleuris de ces vertes prairies. Mais il n'y avait personne ces
derniers jours. Les terres étaient belles mais désertes, silencieuses.
Les oiseaux même hésitaient à chanter, comme présageant une terrible
tempête.
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Le silence se faisait de
plus en plus oppressant alors que la nuit tombait. "
Il faut garder nos montures
fraîches le plus longtemps possible, avait dit Ahrin lors de la
dernière halte en flattant l'encolure de son cheval pendant qu'il
s'abreuvait. Nous aurons certainement besoin de toutes leurs forces…
tôt ou tard. "
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Et peut-être bientôt, avait-il
murmuré pour lui-même. Car ils approchaient rapidement de la forêt
de Devongh. Ahrin regarda de nouveau ces hommes, ces vingt cavaliers
que le Seigneur Layboor lui avait confiés. Ils étaient tellement
jeunes… tout comme lui. Des hommes braves dont le potentiel ne
pouvait que s'accroître. Pourquoi lui avait-on confié ces hommes
au lieu de champions expérimentés et confirmés ? Pourquoi l'avait-on
envoyé lui et pas Garion le Brave, Champion de Xilbor et capitaine
des armées, celui qui avait été son maître d'armes et qui lui
avait tout appris ?
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Malheureusement il connaissait
la réponse : il ne restait plus rien ni personne d'autre à envoyer
à Tanihis. Garion était mort. Il dirigeait la garnison de Trifor,
le premier château à être tombé aux mains des nécromanciens. Les
forces vives des hommes, chevaliers et paladins, étaient soit
tombées soit assiégées à Tanihis.
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Garion était comme un père
pour Ahrin. Il allait lui manquer terriblement. Rude et valeureux,
sage et fort, c'était le plus grand Héros de Xilbor. Refoulant
ses larmes, Ahrin contempla ses hommes de nouveau. Combien survivraient
parmi eux ? Lesquels tomberaient dans les sous-bois de Devongh
? Lesquels périraient dans les sables de Laanden ? Le plus jeune
cavalier était un barde du nom de Khored. Survivrait-il à tous
ces périls ? Savait-il manier l'épée aussi bien que la harpe ?
Ahrin espérait que oui car il appréciait ce ménestrel plus que
tout. Ils auraient besoin de lui et de ses chants, ses hommes
auront besoin de courage dans ce voyage long et périlleux.
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" Préparez les tentes et
reposez-vous, mes compagnons, dit-il aux cavaliers alors que la
nuit s'avançait. Demain, nous affronterons la forêt de Devongh.
"
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Départ à l'aube, allait-il
dire, mais ses hommes savaient depuis longtemps qu'ils partiraient
aux premières lueurs du jour. Il n'y avait pas une minute à perdre.
Tout pelotonné qu'il était dans sa couverture, Ahrin priait les
dieux pour qu'ils arrivent à temps à Tanihis.
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" Marchooons, chevaliers
! Laissons noos destriers
Parcourooons ces vallées jusqu'à notre arrivée
Eeerrooons, chevaliers ! A travers cooollines et prés
Griimpooons ces montagnes jusqu'à en être au sommet
Regardooons, chevaliers ! Le soleeeiiil monter
Et sa luuuumière briller - à travers ces bosqueeeeeeeeets… "
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La voix entraînante de
Khored fut bientôt rejointe par celle des autres cavaliers dans
cette chanson de marche. Le ton était joyeux, le chant était magnifique.
Cela faisait une heure déjà qu'ils avaient pénétré dans la forêt
de Devongh et qu'ils s'enfonçaient dans ses profondeurs. L'aspect
tordu et inquiétant des arbres, qui les avait effrayé et tenu
en silence pendant longtemps, paraissait plus naturel au son de
la harpe et des voix humaines. Les feuilles frémissaient, de plaisir
ou de rage. Ou peut-être tout simplement à cause du vent, se dit
Ahrin.
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" Reprenooons, chevaliers
! Nos montuuures éprouvées
Observooons au loin l'ennemi se rassembler
Galopooons, chevaliers ! Et nos lames aiguisées
Découp'rooont leur chair, les faucheront comme le blé
Reposooons, chevaliers ! Nos membres bleessés
Au soleeeeil bienheureux - à ses raaayons d'étéééééééééé… "
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Ahrin lui-même, inquiet
depuis l'aube au sujet des bandits de la région, se joignit à
Khored. Si le voyage se poursuivait à cette allure ils ne passeraient
qu'une seule nuit en ce lieu et le quitteraient avant le crépuscule
de la deuxième journée. Qui sait, peut-être que le bois était
plus court qu'indiqué sur les cartes ? Rares étaient ceux qui
avaient franchi la lisière de Devongh et aucun n'en avait fait
la carte. Cependant le sentier qu'ils suivaient était net et orienté
droit vers le nord en direction de Dyrale. Quelqu'un l'entretenait
certainement. Mais qui ? Et pourquoi ?
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Le son d'une branche cassé
vint le tirer de sa rêverie. Alors que Khored entamait sa troisième
strophe, Ahrin l'arrêta d'un geste. " Ce sont les brigands qui
ont fait cette route… afin de tendre une embuscade aux voyageurs
pressés ", se mit-il à penser tout haut.
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|
Toute la compagnie fit
halte derrière le chevalier. Quelque chose d'étrange se produisait.
Une brume épaisse s'était levée et les entourait ; un vent lugubre
mugissait d'une voix tourmentée ; les arbres torturés les menaçaient
de leur présence. C'était comme si leur chanson de marche avait
jusque là maintenu les ténèbres de la forêt à l'écart… privés
de sa protection, ils se tenaient tels des agneaux livrés aux
loups féroces.
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Pour couronner le tout
régnait ici une odeur inquiétante… les autres cavaliers semblaient
ne pas l'avoir reconnue, mais pour Ahrin cela ne faisait aucun
doute : c'était l'odeur de la mort, le parfum dégoûtant des cadavres
putréfiés laissés à l'abandon. Ahrin mit pied à terre et se couvrit
le visage.
|
|
" Restez là et tenez-vous
prêt, dit-il. Je vais jeter un coup d'œil. " Il ne tenait pas
à ce que l'ensemble de ses hommes assiste à ce spectacle funèbre.
Et si c'était des mort-vivants ? s'interrogea Ahrin. Mais il n'aurait
pas à aller bien loin pour en être certain. L'odeur était trop
forte.
|
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Le chevalier chercha en
vain un moyen pour faire le moins de bruit possible mais cela
s'avéra impossible dans une armure de plates avec tout ce bois
sec. Chacun de ses pas cassait une branche dans un " schkrak "
retentissant. Autant annoncer sa présence en sonnant les trompettes…
ou en chantant, comme ils venaient de le faire. Ahrin se reprocha
ces instants de relâchement qui auraient bien pu coûter la vie
à l'un d'entre eux. Il prit soin de vérifier plusieurs fois que
personne ne le guettait d'un arbre ou alentours et acquit la certitude
que chaque buisson pouvait cacher un ennemi mortel.
|
|
Il découvrit bientôt le
corps. Deux cadavres en vérité : un cavalier et sa monture. L'homme
portait une cotte de mailles légère déchirée et maculée de sang.
Une flèche lui transperçait les côtes, mais ce ne semblait pas
être la cause de la mort. Etant donné l'angle de son cou il s'était
certainement brisé la nuque en tombant de cheval. La monture était
criblée de traits sur les flancs et dans l'encolure. Ils n'avaient
pas mâché leur travail.
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|
Mais quelque chose intrigua
Ahrin. Etant donné l'état avancé de décomposition l'homme devait
être mort depuis déjà une semaine ou deux et pourtant aucun carnassier
ou charognard ne l'avait dévoré. Il y avait des traces de griffures
et de morsures assez nombreuses pour être elles-mêmes mortelles
mais elles paraissaient moins récentes. Un examen plus poussé
révéla même les marques nettes de coups de poignard et de cimeterre.
La flèche recouvrait l'une des blessures, comme si on l'avait
tiré à l'arc après l'avoir poignardé et laissé mordre par une
bête. Le bois et l'empennage des traits étaient intacts et ne
portaient aucune trace d'usure contrairement à l'ensemble de l'équipement
du défunt cavalier.
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|
L'homme était habillé d'une
tunique désormais rapiécée marquée d'un blason décoloré. Ahrin
n'eut aucun mal à reconnaître les effigies de Dyrale, un Griffon
doré sur fond écarlate. Le soldat possédait également une grande
sacoche de cuir usé aux lanières coupées. Elle contenait une couverture
épaisse, de nombreuses provisions de viande séchée ainsi qu'une
lettre cachetée frappée d'un sceau presque méconnaissable, de
Dyrale également. La monture portait d'autres sacoches remplies
de nourriture avariée depuis longtemps et de nombreuses outres
d'eau croupie.
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|
Il s'agissait d'un messager
qui faisait apparemment route vers la capitale. Mais quelque chose
clochait… la cité de Dyrale avait un élevage de griffons des plus
prodigieux. Ahrin comptait sur cette aide pour rejoindre Tanihis
au plus vite et lui apporter son soutien. Pourquoi avoir envoyé
un messager monté sur coursier au lieu d'un chevaucheur de griffon
comme ils en avaient l'habitude ?
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Soupirant de lassitude
devant ce mystère, Ahrin prit la lettre et héla ses compagnons.
Il fallait donner une sépulture décente à ce soldat et il ne pouvait
accomplir cela à lui seul. Ses hommes pâlirent en voyant le corps.
Il vaut mieux qu'ils durcissent leur âme maintenant, se dit Ahrin.
Ils n'en seront que plus valeureux face aux mort-vivants qui nous
attendent.
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Mais les cavaliers se reprirent
vite. Ils étaient d'une trempe courageuse et se mirent aussitôt
à creuser une sépulture sommaire pour ce combattant tombé. Ils
n'avaient pas de nom à graver sur un arbre ou sur la croix plantée,
et ils n'en inscrirent aucun. Khored chanta quelque chose pour
apaiser l'âme tourmentée du défunt messager, et Ahrin ne fit rien
pour l'en empêcher malgré la discrétion qu'ils devaient s'imposer.
Car désormais il fallait qu'ils se tiennent sur leurs gardes :
les brigands pouvaient les attaquer n'importe où, n'importe quand.
Ils connaissaient ces bois. Les soldats n'avaient malheureusement
d'autre choix que de suivre cette route, aussi dangereuse fut-elle.
|
|
" Enterrooons, chevaliers
! Nos compagnons pleurés
Nos amiiis de toujours que la guerre a prélevé
Et chantooons, chevaliers ! Pour tous ceux - tombés
Dans ce cooombat glorieux et que la mort a volé
Poursuivooons, chevaliers ! Sans jamais n'oublier
Que nous pouvons tomber - nous aurons voyagéééééééé… "
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La voix de Khored égrenait
la troisième strophe de leur chanson de marche, qui correspondait
parfaitement aux récents événements. Mais cette fois-ci, il chanta
seul.
|
|
Le chevalier Ahrin avait
décacheté et lu le courrier pendant l'enterrement : cela était
peu honorable mais pouvait lui en apprendre beaucoup plus sur
la situation de Dyrale. Et voici ce qu'il apprit : la cité était
en état de siège mais disait pouvoir se débrouiller par ses propres
moyens. Les éclaireurs de Dyrale avaient toutefois repéré une
immense armée de mort-vivants qui se dirigeaient droit vers la
capitale. Le Comte de la cité de Dyrale, le Seigneur Obéric, craignait
pour la sécurité de la nation et conseillait vivement au Seigneur
Layboor de conserver toutes les forces possibles pour protéger
les murs de la capitale. Il ne voulait aucun renfort et disait
avoir la situation bien en main. De plus, il assurait que l'assaut
sur Tanihis n'était qu'un leurre.
|
|
Ahrin était pensif depuis
lors. Ce message semblait lui enjoindre de faire demi-tour et
rejoindre le Seigneur Layboor de Manfred mais pourtant il poursuivrait
en direction de Dyrale. Cette lettre, comme la découverte du messager,
apportait plus de questions que de réponses. Dans le doute il
préférait s'en tenir à sa première quête : il avait fait le serment
de rejoindre Tanihis et d'en lever le siège, et c'est ce qu'il
ferait.
|
|
" J'ai besoin d'un volontaire
pour rebrousser chemin ", dit Ahrin. Tous ses hommes le regardèrent,
interloqués.
" Il faut faire parvenir
ce message au Seigneur Layboor de Manfred en personne ", reprit
le chevalier en brandissant la lettre. Personne ne se proposa.
|
|
" Ceci est très important.
Accepter relève de la plus grande bravoure et non de la lâcheté
comme vous semblez le croire. Ce message peut très bien sauver
le royaume tout entier !
- Sauf votre respect, Seigneur
Ahrin, aucun de nous ne souhaite vous fausser compagnie. "
|
|
C'était Khored qui venait
de prendre la parole. Ahrin acquiesça de la tête. Il allait devoir
désigner un volontaire. Il choisit Peredim, qui n'était pas le
plus jeune, mais qui était tombé malade en voyant le cadavre du
messager.
|
|
" Peredim, tu effectueras
ce voyage. Prends garde et ne lis cette lettre sous aucun prétexte.
Quand tu la remettras au Seigneur Layboor, dis-lui bien que c'est
moi qui l'ai décachetée. Dis lui également, de la part de son
serviteur le chevalier Ahrin, que les circonstances de la découverte
de ce message soulèvent de nombreux doutes quant à sa véracité,
et que mon instinct et mon honneur m'ordonnent de poursuivre la
quête qu'il m'a lui-même assignée. Fais vite, Peredim, et que
les dieux te protègent ! "
|
|
Peredim partit aussitôt.
Le chevalier attendit de ne plus entendre le galop du cheval avant
de s'adresser au reste des hommes.
" Mes compagnons, la cité
de Dyrale est en danger. Elle est assiégée par les nécromanciens.
Nous devons faire vite et leur manifester notre soutien avant
que l'espoir ne les quitte. En avant, chevaliers ! Au nom des
Manfred, montrons à ces infâmes que la victoire sera nôtre ! "
|
|
Les soldats se mirent en
selle rapidement et quittèrent ce lieu malsain. En se fixant un
but, Ahrin leur avait donné de la motivation et de l'espoir là
où il n'y en avait pas.
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|
|
|
La compagnie poursuivait
sa route aussi vite que le permettait la prudence. L'empressement
leur avait déjà coûté beaucoup : l'un des chevaux était tombé
sur un énorme piège à loup. Les mâchoires de fer lui avaient quasiment
broyé la jambe. Le destrier était devenu incapable de faire un
pas sans s'écrouler et n'avait aucun espoir de survie en cette
forêt… ils durent l'abattre sans délai.
|
|
Ils attachaient tous beaucoup
d'importance à leurs montures. Ce sacrifice leur avait coûté beaucoup
et leur moral s'en trouvait affaibli. Mais Ahrin savait qu'en
temps voulu ses hommes retrouveraient toute leur bravoure. Son
principal soucis était le temps qu'ils perdraient avec un cheval
portant deux cavaliers au lieu d'un. Ils n'avaient plus que l'équivalent
de dix-huit hommes montés.
|
|
Khored ne chantait plus.
Les événements récents avaient rappelé à tous la réalité des dangers
de cette forêt. Ils sentaient une présence autour d'eux, comme
s'ils étaient épiés à chaque instant. Ils avaient l'impression
qu'un millier d'yeux les suivaient, que des centaines de murmures
les maudissaient pour leur intrusion dans cette maudite forêt.
Aucun bandit ne s'était encore montré mais ils apercevaient par
moments une ombre se déplacer au milieu des feuillages, une silhouette
glisser furtivement entre les arbres, et entendaient des pas discrets
piétiner des branches lointaines.
|
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" Nous n'avons pas d'or
! s'écriait Ahrin à intervalles réguliers. Nous n'avons pas d'or
! Laissez-nous passer, au nom des Manfred ! "
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|
Et comme à chaque fois
retentissait un murmure étrange en réponse, comme si les arbres
eux-mêmes se moquaient et riaient de toutes leurs branches. Un
vent lugubre faisait bruisser les feuillages en un sinistre et
inquiétant concert.
|
|
Mais cette fois il y eut
une surprise : des flèches sifflèrent tout autour d'eux. Un cheval
touché à mort se cabra et hennit. Des silhouettes vêtues de noir
tombèrent des arbres comme des feuilles à l'automne et dégainèrent
coutelas et poignards.
|
|
" Vite ! La moitié vers l'est
et l'autre vers l'ouest ! Pour Dyrale ! Pour Tanihis ! Pour Layboor
! Sus aux brigands !
- SUS AUX BRIGANDS ! reprirent
en cœur les cavaliers. "
|
|
Le combat était acharné.
Ils avaient été pris en embuscade et les bandits étaient cinq
fois plus nombreux. Mais ces cavaliers étaient des combattants
entraînés, courageux et motivés, presque heureux d'affronter un
ennemi bien réel plutôt que les ténèbres menaçantes de cette forêt.
|
|
Le sabre d'Ahrin se levait
et retombait, encore et encore, abattant tous les brigands qui
l'entouraient. Son armure de plates et le carapaçon de sa monture
déviaient aisément les lames courbes des mécréants. Poussant sa
monture en avant, il en fit tomber plusieurs autres et chargea.
Il fallait à tout prix atteindre ces maudits archers ! Ses hommes
montés faisaient une cible idéale au milieu de cette mêlée. Son
destrier partit de son galop le plus rapide, esquivant les arbres
presque instinctivement, sautant les barricades et les trappes
disposées en chemin. En un instant Ahrin fut sur ses ennemis avec
quelques cavaliers à ses côtés. Leurs lances embrochèrent plus
d'un adversaire et le reste se dispersa dans les sous-bois. Ses
compagnons allaient les poursuivre mais le chevalier les rappela
aussitôt et ils rejoignirent la route au plus vite.
|
|
Khored avait mené l'autre
moitié de la compagnie dans une lutte acharnée pour éviter d'être
encerclé et atteindre les archers situés de l'autre côté. Mais
ils avaient rencontré un obstacle inattendu : une compagnie de
piquiers leur avait barré la route. Stoppés nets dans leur charge,
les cavaliers se défendaient de leur mieux mais ne pouvaient tenir
bien longtemps. Ahrin les rejoint juste à temps.
|
|
Hurlant des encouragements
à ses compagnons, il chargea à travers les rangs ennemis jusqu'à
atteindre Khored et ensemble ils combattirent et repoussèrent
leurs adversaires. Les bandits se replièrent dans les bois et
les cavaliers purent enfin souffler un moment.
|
|
La victoire leur avait
coûte bien cher : neuf d'entre eux étaient tombés au champ d'honneur
et sept chevaux avaient péri des flèches ou lances ennemies. Ahrin
ne disposait plus que de la moitié de ses hommes. Ils conservèrent
le cheval restant plutôt que de le laisser à ces infâmes brigands.
|
|
" Nos ennemis ne sont pas
que des bandits de grand chemin, dit Ahrin à ses compagnons. Ils
avaient des piquiers en armure et des archers entraînés. Ils doivent
posséder une garnison quelque part, certainement dans un château
fort comme les nôtres. " Il regarda alors ses frères tombés au
combat.
|
|
" Donnons une sépulture
à nos compagnons. Nous n'avons malheureusement pas le temps de
les mettre en terre, d'autres vies dépendent de notre célérité.
Nous ferons donc un bûcher. Nous brûlerons aussi les dépouilles
de nos ennemis car il ne faut pas laisser leurs cadavres à l'air.
Trop de nécromanciens pourraient en profiter. Si nous détruisons
les corps ils ne pourront rien en faire. "
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|
Ils accomplirent leur funeste
besogne aussi vite qu'ils le purent. Il y avait suffisamment de
branches mortes là où ils étaient mais les cavaliers rebroussèrent
chemin pour établir le bûcher dans une clairière dégagée. Les
lances des soldats furent plantées en cercle autour du tertre
funéraire où leurs corps furent brûlés. Les hommes gravèrent dessus
le nom de leurs défunts compagnons. Les cendres des cinquante
brigands abattus se trouvaient en tas non loin de là, à un endroit
moins honorable.
|
|
" Nous vengerons nos frères,
dit Ahrin d'une voix grave. Nous leur rendrons justice, les dieux
me sont témoins. Vous avez tous été courageux et valeureux, mes
compagnons. Les âmes des nôtres tombés vont veiller sur nous depuis
les cieux où elles reposent désormais. Saluons-les une dernière
fois, et mettons-nous en route. "
|
|
Khored chanta longtemps pour
apaiser les âmes défuntes. Il dit à Ahrin :
" Si je venais à tomber,
vous chanterez cela pour moi ? " Ahrin acquiesça de la tête, et
retint chacun des mots que prononçait le barde.
|
|
|
|
La nuit approchait et cela
ne présageait rien de bon pour les cavaliers. Ils avaient progressé
rapidement mais cette forêt semblait interminable. Les brigands
pouvaient revenir n'importe quand. Pire encore, la route bifurquait
désormais vers l'est et s'enfonçait plus loin dans la forêt. Le
chevalier devait choisir entre quitter le chemin et poursuivre
vers le nord à travers bois ou suivre la route en espérant qu'elle
bifurquera de nouveau. Dans un cas comme dans l'autre cela impliquait
une importante perte de temps. Et du temps, Ahrin en manquait
déjà cruellement.
|
|
Il fallait prendre une
décision, et vite. Il était déjà trop tard pour poursuivre bien
loin au risque de se perdre dans la forêt ou de tomber dans une
nouvelle embuscade.
|
|
" Les bandits doivent s'attendre
à ce que nous campions pour la nuit, dit Ahrin. Nous serions beaucoup
trop vulnérables et cela leur laisserait le temps de nous préparer
une nouvelle embuscade. Nous devons poursuivre, mes amis. Il fait
déjà trop sombre pour s'enfoncer dans la forêt, nous suivrons
donc la route tant que nous le pourrons. Prions pour qu'elle nous
mène à Dyrale. "
|
|
Le chevalier prenait beaucoup
de risques en choisissant de chevaucher vers l'est. De nuit, les
étoiles cachées par les feuillages, ils seront bien incapables
de connaître la direction empruntée. Mais c'était son choix. Camper
était inutile, ils n'étaient pas assez nombreux pour établir une
bonne garde. Et les sous-bois paraissaient encore bien plus inquiétants
qu'une éventuelle embuscade tendue sur la route.
|
|
Malheureusement cette décision
paraissait de plus en plus mauvaise. Le chemin tournait, virait
et bifurquait tant et tant qu'aucun parmi eux ne savait vers où
ils se dirigeaient, bien qu'ils aient tous la très nette impression
que ce n'était certainement pas vers le nord.
|
|
" Regardez ! " s'écria
l'un des cavaliers en montrant du doigt des buissons éloignés.
La mine grisée par la fatigue et l'inquiétude, Ahrin sortit de
sa torpeur pour observer… et il les vit.
|
|
Une centaine de petites
lumières blanches et brillantes, à peine plus grosses que le poing,
dansaient et virevoltaient dans tous les sens, se rapprochant
manifestement d'eux. L'une d'entre elles vint même jusqu'à toucher
le visage du chevalier… c'était une silhouette féminine, il en
était certain. Elle riait et tournoyait autour de lui comme si
rien d'autre n'existait… et en cet instant aucun homme ne pensait
à rien d'autre qu'à observer ces magnifiques créatures et à rire
avec elles. Car leur balai était fantastique, on croirait même
entendre une musique à travers leurs mouvements, une musique belle
et lancinante, les incitant à danser, à festoyer, à dormir… l'une
des créatures invita Ahrin de ses gestes et de son chant.
|
|
Les petites fées s'éloignaient
progressivement et les cavaliers ne purent faire autrement que
les suivre.
|
|
" Ne les suivez pas… "
murmura Ahrin ou du moins essaya-t-il de dire. Car il était lui-même
incapable de se l'ordonner, ignorant toute prudence en poursuivant
les lumières et quittant le chemin. Il se savait victime d'un
enchantement mais ne pouvait faire autrement que s'y soumettre…
son cheval trottait puis galopait vers les merveilleuses créatures,
comme répondant à un appel extérieur. Ahrin et ses hommes pouvaient
à peine s'accrocher à leur monture, ayant seulement conscience
de vivre un rêve éveillé.
|
|
Mais la flèche les tira de
leur rêverie. Elle s'était plantée à moins d'un mètre du chevalier.
Ahrin cligna trois fois des
yeux, et dégaina son sabre, stoppant sa monture hypnotisée en
tirant de toutes ses forces… le cheval se cabra, hennit mais obéit.
|
|
" Attention cavaliers,
c'est une embuscade ! " cria-t-il à l'intention de ses hommes.
Mais Ahrin s'aperçut bien vite à leur mine hébétée que cela était
inutile. " A MOI, CHEVALIERS DE XILBOR ! " hurla-t-il en y appliquant
toute sa volonté. Ses hommes réagirent bien que mollement. " COMPAGNIE
! En cercle, prêts à charger ! " ordonna le chef. La compagnie
forma rapidement les rangs, agissant plus par instinct qu'en véritable
conscience.
|
|
" Cela ne sera pas nécessaire,
dit une douce voix depuis les buissons.
- Et pourquoi ? répondit
Ahrin sur un ton ferme.
Il avait observé la flèche plantée devant lui et il en reconnut
l'empennage : c'était le même trait qui avait abattu le messager
de Dyrale.
- Nous ne sommes pas vos
ennemis.
Il y eut un silence rempli d'une tension inquiétante.
- Je ne vous crois pas, répondit
Ahrin.
Il leva son sabre, prêt à ordonner la charge, mais distingua de
nombreuses silhouettes tout autour d'eux et hésita un moment.
- Nous vous avons vu affronter
les brigands. C'était un grand combat.
Ces bandits sont également nos ennemis, reprit la voix douce.
C'est une voix de femme, se dit Ahrin. Mais cela ne doit pas troubler
ma raison.
- Poursuivez, ma dame. Après
une seconde d'hésitation, la femme reprit :
- Vous allez nous aider à
les combattre.
Le ton était doux mais assuré, calme mais impératif.
- Je m'y refuse, ma dame.
- Oh ? dit la voix plus amusée
que surprise.
Et pourquoi ? Auriez-vous peur ?
- Vous devez déjà savoir
que non, ma dame.
- Alors pourquoi ?
- Pour de nombreuses raisons.
Premièrement, nous ne connaissons rien de vous.
Deuxièmement, nous ne sommes pas assez nombreux et pas suffisamment
renseignés.
Troisièmement, nous n'en avons pas le temps.
Et enfin, je n'ai pas confiance en vous.
- Je peux vous renseigner
et je connais les raccourcis qui vous feront sortir de la forêt
avec aisance. Que faut-il que je fasse pour gagner votre confiance
?
- Que vous répondiez à une
simple question, ma dame.
- Laquelle ?
- Un messager de Dyrale est
passé par ici. Est-ce vous qui l'avez abattu ?
- Oui. Ahrin leva son sabre
avec vigueur, mais hésita avant d'ordonner la charge.
Ses hommes trépignaient sur place. Mais si le bon sens lui intimait
de ne pas croire la femme et d'attaquer l'instinct le poussait
à ne pas le faire. Il ne sut pas pourquoi mais il croyait cette
femme, et il la savait généreuse et juste.
- Attendez, ordonna Ahrin
à l'intention ses soldats. Poursuivez, ma dame. Pourquoi avez-vous
fait cela ?
- Nous l'avons abattu, mais
nous ne l'avons pas tué.
Ahrin fronça les sourcils.
Le messager était déjà mort, dit-elle.
- Expliquez-vous ! Car comment
pouvez-vous l'abattre s'il était mort bien avant ?
Etait-ce un mort-vivant ?
- C'est exact, répondit la
voix. Vous faites preuve d'une grande sagesse.
- Et de suffisamment de bon
sens pour demander de nouvelles explications. Comment saviez-vous
qu'il était mort ? Etait-il décomposé ?
- Non, reprit la voix. Il
était très bien conservé malgré son état. Mais la forêt nous a
dit :
" Celui là n'est pas vivant, il faut le détruire ". Alors… nous
l'avons détruit.
- Vous dites que la forêt
vous a parlé ?
- Oui. La forêt parle mais
vous ne l'entendez pas, la forêt marche mais vous ne le voyez
pas. La forêt souffre aussi, mais vous l'ignorez. Notre peuple
la comprend et la soutient, réparant le mal que commettent les
hommes à son encontre.
- Votre peuple ?
- Le peuple des Elfes, les
gens au cœur chantant vivant dans les bois et les forêts.
- Parlez moi du messager,
maintenant, reprit Ahrin.
- Il n'y a pas grand chose
de plus à en dire. Il voyageait vers le sud à vive allure. Nous
l'avons abattu juste avant qu'il ne s'échappe. Nous aurions pu
le neutraliser bien avant mais les bandits l'ont protégé.
- Les brigands sont de mèche
avec les nécromanciens ?
- Oui, mais pas depuis longtemps.
Un seigneur est venu, un chevalier sans âme. Il a organisé les
brigands et abattu leur ancien chef. Il a fait construire un château
fort du nom de Noirchâteau sur les vestiges de leur modeste campement.
Il les a entraîné et formé au combat. Il a failli nous anéantir.
- Comment cela ?
- Il a détruit le Vieil Arbre,
le cœur de la forêt. Des siècles de sagesse se sont alors perdus,
et la voix de la forêt ne fut plus jamais la même… il a ensuite
repéré la clairière où se reposaient nos chevaux, les merveilleux
Pégases d'Argent. Usant de magie noire et de ruse, ses hommes
sont venus dans la nuit avec des filets et les ont capturés puis
ramené à Noirchâteau pour accomplir d'ignobles sacrifices. Il
est dit qu'il invoque les ténèbres pour corrompre la forêt, et
certains arbres ont le cœur noir depuis. Nous sentons que la forêt
devient malveillante, que certaines de ses voix sont sournoises.
- Mais quel est le nom de
ce sinistre seigneur ?
- Il se fait appeler Kragg.
"
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Ahrin s'arrêta un moment
pour réfléchir. Kragg était un chevalier félon qui avait mené
une rébellion contre les Manfred. De nombreux seigneurs corrompus
s'étaient réunis sous sa bannière et avaient organisé la chute
du royaume par perfidie et trahison. Seul le courage de Garion
le Brave a pu sauver les seigneurs de Manfred. Garion avait rassemblé
des volontaires et affronté les traîtres dans les murs du palais
de Xilbor, empêchant ainsi l'assassinat du Seigneur Layboor et
de ses vassaux. Puis il a mené quelques poignées de soldats à
travers le royaume, passant chacun des félons au fil de l'épée
et remportant bataille après bataille au nom de la justice. Kragg
avait pris la fuite jusque dans le Royaume Désolé, suivi de près
par le chevalier Garion, seul homme à oser se risquer dans ces
régions. Il est dit qu'un duel s'ensuivit dans ces terres sinistres
et que Garion abattit son ennemi après un long combat.
|
|
Mais les nécromanciens
ont du s'occuper de la dépouille de ce traître… Ahrin inspira
un grand coup. De son vivant déjà, Kragg était un grand combattant.
Sa condition de mort-vivant l'a certainement rendu plus fort.
Mais le chevalier Ahrin se jura, maintenant que Kragg était à
sa portée, de l'anéantir une bonne fois pour toutes.
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|
" Nous allons vous aider,
annonça-t-il.
Mes hommes et moi assiégerons le château avec les vôtres et Kragg
sera éliminé ou chassé.
- Toute la forêt vous en
remercie, grand chevalier.
- Cependant je dois vous
avouer une chose : il nous faudra faire vite car j'ai besoin de
votre aide.
- Et en quoi pouvons-nous
vous assister ?
- Les cités de Dyrale et
de Tanihis sont assiégées par les forces des ténèbres. Alliez-vous
à nous, et aidez-nous à repousser les envahisseurs…
- Et pourquoi ferions-nous
cela ? dit la voix de manière moins douce en le coupant. Est-ce
que vous l'exigez en échange de votre aide contre Kragg et ses
hommes ?
- Non, ma dame. Je vous aiderai
gratuitement, vous avez ma parole. Mais je vous supplie de nous
porter secours… au nom de tout ce qu'il y a de bon, de juste et
d'innocent. "
|
|
Ce fut au tour de la dame
de réfléchir longuement. Ahrin en vint presque à douter d'elle,
à se demander si après avoir vaincu Kragg ses hommes ne seront
pas tout simplement reconduit à la lisière de Devongh. Mais non,
il s'était fié à son instinct et ce dernier ne l'avait jamais
encore trompé.
|
|
" J'accepte. Les peuples
des Elfes, des Arbres et des Humains attaqueront le château de
Kragg. Puis les Elfes poursuivront avec les hommes. Nous vous
montrerons les raccourcis, et nous nous joindrons à la libération
de Dyrale. Mais nous n'irons pas plus loin car nous ne pouvons
nous éloigner plus de la forêt de Vertefeuille, ou Devongh comme
vous vous plaisez à l'appeler aujourd'hui.
|
|
Ahrin ne put retenir les
exclamations des cavaliers. Partout résonnaient des " Hourra !
Hourra ! Hourra pour les Elfes des bois ! ".
Khored mit pied à terre et lança de sa voix chantante :
|
|
" Permettez, ma dame, mais
j'ai une requête à vous soumettre.
- Quelle est-elle ? dit la
voix douce sur un ton pressant.
- Accordez-moi, reine des
forêts, que je sois votre champion et votre chevalier servant,
fit Khored en s'agenouillant.
Une fois Tanihis libéré, je reviendrai dans ces bois. Je serai
alors votre bouclier et votre glaive, votre serviteur loyal et
dévoué, car mon cœur vous est déjà acquis.
- Comment ? Mais vous ne
me connaissez guère…
- C'est exact, dit Khored
en fronçant les sourcils. Permettez que je corrige cet écart…
puis-je m'enquérir de votre nom, vous dont la voix me rafraîchit
comme la douce brise du printemps ?
- Yenloëth, répondit la voix
en riant.
- En ce cas, Dame Yenloëth,
acceptez-vous mes services ?
- Je ne sais… dit la voix,
hésitante. "
|
|
Il y eut ensuite un instant
de pure magie. Une silhouette s'avança entre les arbres en direction
des cavaliers… et la plus belle des femmes apparut devant eux.
Ses longs cheveux étaient d'un noir somptueux et envoûtant, ses
yeux avaient la couleur éclatante des feuilles au printemps. Elle
était grande et sauvage, d'une beauté inaccessible… elle s'approcha
de Khored, littéralement figé, et posa sa main délicate sur son
front.
|
|
" J'accepte, dit-elle lentement
de sa voix la plus douce. Sois béni, cavalier Khored, et relève-toi,
premier chevalier de Vertefeuille. Car je suis Yenloëth, reine
de ces bois, et tu es désormais mon champion.
- Moi, Khored, fais ici le
serment de vous servir et de vous protéger, de la vie au trépas
! "
|
|
" Hourra pour le chevalier
Khored ! " lança Ahrin. " HOURRA POUR LE CHEVALIER KHORED ! "
reprirent les cavaliers. Car le chevalier Ahrin appréciait la
tournure des événements. Il ne doutait pas que le Seigneur Layboor
allait approuver la nomination de Khored en tant que chevalier.
Il pensait même que tous ses compagnons deviendraient au moins
champions du Royaume s'ils survivaient au siège de Tanihis. Je
prie pour que ces hommes survivent, pensa Ahrin, surtout ce jeune
Khored au cœur si vaillant. Je préférerai donner ma vie plutôt
que le laisser mourir.
|
|
" C'est à mon tour de remercier
le peuple des Elfes, reprit le chef des cavaliers à l'intention
de Yenloëth. Ensemble nous libérerons cette forêt puis la cité
de Dyrale.
- Mais tout d'abord, vous
devez vous reposer, reprit la dame. Nous nous occuperons de préparer
le siège.
- Dans un premier temps j'aurai
juste besoin de catapultes.
- Et c'est tout ?
- Non, mais j'ai déjà un
plan. "
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|
Les chevaliers suivirent
ensuite les Elfes jusqu'à leur campement un peu plus loin. Ils
y festoyèrent longtemps et se reposèrent dans la joie pour la
première fois depuis le début de ce périlleux voyage.
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|
La compagnie d'Ahrin se
tenait droite et fière devant Noirchâteau. Ils firent sonner les
trompettes et s'annoncèrent pour la troisième fois.
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|
" Que Kragg le Félon, chevalier
déloyal ayant trahi tous ses serments, se présente aux portes
! Qu'il ose affronter le châtiment qu'il mérite ! Moi, le chevalier
Ahrin, le défie devant la justice ! ". Mais cette fois, il y eut
une réponse…
" Et quel est ce châtiment
? dit une voix grave, moqueuse et effrayante. Quel est ce sort
que vous autres pitoyables vermisseaux me réservez ?
- Le pire des châtiments
pour la pire des trahisons, reprit Ahrin sans se laisser influencer.
La mort !
- Ah ! La mort, hein ? s'exclama
Kragg. Désolé, je la connais déjà. "
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|
Les cavaliers aperçurent
un chevalier en armure noire en haut de la plus haute des tours
de ce château sinistre. Ce devait être le terrible Kragg. L'homme
fit un signe aux archers postés le long des remparts. Alors que
les cavaliers s'attendaient à être bombardé de traits, un seul
projectile fut lancé et atterri à une dizaine de mètres de la
compagnie. Et tous étouffèrent une exclamation d'horreur… car
ce projectile n'était autre que la tête de Peredim, celui qu'Ahrin
avait dépêché vers Layboor pour lui transmettre un message des
plus urgents.
|
|
" J'ai l'impression que
ce lâche de Layboor ne sera jamais au courant de ce que vous aviez
à lui dire… " lança Kragg d'un ton malsain. Une flèche avec une
lettre attachée fut tirée depuis les remparts et se planta à côté
de la tête du pauvre Peredim. Ahrin était blême, déglutit mais
maîtrisa ses émotions. La vie de ses hommes en dépendait.
|
|
" Il est dommage, en effet,
que les nécromanciens ne parviennent pas à leur fin, lança-t-il.
Car le message que cet homme avait à transmettre était erroné,
nous l'avions repris sur un soldat de Dyrale… le même que tu as
protégé, Kragg, il n'y a pas si longtemps.
- Tu me fais rire, Ahrin-le-fou.
- N'est-il pas vrai que les
nécromanciens ont abattu un messager de Dyrale qui traversait
les sables de Laanden en direction de Tanihis ?
- Et qu'est-ce qui te fait
croire ça ?
- Sa monture transportait
suffisamment d'eau pour une semaine de voyage. Or s'il allait
vers le sud dès le départ, là où chaque jour il est possible de
s'abreuver dans les rivières fraîches coulant entre les collines
et prairies, il n'en aurait pas eu besoin. La vérité est qu'il
se rendait au nord, que les nécromanciens l'ont pris, tué et envoyé
vers le sud avec un faux message. Tu avais ordre de le protéger
mais tu as échoué. J'ai commis l'erreur d'envoyer son courrier
vers Layboor mais tu as abattu mon messager. Par ta faute le plan
des nécromanciens est un échec. Par ta faute Layboor va dégarnir
la capitale pour envoyer des renforts vers Tanihis. Je pense que
tes maîtres ne vont pas être très satisfaits… " Sur ces mots,
Ahrin s'avança vers la lettre.
" Arrêtez-le et reprenez
cette lettre ! ordonna Kragg, furieux. Tuez-le ! Tuez-les tous
! "
|
|
Les portes massives de
Noirchâteau s'ouvrirent et un petit groupe de cavaliers se lança
sur eux, bientôt suivi par une cinquantaine de piquiers et tout
autant de brigands. Ahrin attendit que les portes se referment
derrière eux, puis leva son sabre… c'était le signe pour le reste
des troupes. Les catapultes firent alors feu simultanément, faisant
trembler les remparts par leurs tirs experts. La compagnie d'Ahrin
reçut la charge avec talent et prit les ennemis sur les flancs…
en même temps, selon le plan conçut par Ahrin, entraient en scène
le reste de ses alliés.
|
|
Les arbres eux-mêmes s'avancèrent
et entourèrent les soldats ennemis… se riant des carreaux d'arbalète
tirés depuis les remparts, les Homme-Arbres dardèrent leurs branches
sur des ennemis terrorisés. Les flèches fusèrent de tous côtés,
faisant tomber les soldats sous les traits meurtriers. Et les
Druides de l'Arbre Sacré, mobilisés exceptionnellement pour venger
la forêt de ses tourments, psalmodièrent et envoyèrent sur leurs
adversaires des projectiles magiques d'une terrible puissance.
Ils ciblèrent ensuite les archers sur les remparts alors même
que les tirs chanceux des catapultes ouvraient des brèches dans
les murs.
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|
Les cavaliers combattaient
ardemment au nom de Peredim et de leurs compagnons tombés. Ahrin
lança ses hommes à travers les ennemis déstabilisés et aussi peu
nombreux qu'ils furent ses cavaliers furieux percèrent les rangs
adverses et franchirent leurs lignes. Les piquiers cherchèrent
en vain à s'interposer, empêtrés qu'ils étaient dans des bosquets
vivants, et les bandits en déroute s'enfuyaient en tous sens pour
se trouver piégés dans les branches des Hommes-Arbres.
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Une fois au niveau des
remparts la compagnie s'élança sans aucun mal à travers la seule
brèche faite dans les murs et chargea les arbalétriers qui se
croyaient à l'abri derrière les murs.
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Le sort de la bataille
s'était presque joué en un instant. La sortie avait mené l'armée
de Kragg à sa perte… mais alors que les cavaliers massacraient
les derniers arbalétriers, quelque chose d'étrange se produisit.
Les ennemis abattus se relevèrent lentement, le regard vide d'expression,
et se jetèrent sur la compagnie… les chevaux paniqués se cabrèrent
et hennirent, difficilement maîtrisables. Ahrin n'avait que peu
de temps pour reprendre la situation en main.
|
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" En avant, cavaliers de
Xilbor ! Au nom des Manfred ! Au nom des Elfes ! Au nom des Hommes
! SUS AUX MORT-VIVANTS ! "
La clameur des compagnons
résonna jusqu'à l'extérieur des murs. Les zombis furent transpercés
de lances et piétinés par les chevaux. Ahrin aperçut alors les
portes du donjon intérieur s'ouvrir et un cavalier s'en échapper…
|
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" KRAGG ! appela-t-il. Lâche,
tu ne t'enfuiras pas ! " Il lança sa monture, lance en avant…
Kragg se tourna et éperonna son destrier pour en faire autant.
Les deux chevaliers poussèrent leur cri de guerre… leurs chevaux
étaient poussés au maximum de leur vitesse.
Le choc fut terrible. Les
deux lances se brisèrent et Ahrin fut projeté au sol.
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" Bonjour, preux chevalier,
dit la voix de l'ange.
- Suis-je mort ? demanda
Ahrin.
- Non, bien sûr que non,
répondit l'ange. "
Ahrin soupira. Il se rendormit
presque aussitôt.
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Le lendemain, Ahrin se
leva pour de bon. Il sortit de la pièce où il se trouvait… mais
à peine avait-il ouvert la porte et fait quelques pas qu'il dut
reculer sous les vivats et les acclamations. Toute la compagnie
se trouvait là. Il ne put prendre la parole que quelques minutes
plus tard.
|
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" Mais où suis-je ? s'enquit
Ahrin en observant la magnifique cour où il se tenait. Ce fut
Khored qui lui répondit :
- Bienvenue dans le Château
de Vertefeuille, Seigneur Ahrin. Anciennement nommé Noirchâteau,
représentant le fief de Kragg le Félon, mais désormais palais
de la forêt et terre du Seigneur Ahrin, le Fléau de Kragg.
- Mais ces terres appartiennent
aux Elfes…
- Et les Elfes vous l'offrent,
enchaîna Yenloëth. En témoignage de notre gratitude pour tout
ce que vous avez accompli hier en notre nom.
- Je ne sais que dire, Dame
Yenloëth…
- Et bien ne dites rien,
tout simplement, reprit Khored.
- Mais vous parlez de la
bataille… d'hier ?
- Oui, seigneur Ahrin, vous
êtes resté en convalescence pendant plus d'une journée.
- Mais c'est impossible !
Il nous faut nous équiper tout de suite ! Dyrale est assiégée
! enchaîna Ahrin en proie à la panique.
- Calmez-vous, mon bon seigneur,
dit la douce voix de Yenloëth. Nos éclaireurs ont observé les
mouvements des nécromanciens et vos ennemis hésitent encore à
prendre la ville d'assaut. De plus nous connaissons des voies
détournées pour rejoindre Dyrale, et avons déjà annoncé à ses
habitants notre prochaine arrivée. Les citadins ont retrouvé l'espoir,
ils peuvent encore tenir longtemps. Vous vous êtes battu contre
Kragg et vous avez fait une mauvaise chute…
- Et Kragg ? S'est-il échappé
?
- Echappé ? dit Khored en
riant. Que nenni ! Kragg se tenait encore sur sa monture et la
faisait pivoter pour vous piétiner, riant aux éclats de votre
mauvaise chute. Mais soudain il tituba… et vit la lance qui lui
avait littéralement transpercé le cœur. La pointe ressortait de
son dos… seul sa condition de mort-vivant l'avait maintenu debout
jusque là, à mon avis. Kragg s'écroula, mort pour la seconde fois.
Nous avons brûlé ses restes et dispersé ses cendres pour plus
de sûreté.
- Et comment suis-je encore
en vie ? J'ai l'impression qu'un bélier m'a enfoncé le torse !
- Et c'était le cas, reprit
Khored. Dame Yenloëth vous a soigné pendant tout ce temps. Vous
pouvez remercier votre écu ou plutôt ce qu'il en reste, sur lequel
la lance de Kragg se brisa. Vous joutez bien, seigneur Ahrin,
et j'espère de tout mon cœur ne pas avoir un jour à vous affronter
en tournoi ! "
|
|
Toute l'assemblée éclata
de rire. Ahrin était transporté d'une joie indescriptible, limitée
seulement par l'absence de trois compagnons supplémentaires, tombés
pendant le siège de Noirchâteau. Cela ne l'empêcha de préparer
aussitôt leur départ pour la cité de Dyrale.
|
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|
Franchement, Ahrin se demandait
si l'idée du Pégase était bonne.
Ils avaient pris leur envol
depuis moins de trois minutes mais les vertiges d'Ahrin lui laissaient
envisager la pire des catastrophes. Il n'avait de cesse d'imaginer
ce que serait sa chute, combien de temps il aurait pour hurler
avant de s'écraser en bas…
|
|
Mais une chose était indéniable,
le vol était superbe. Il admirait les rayons de soleil se profiler
sur les étendues nuageuses, tel un feu rougeoyant éclairant la
voie céleste. Il ne cessait de s'étonner de la beauté des étendues
boisées de Devongh au sud, de la splendeur aride du désert de
Laanden au nord, et de la merveilleuse Dyrale qui siégeait beaucoup
plus bas. Il put également apprécier avec précision le nombre
de régiments de squelettes et zombis qui s'étaient rassemblés
autour de la cité pour en mener le siège… et pressa Yenloëth de
faire fi de sa panique et de lancer le Pégase au plus vite en
direction de Dyrale.
|
|
Ahrin et Yenloëth étaient
partis seuls. Le reste de leur modeste armée avait emprunté des
passages souterrains connus uniquement des Elfes, accessibles
depuis les racines du Vieil Arbre. Ces tunnels aboutissaient juste
derrière les lignes des nécromanciens et même au-delà selon les
Elfes, bien qu'ils n'aient jamais osé poursuivre plus avant. Ahrin
avait laissé le soin à Khored de diriger la troupe pendant qu'il
s'entretiendrait avec le seigneur Obéric et organiserait une sortie
afin de prendre les ennemis entre deux feux.
|
|
Le cheval ailé les déposa
en haut de la cour. Le Seigneur Obéric les attendait déjà. Il
fut à peine surpris par l'apparition de Yenloëth et du pégase
éclatant.
|
|
" Bienvenue, Seigneur Ahrin,
lança Obéric de manière lasse.
- Je vous salue, Seigneur
Obéric. Cependant votre ton m'inquiète.
- Malheureusement, où trouver
l'espoir ?
- Nos troupes sont suffisantes,
si elles son bien exploitées, pour anéantir l'ennemi !
Que vous faut-il de plus ?
Vous disposez de largement suffisamment d'arbalétriers, de hallebardiers,
d'hommes d'armes et de griffons, je les ai vu depuis les cieux
!
- Hélas non, reprit Obéric.
Hélas non… Les griffons ont toujours été l'apanage de Dyrale.
Cette espèce royale ne peut être trouvée nulle part ailleurs dans
les Hautes Terres de Xilbor. Mais s'ils nous en restent beaucoup,
ils n'interviendront pas.
- Et pourquoi cela, par tous
les dieux ? Ahrin était tellement en colère qu'il en perdait la
notion de l'étiquette.
- Il y a une semaine, des
mercenaires orques à la solde des nécromanciens ont pénétré en
secret dans la cité et enlevé les œufs de griffons. Les rares
femelles ont été massacrées et ils purent s'enfuir dans le nord
malgré tous nos efforts.
- Pourquoi les griffons ne
cherchent-ils pas à combattre et se venger ?
- Les nécromanciens ont annoncé
que s'ils participent au combat les œufs seront détruit et leur
progéniture perdue à jamais. Avec la mort de toutes les femelles,
c'est la race même des griffons royaux qui disparaîtra à tout
jamais. Les griffons ne prendront pas ce risque même si cela leur
coûte énormément.
- Où les œufs sont-ils retenus
?
- Les mercenaires sont partis
dans le désert de Laanden et se sont établis dans l'une des cavernes
des Montagnes de Cuivre. Nous ne pouvons y accéder à cause des
armées mort-vivantes qui nous en barrent l'accès… et de toute
façon, un assaut serait puni par l'exécution immédiate de tous
les bébés griffons. Quel horrible sort…
Obéric paraissait vraiment peiné, mais Ahrin n'avait plus le temps
désormais d'y accorder de l'importance.
- Préparez vos troupes pour
une sortie, Seigneur Obéric, dit Ahrin en montant le Pégase d'argent.
Nous prendrons les forces nécromanciennes par l'arrière alors
qu'elles s'avanceront vers vous, neutralisant ainsi leurs tireurs
en premier.
- Mais sans les griffons
nous sommes perdus…
- Je m'en vais chercher les
œufs. Faites-moi confiance et préparez-vous à une sortie dès l'aube
prochaine.
" Et Ahrin s'envola aussitôt.
Obéric restait blême, hurlant au chevalier de renoncer immédiatement.
|
|
|
|
" Prenez garde, les amis,
chuchota Ahrin à ses sept compagnons. Nous approchons de la caverne.
Si les œufs s'y trouvent il faut les prendre et les emmener ici
sans délai. Que trois hommes restent ici pour les ranger dans
les sacs et les attacher aux chevaux. Khored et les trois autres
vous serez avec moi dans le groupe chargé de s'en emparer. Nous
aurons probablement plusieurs voyages à faire. "
|
|
Dès le retour de leur chef
les cavaliers avaient mis le cap vers le nord. Les souterrains
menaient en effet beaucoup plus loin et comme Ahrin le pensait
ils communiquaient avec les Montagnes de Cuivre. En vérité l'un
des passages menait même jusqu'à la cache où les mercenaires orques
et gobelins gardaient les derniers œufs des griffons royaux.
|
|
L'exploration des tunnels
ne s'était pas avérée trop fastidieuse, le plus dangereux ayant
été l'attaque soudaine d'une soixantaine de troglodytes. Mais
les Elfes les accompagnaient encore à ce moment et ils purent
aisément les faire battre en retraite. Le plus dur restait à faire.
|
|
Le tunnel montait et montait
encore dans l'obscurité. Leurs torches éclairaient à peine le
chemin escarpé… mais au bout du passage brillait une lumière douce.
" Ergon, va voir de quoi
il s'agit ", murmura Ahrin à l'un de ses hommes.
|
|
Ergon s'avança aussi silencieusement
que possible. La compagnie avait temporairement troqué ses lourdes
armures contre des protections en cuir plus souples et plus discrètes.
Après avoir jeté un rapide coup d'œil à l'intérieur, il revint
beaucoup plus blême auprès de ses compagnons.
|
|
" Ce… ce… ce sont les œufs,
fit-il en bégayant. Les œufs qui brillent. Mais…mais… il y a un
problème… un… un… un Dragon.
- Un Dragon ? répéta stupidement
Ahrin. De quel type ?
- Un Dragon maudit, un Dragon
d'Os. "
|
|
Parfait, pensa le chef
de la compagnie, nous voilà face à un Dragon, et sans armure ni
monture de surcroît. Heureusement ce n'est qu'un Dragon d'Os !
|
|
" Bien, reprit Ahrin pour
montrer l'exemple à ses hommes. Le seul avantage est que si un
Dragon d'Os garde les œufs des griffons, les mercenaires orques
ne sont certainement pas dans le coin.
- Mais comment pourrions-nous
le vaincre, seigneur Ahrin ? demanda Khored.
- Espérons tout simplement
que nous n'aurons pas à la faire. "
|
|
Il franchirent les derniers
escarpements, laissèrent un homme muni d'une torche dans le tunnel
et pénétrèrent un par un dans la caverne après avoir déposé leurs
flambeaux. La lumière des œufs baignait la caverne de merveilleux
reflets dorés. L'on reconnaissait là les œufs des griffons royaux,
seuls à pouvoir rivaliser de beauté avec ceux des terribles Dragons.
Mais un squelette immense entourait les œufs posés en tas… il
paraissait impossible de les récupérer sans pénétrer à l'intérieur.
Le Dragon d'Os était vraiment terrifiant. Il restait immobile,
comme plongé dans un profond sommeil. Ahrin n'aperçut aucune lueur
dans les orbites vides de ses yeux, il ne vit aucun mouvement
des vertèbres ou des griffes. Peut-être n'est-ce qu'un Dragon
mort depuis bien longtemps ? se mit-il à espérer. Il fit signe
à ses compagnons de s'avancer vers les œufs pendant qu'il explorait
le reste de la caverne. Il avait repéré un tas brillant non loin
: c'était certainement de l'or, un cadeau inespéré pour la guerre
qui s'annonçait.
|
|
Un énorme rugissement lui
glaça le sang. Figés sur place, les soldats paniquèrent en voyant
le squelette s'animer soudainement… La créature se releva de toute
sa stature et poussa de nouveau de son hurlement ténébreux.
|
|
" En avant, compagnons
! Ne tremblez pas face à cet amas d'ossements, faites face et
combattez dignement ! " lança Ahrin et chargeant la créature.
Mais malgré toute leur bravoure, ses compagnons n'osèrent attaquer.
Seul Khored s'avança à ses côtés.
|
|
La bête prit son envol
et dépassa les chevaliers pour fonder sur les trois combattants
effrayés. En un instant elle fut sur eux... Ergon chercha en vain
à interposer sa lame, mais le Dragon d'Os s'en moqua et le prit
dans sa gueule. Les crocs blanchis par l'âge lui broyèrent les
chairs alors que la créature affermissait sa prise.
|
|
" VITE ! Allez prendre
les œufs ! hurla Ahrin à l'intention des deux hommes restant.
Toi aussi, Khored ! Je m'occupe de ce monstre… " Le chevalier
ignorait totalement comment il pourrait vaincre la créature mais
il espérait la distraire suffisamment longtemps pour que ses amis
s'emparent des précieux œufs de griffons.
|
|
Il dégaina sa grande épée
et frappa l'une des griffes de toutes ses forces… sans provoquer
autre chose qu'une mince éraflure. Un saut de côté le mit à l'abri
de la riposte. Saisissant l'opportunité, Ahrin plongea à l'intérieur
du Dragon d'Os et le frappa de nombreuses fois dans les côtes.
Le monstre essaya alors de l'écraser sous lui… mais le chevalier
s'échappa par les espaces de la cage thoracique et lui asséna
plusieurs coups sur les vertèbres. La créature prit alors son
envol et Ahrin s'accrocha du mieux qu'il put… il escalada les
longues pointes dorsales avec difficulté. Il parvint jusqu'au
crâne du Dragon… hurlant tel un forcené, levant son épée à la
verticale, il la plongea à l'intérieur… le cartilage épais fut
transpercé et la lame s'enfonça jusqu'à la garde dans la tête
du monstre rugissant. Ahrin se trouva propulsé par un mouvement
brusque du monstre. Les yeux de Dragon d'Os rougeoyaient d'une
lueur maléfique et haineuse. Ce coup prodigieux aurait eu raison
de n'importe quel Dragon… mais pas d'une telle créature morte
depuis si longtemps. Le Dragon d'Os n'était pas encore défait.
Oh que non, il était juste très en colère…
|
|
" Tenez, seigneur ! " dit
Khored en lui lançant sa lame. Les deux autres soldats venaient
de s'enfuir dans le tunnel, le dos chargé d'œufs de griffons.
Khored les suivait de près. Mais il restait encore au moins un
autre voyage à accomplir… et Ahrin doutait de pouvoir tenir si
longtemps.
|
|
Le gardien des œufs semblait
avoir oublié tout de sa mission. Il n'avait plus qu'une chose
en tête : éliminer cet imprudent, ce fou furieux qui avait cherché
à le détruire. La créature cherchait à la happer de ses griffes,
à le prendre dans sa gueule… Ahrin n'avait d'autre choix que de
se défendre en escrimant et esquivant du mieux qu'il put. Il se
trouva rapidement acculé à la paroi rocheuse de la caverne. Il
aperçut du coin de l'œil ses hommes s'avancer vers les œufs… mais
il vit également d'autres silhouettes se ruer dans leur direction…
les mercenaires orques ! Le Dragon d'Os le chargea et buta contra
la paroi. Les choses se corsaient terriblement…
|
|
|
|
Le Seigneur Obéric observait
les dernières lueurs du jour avec une profonde tristesse. La sortie
serait pour le lendemain, tous ses hommes en étaient informés.
Un acte désespéré au vu des légions de mort-vivants qui se tenaient
de l'autre côté. Alors qu'il songeait au nombre de braves qui
tomberaient sur le champ de bataille, un garde vint le trouver
dans la cour extérieure.
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" Seigneur Obéric, fit-il
en s'agenouillant, j'ai de bien graves nouvelles. L'armée ennemie
s'est mise en marche au crépuscule et se prépare à un assaut direct.
- Grands dieux ! lança Obéric.
Sonnez l'alerte et mobilisez tous les hommes. Dyrale ne doit pas
tomber cette nuit ! ".
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Le seigneur s'avança jusqu'aux
remparts et contempla les masses de mort-vivants attroupées de
l'autre côté. Sans l'aide des griffons, les soldats seraient bien
incapables d'éliminer les puissantes liches qui constitueraient
leur principale force de frappe.
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Il plaça ses arbalétriers
sous l'escorte de nombreux hallebardiers et autres régiments d'hommes
d'armes. Les rares cavaliers dont il disposait furent disposés
à proximité des moines de l'Ordre Divin, les prêtres sacrés de
Dyrale, dont la foi allait peut-être ce soir sauver la cité tout
entière. Les légions de squelettes et de zombis s'avançaient lentement
alors que les remparts tremblaient sous le feu des catapultes.
Une aura maléfique s'avança sur les gardes postés… de nombreux
soldats tombèrent au sol en proie aux plus horribles souffrances
avant de passer de vie à trépas. Les liches avaient frappé. Les
arbalétriers firent pleuvoir en retour des nuées de projectiles
mortels afin de ralentir l'avancée des cadavres vivant. Les moines
en appelèrent à leur divinité sacrée, qui leur accorda suffisamment
de pouvoir pour repousser les créatures ennemies et en abattre
de nombreuses. Mais il y en avait toujours plus…
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Obéric observa avec crainte
une nuée de chauve-souris se rapprocher des remparts. N'importe
qui aurait pris cela comme quelque chose de négligeable… mais
pas un vieux seigneur comme lui qui avait connu tant de guerres
contre les nécromanciens. Il prépara ses hommes à recevoir l'assaut
des terrifiants vampires, laissant entrevoir des failles là où
il n'y en avait pas afin de les piéger par la suite. Et cette
stratégie fut un succès complet. De nombreux hallebardiers et
homme d'armes tombaient, mais la cavalerie poursuivait les vampires
partout où ils attaquaient, réduisant rapidement leur nombre.
Parfois un nosferatu se relevait guéri de ses blessures après
s'être repu d'un soldat, parfois d'autres tombaient en cendres
le cœur percé par les lances des champions. Le faible nombre d'hommes
montés fut assisté dans sa tâche par les régiments d'hommes d'armes.
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Pendant un instant Obéric
crut que la victoire était possible. Un instant seulement.
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De nouvelles vapeurs mortelles
se formèrent autour de ses hommes et les firent tomber raides
morts. Les zombis et goules s'étaient plongés dans les douves
et s'engageaient dans les maigres brèches alors qu'arbalétriers
et moines avaient déjà fort à faire avec les nosferatu. La bataille
était mal engagée…
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Quelque chose d'étrange
se produisit alors : les vampires prirent leur envol et se replièrent
dans la plus grande panique. Même les zombis et goules hésitèrent
et revinrent en arrière. Les créatures mort-vivantes qui avaient
investi la cité furent rapidement abattues par les hallebardiers
et Obéric lança sa cavalerie à la poursuite des autres. Car il
savait ce qui se produisait : les Elfes de Devongh avaient pris
l'ennemi par l'arrière ! Moines et arbalétriers bombardèrent les
lignes ennemies une nouvelle fois, faisant choir squelettes et
zombis comme des épis de blés alors que les troupes de Dyrale
faisaient une sortie.
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Des lueurs blanches brillaient
dans le ciel au reflet de la pleine lune : l'on reconnaissait
sans mal la robe laiteuse et merveilleuse des Pégases d'Argent
de Yenloëth. Se jetant sur les vampires ennemis, leur chef, reine
de Devongh, lança au milieu des étoiles :
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" Tous ensemble, gens de
Dyrale ! Luttons et tenons bon ! Car les griffons viennent ! Les
griffons viennent ! "
Une grande clameur monta
parmi les soldats qui chargèrent alors les troupes ennemies avec
un courage renouvelé. Au-dessus d'eux se firent entendre les premiers
cris des griffons royaux qui se joignirent au combat.
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La victoire était leur
mais ils n'avaient pas le temps de la fêter. Tanihis était assiégée
depuis bien trop longtemps et le pire était à prévoir.
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Les armées mort-vivantes
s'étaient repliées après avoir subi de lourdes de pertes. Elles
faisaient route vers Tanihis. Bien qu'au premier abord on puisse
supposer que les ennemis souhaitaient rejoindre leurs alliés qui
menaient le siège, Ahrin avait une toute autre théorie.
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" Ils foncent droit vers
le nord, mais s'arrêteront au niveau des avant-postes fortifiés
pour les tenir contre nous. " Obéric regarda ce chevalier avec
le plus profond respect. Il était revenu couvert de blessures
de son raid pour récupérer les œufs et voulait poursuivre sans
plus attendre. " Il faut que nos hommes s'emparent du poste de
gardes avant eux. Nous n'avons pas le choix. Sans leurs liches
ils ne pourront pas le reprendre rapidement.
- Mais avez-vous perdu la
raison ? lança l'un des capitaines du seigneur Obéric. Nos hommes
sont fatigués et blessés. Jamais nous ne pourrons rejoindre ce
poste fortifié à temps !
- Nous progresserons en marche
forcée et nous contenterons d'écraser ces mort-vivants en route
ou de les forcer à emprunter un chemin moins rapide. Nous devons
rejoindre Tanihis avant eux !
- Mais comment diable ferions-nous
?
- J'ai un plan, dit Ahrin
avec un sourire généreux. Tout d'abord, nous prendrons avec nous
tout l'or que Dyrale pourra offrir. Cela nous facilitera la traversée
des sables… Dame Yenloëth, reprit-il en changeant de sujet, nous
vous remercions pour l'aide que vous avez apportée. Vous avez
accompli déjà beaucoup pour nous, et…
- Comment, un remerciement
et c'est tout ? Et vous croyez que je vais vous laisser vous jeter
sous les cimeterres gobelins et dans les gueules des Dragons d'Os
sans surveillance ? Oh que non ! Les Elfes vous accompagneront
jusqu'à Tanihis, chevalier Ahrin !
- Hourra pour la Reine de
Devongh ! " lança Ahrin bientôt repris par ses hommes. Car le
chevalier lui devait déjà beaucoup : alors qu'il se trouvait à
combattre une dizaine de gobelins dans les ténèbres des souterrains,
elle et ses Elfes étaient venus jusqu'à eux pour les soutenir.
Ses Pégases d'Argent avaient ensuite porté les œufs plus vite
que le vent pour les offrir aux griffons royaux dans leurs nids
célestes et avaient par la même occasion sauvé Dyrale de la ruine.
" L'ensemble des Seigneurs de Manfred vous doit déjà beaucoup,
Dame Yenloëth, mais nous avons en effet encore besoin de vos services.
Il vous faudra guider les Pégases d'Argent et les Griffons Royaux
de Dyrale vers cet avant-poste. Votre armée sera ainsi infiniment
plus rapide que la nôtre et que la leur et vous pourrez prendre
l'avant-poste sans difficulté avec vos troupes volantes. Notre
cavalerie menée par le chevalier Khored se tiendra légèrement
en retrait pour se joindre à vous au cas où les légions mort-vivantes
lanceraient tout de même un assaut désespéré. Seigneur Obéric,
nous dirigerons l'armée de Dyrale le plus rapidement possible.
Nous rejoindrons Tanihis… et ce même si ce n'est que pour y mourir
d'épuisement ! "
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La traversée du désert
de Laanden n'était pas chose aisée. Les centaines de hallebardiers
et d'hommes d'armes peinaient dans la contrée sableuse, les chevaliers
en armure suaient toute leur eau sous le soleil de plomb. La cité
de Dyrale avait presque été vidée de tout défenseur : les seuls
à rester pour garder les murs étaient les blessés légers et graves.
Ahrin regretta l'absence de Khored, partit devant eux avec la
cavalerie, mais se rappela soudain qu'il devait avoir la voix
trop desséchée pour chanter de toute manière.
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Mais malgré toute cette
chaleur Ahrin poussait les soldats à accélérer l'allure. Beaucoup
tombaient d'épuisement puis étaient allongés sur des chevaux endurants
mais déjà courbus de fatigue. Ils progressaient vite mais pas
suffisamment, et les oasis aperçues n'étaient à chaque fois que
des mirages… seul le charisme d'Ahrin et d'Obéric maintenait les
hommes motivés pour continuer.
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On aperçut bientôt des
contreforts montagneux à l'horizon. Et là il ne s'agissait pas
d'une vulgaire illusion : droit au nord se tenaient les Montagnes
de Cuivre. L'armée devait s'engager dans une vallée idéale pour
une embuscade, la Passe du Cimeterre, ou contourner les montagnes
et perdre plusieurs jours. Ahrin avait décidé de prendre le risque
et d'emprunter la vallée. Il savait pourtant parfaitement que
les mercenaires gobelins devaient être légions par ici. Les Seigneurs
des Manfred avaient toujours jugé inutile de pacifier les tribus
barbares de Laanden, occupées qu'elles étaient le plus souvent
dans des querelles intestines.
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Au milieu de la vallée
il parut aux soldats que le pire était passé. Mais des rochers
chutèrent tout autour d'eux… et ce n'était pas du à une avalanche.
Des groupes de cyclopes jetaient les projectiles meurtriers depuis
les hauteurs des plateaux. Ne voyant aucun moyen pour les atteindre,
Ahrin ordonna d'avancer encore plus vite et de se mettre à l'abri.
Les cavernes autour d'eux vomirent alors gobelins et loups géants
à leur encontre. Confiants dans leur embuscade, les Cyclopes commirent
l'erreur stupide de descendre dans la vallée pour dévorer les
soldats. Le chevalier fit sonner les cors de bataille et éperonna
sa monture pour charger l'ennemi. Les gobelins tombèrent rapidement
sous les carreaux d'arbalète et les loups féroces furent arrêtés
nets par les rangées de hallebardes puis abattus par l'infanterie
lourde. Les cyclopes se montrèrent beaucoup plus redoutables mais
étaient, heureusement, bien trop peu nombreux.
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Décidément, les orques
ne savaient vraiment pas compter. Ils avaient lancé l'assaut sur
un groupe trois fois plus nombreux et avait annulé leur avantage
d'embuscade par une charge stupide.
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Ahrin observa toutefois
les cieux avec inquiétude alors qu'un groupe de Rocs décrivait
des cercles au-dessus de leur armée. D'autres ombres ailées apparurent
un peu partout… Ahrin reconnut sans mal les terrifiants Dragons
d'Os. Mais les mort-vivants fuyaient vers le nord, poursuivis
par les Rocs belliqueux… apparemment les barbares s'étaient retournés
contre les nécromanciens !
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Ahrin sourit en songeant
à l'or qu'ils avaient offert à des éclaireurs barbares deux jours
plus tôt. Personne ne savait à l'époque si les sauvages avaient
compris leur requête. Désormais la traversée de Laanden allait
être beaucoup plus aisée avec les Rocs comme alliés. Mais le chevalier
ordonna à ses hommes d'écourter leur halte et de presser le pas
: personne ne savait combien de temps allait durer leur loyauté.
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L'armée de Dyrale avait
rejoint Khored et Yenloëth trois jours plus tard. Les nécromanciens
avaient attaqué l'avant-poste… mais une fois leurs Dragons d'Os
détruits ils avaient lâchement battu en retraite.
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La grande armée faisait
désormais route vers Tanihis. Tous virent bientôt la cité autrefois
splendide, qui désormais n'était que ruine et cendres. Les plaines
étaient encombrées de nombreux régiments de mort-vivants se dirigeant
droit vers leurs troupes. Une nuée de chauve-souris mit le cap
vers eux alors que les liches anciennes prenaient position e haut
des collines. Les nécromanciens avaient tout mis en œuvre pour
prévenir la libération de Tanihis.
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Les yeux pleins de larme
devant ce spectacle désolé, Khored chanta de sa voix la plus claire,
dominant les hurlements du champ de bataille :
|
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" Nos villages sont brûlés,
leurs cendres dispersées.
Mais dans ces braises éteintes résonnent encore leurs plaintes.
Nous les entendons tous, ils veulent être vengés !
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Cavaliers de Xilbor ! L'ennemi
est déjà loin
Mais la vengeance nous guidera
De la nuit jusqu'au matin.
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Nos montures nous porteront
Plus vite que le vent
Nos lances les frapperont
Enhardies par nos chants.
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Jamais nous ne tomberons,
toujours nous poursuivrons.
Par delà la mort nous chevaucherons encore
Guidant les glaives de nos frères vers le cœur de l'ennemi
Et au son du cor seront fauchés leurs corps
Car pour venger les nôtres, nous leur ôteront la vie ! "
|
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Ahrin fit sonner le rassemblement
puis s'adressa rapidement à Khored : " Nous devons rejoindre la
cathédrale au plus vite. Peu importe les pertes humaines que nous
subirons, elles ne seront rien en comparaison de ce qui se passera
si les nécromanciens parviennent à ouvrir leur Porte des Enfers.
"
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|
Puis il lança à l'ensemble
des soldats : " EN AVANT, SOLDATS ! POUR LA LIBERTE ! POUR LA
VIE ! POUR LES MANFRED ! ! ! ! " et chargea à la tête de ses hommes,
Khored à sa droite, le vieil Obéric à sa gauche, et les Pégases
d'Argent de Yenloëth au-dessus de lui.
|
|
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|
Ahrin titubait et boitait
en gravissant les marches de la cathédrale. Son corps était couvert
de sang mêlé : il y avait le sien sang mais également celui de
ses ennemis… et celui de ses frères. Leurs pertes avaient été
nombreuses. Le chevalier doutait même qu'il y ait encore des survivants.
De toute manière rien de tout cela ne comptait désormais, car
il avait échoué.
|
|
Ils étaient arrivés trop
tard.
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|
Le chevalier gravit encore
péniblement les dernières marches. Il franchit les colonnes autrefois
magnifiques du temple suprême. Les Archidiables faisaient déjà
résonner leurs hurlements terrifiants, leurs légions démoniaques
avaient massacré leurs troupes et poursuivaient en quête d'autres
cités à détruire. Tanihis la grande, le joyau de ces contrées,
n'était plus qu'un amas de cendres.
|
|
Ahrin chassa du pied les
cadavres de dizaines de diablotins alors qu'il parvenait aux portes
voûtées du bâtiment. Il distingua sur le côté le cadavre du seigneur
Obéric, tombé en affrontant courageusement d'innombrables ennemis.
Il ne voyait plus Khored, ce jeune barde si vigoureux, celui qu'Ahrin
considérait presque comme son fils. Il ne se rappelait même plus
à quel moment du combat il l'avait perdu de vue, pressé qu'il
était de rejoindre la cathédrale.
|
|
Et maintenant il s'y trouvait,
il l'avait rejointe. Mais il était trop tard.
|
|
Les portes s'ouvrirent
sans difficulté. Dehors résonnaient encore de nombreux affrontements,
lutte acharnée de soldats désespérés contre des ennemis trop nombreux.
A l'intérieur régnait un calme presque monastique.
|
|
Devant Ahrin se trouvait
la fameuse Porte des Enfers, celle qui avait lâché tant de tourments
sur le monde. Il s'agissait d'une sorte de voûte gigantesque auréolée
d'une lueur maléfique. De l'autre côté, on voyait des dizaines
de corps se tordre dans d'horribles douleurs. De l'autre côté,
on distinguait le désespoir s'emparer des cœurs et distiller dans
l'âme son poison mortel. De l'autre côté, on apercevait des dizaines
de démons griffus assoiffés de sang, pressés de dévaster les terres
paisibles de Xilbor.
|
|
Le chevalier franchit encore
quelques mètres avec peine. Le sol était jonché de cadavres de
paladins, de démons et de restes de chevaliers de la mort. Le
combat avait du être acharné. Mais comment détruire cette porte
? se demanda Ahrin. Elle ne semblait pas avoir de structure propre.
|
|
Ce fut alors qu'il le vit.
|
|
L'homme en armure était
resté assis sur les bancs, complètement immobile. Il se leva et
s'avança lentement… Reconnaissant le blason des chevaliers de
l'Effroi, capitaines des armées des ténèbres, Ahrin dégaina prestement
son épée. La créature fit de même, le fixant froidement de ses
yeux rouges et maléfiques.
|
|
" Tu es revenu, Ahrin ",
dit-elle d'une voix glaciale.
Mais malgré ce ton dénué de sentiment le chevalier reconnut là
la voix de Garion, son ancien maître, celui qui lui avait tout
appris alors qu'il n'était qu'un page ignorant tout de la voie
de la chevalerie. " Garion ? demanda Ahrin. Est-ce toi ?
- Qui d'autre, Ahrin ? Qui
d'autre aurait pu mener les légions de mort-vivants à vaincre
encore et encore et à s'emparer de Tanihis ? Qui d'autre aurait
pu écraser les paladins de l'Ordre du Phénix, gardiens de la cathédrale
sacrée qui garantissait la prospérité des Seigneurs de Manfred
? L'homme en armure souleva alors la visière de son casque. Et
derrière les runes de malédiction, derrière les motifs démoniaques,
se trouvait un visage pâle mais serein, froid mais empli de sagesse.
Le teint était trop pâle, les yeux n'étaient plus que le miroir
d'une âme damnée pour l'éternité… mais il s'agissait bien de Garion,
Garion le Brave, héros de tous et véritable père pour Ahrin.
- Mais pourquoi ? Ahrin sentit
ses larmes couler alors que des vagues de souvenirs l'assaillaient.
Garion ne pouvait être la créature damnée présente devant lui.
Pourtant, la démarche, la façon de parler, toutes les manières
de ce chevalier de l'Effroi lui ressemblaient tellement…
- Ahrin, je t'ai appris tant
de choses. Mais ce que la vie après la mort peut apporter je ne
pourrai te l'enseigner… à moins de te tuer. Sur ces mots le chevalier
extirpa une grande épée enfoncée dans le corps de l'un des paladins.
- Non, Garion, je ne veux
pas me battre…
- Alors laisse toi faire
et rejoins-moi dans l'au-delà. Les choses sont tellement plus
simples désormais. Tu verras… je t'amènerai devant Leetaax, la
plus ancienne des Liches de Puissance, et elle fera de toi le
plus parfait des généraux.
- Non, Garion, cela ne sera
JAMAIS, dit Ahrin en se reprenant et essuyant ses larmes. Je ne
souhaite pas te combattre mais ne deviendrais jamais comme toi,
un être dénué d'âme et de bonté, un misérable laquais asservi
par la plus noire des magies.
- Et qu'es-tu pour Layboor
si ce n'est un laquais ? dit Garion en soupirant de lassitude.
De toute manière tu n'as pas à être d'accord, je ne l'étais pas
moi non plus. Une fois mort tu te poseras moins de questions…
Garion s'avança encore de quelques pas.
- Non, fit Ahrin en reculant
et tremblant. Non, je ne veux pas t'affronter, Garion. Laisse
moi passer, laisse moi détruire cette Porte des Enfers, au nom
de ce que tu as été. Car tu aimais cette terre avant de mourir,
tu aimais les gens qui la peuplaient, et tu n'avais qu'un seul
désir, celui de détruire Leetaax, le Seigneur Nécromancien qui
t'a vaincu.
- Avant de mourir, peut-être,
mais il est trop tard maintenant. Ainsi tu veux détruire la porte
? Un simple coup d'épée suffirait. Impressionnant, non ? Toute
l'œuvre des puissances mort-vivantes pourrait être anéantie… d'un
simple coup d'épée. Il restera bien sûr les hordes d'archidiables
déjà lâchées sur le monde, amplement suffisantes pour envahir
tout Xilbor. Oh, c'est vrai, j'oubliais… je suis le gardien de
la Porte. Avant d'accomplir tous ces actes héroïques et blasant,
il te faudra donc m'affronter ! "
|
|
Celui qui avait été Garion
chargea alors son ancien écuyer avec toute l'énergie que lui avait
accordé sa seconde vie. Ahrin se défendit du mieux qu'il put mais
n'avait ni la force ni la volonté de combattre. Tout espoir était
perdu pour lui. Son épée retomba et le chevalier s'écroula complètement
épuisé, à la merci de Garion, après seulement quelques passes
d'armes.
|
|
" Non, non, beaucoup trop
facile… " lança le chevalier de l'Effroi en reculant et redonnant
son arme à Ahrin.
Le combat reprit plus intensément.
Mais là encore Ahrin malgré tous ses efforts ne fit pas le poids
face aux compétences martiales de son ancien maître. Il s'écroula
de nouveau, désarmé.
|
|
" Pitoyable " reprit Garion.
" J'ai encore beaucoup à t'apprendre, jeune Ahrin. Heureusement
il nous reste l'éternité… " Il leva son épée au-dessus d'un Ahrin
défait et désespéré. La pointe s'abattit droit vers son cœur…
et rencontra une autre épée dans une gerbe d'étincelles.
|
|
" Relevez-vous, seigneur
Ahrin ! lança la voix chantante de Khored le barde qui engageait
le combat. Relevez-vous et combattez, que diable ! Il y a cette
Porte à détruire ! " Les coups d'épée se succédaient alors que
Khored cherchait à vaincre un ennemi invincible.
|
|
" DEBOUT, CHEVALIER DE
XILBOR ! " lança finalement le jeune homme. Sa voix résonna à
travers chaque voûte de la cathédrale. Le jeune guerrier reçut
alors une méchante estafilade sur le côté. Il recula et céda du
terrain devant Garion qui reprenait peu à peu l'initiative.
|
|
Au moment même où Ahrin
se relevait, le chevalier de l'Effroi accomplit une botte avec
maîtrise et perfection. La lame du barde fut déviée et la pointe
de l'épée de Garion s'enfonça dans sa poitrine jusqu'à la garde.
Ahrin et Khored hurlèrent ensemble, l'un de désespoir et l'autre
de douleur. Garion retira son arme et recula, triomphant.
|
|
" Ja… jamais… nous ne tomberons,
toujours… nous poursuivrons… murmurait Khored blessé à mort, essayant
vainement de relever son arme.
Par delà… la… mort… nous chevaucherons encore… dit-il en vacillant
en laissant choir son épée.
Guid… guidant… les glaives… de nos frères… vers le cœur… de l'ennemi…
fit-il en s'écroulant dans les bras d'Ahrin. Un mince filet de
sang s'écoulait de sa bouche.
Et… et… au son… du… cor… seront fau… fauchés… leurs corps… " murmura-t-il
d'une voix faible. Un dernier spasme l'anima alors et il rendit
son dernier soupir.
|
|
" Car pour venger les nôtres,
nous leur ôteront la vie ! " acheva Ahrin les yeux pleurant.
Le chevalier se releva alors
empli d'une nouvelle énergie. La haine et la colère qui l'animaient
transformaient son corps entier en un instrument de vengeance.
|
|
" TOI ! hurla-t-il à l'intention
de Garion. TOI ET TON MAITRE ! JE VAIS VOUS DETRUIRE ! "
Ahrin chargea alors un Garion
presque surpris. Le combat fut acharné et violent. Le chevalier
de l'Effroi avait déjà mené de nombreux affrontements pour s'emparer
de la cathédrale et la guerre avait déjà épuisé son adversaire,
pourtant les deux guerriers luttaient âprement avec des forces
renouvelées.
|
|
Ahrin commençait à prendre
l'avantage après de longues minutes de duel. Pris au dépourvu,
Garion essaya d'effectuer la botte qui avait eu raison de Khored…
mais il avait oublié, dans son mépris des autres, qu'il l'avait
déjà enseignée par le passé à un jeune et valeureux écuyer qu'il
combattait désormais.
|
|
Ahrin reconnut la manœuvre
et en connaissait la parade. Fort de son nouvel avantage il accomplit
une deuxième botte, de sa propre conception, et plongea sous la
lame de son adversaire pour passer dans son dos.
|
|
Au moment où Garion se
retourna il avait déjà l'épée d'Ahrin plongée dans son ventre.
Cela ne l'arrêta qu'un moment… le chevalier de l'Effroi hurla
et leva son arme. Ahrin tourna son épée et la fit remonter dans
le torse de l'ennemi. Garion hurla de plus belle… et abattit sa
lame.
|
|
Ahrin retomba au sol, grièvement
blessé, se vidant de son sang. Son ennemi leva de son nouveau
son arme pour livrer le coup de grâce… il tomba à genoux, en proie
à l'agonie… Garion releva la visière de son casque, comme pour
respirer un air dont il n'avait plus besoin… il s'écroula et rendit
finalement l'âme avant d'accomplir son dernier méfait.
|
|
Les yeux de Garion se fermèrent
lentement. A l'heure de sa seconde mort son visage apaisé inspirait
la confiance. Il avait repris les traits de Garion le Brave, ce
héros courageux qui avait défié les forces du mal jusqu'à les
poursuivre dans leur repaire. Ce preux chevalier qui était tombé
malgré tout… cet homme qui avait pris il y a bien longtemps un
jeune orphelin encore gamin sur ses genoux et lui avait chanté
les mille et une vertus de la chevalerie.
|
|
Cet orphelin était allongé
à ses côtés, en proie à la souffrance du corps et de l'âme. Mais
Ahrin reprit son souffle dans un hoquet de douleur. Il ne pouvait
mourir maintenant. Il avait encore une chose à accomplir.
|
|
Le chevalier rampa sur
les derniers mètres, laissant une longue traînée de sang épais
derrière lui. Il entendait les hurlements démoniaques se rapprocher.
Il sentait des démons se ruer vers la Porte pour empêcher sa destruction.
Ahrin leva son épée.
|
|
" Retournez aux Enfers, dévots
et suppôts ! Retournez aux Enfers et n'en revenaient JAMAIS !
"
Il lança son arme sur la
Porte au moment où de longues griffes en surgissaient. Que ce
soit sous l'effet de la force de sa volonté ou du simple contact
de l'acier, la texture de la fissure se troubla rapidement. Des
éclairs de saphir frappèrent les colonnes de marbre et brisèrent
les vitraux, des hurlements inhumains résonnèrent à des lieues…
puis il n'y eut plus rien, rien que des arcs électriques et l'écho
terrifiant de ces cris.
|
|
Quelques secondes plus
tard un tremblement secoua tout le bâtiment. Des fissures zébrèrent
les piliers et les murs et les derniers vitraux volèrent en éclat.
Je vais mourir enseveli, pensa Ahrin alors que d'énormes blocs
de pierre chutaient tout autour de lui. Mais il était bien trop
blessé pour se mettre à l'abri. D'une certaine manière il lui
importait peu de mourir maintenant. Peu de choses lui importaient
à l'heure actuelle. Il ferma les yeux et attendit son heure.
|
|
Il entendit les voûtes
de la cathédrale céder sous une force inconnue et s'écrouler partout
autour. Des gravats et rochers le recouvrirent rapidement. Il
sentit une lumière forte lui brûler les paupières, comme si les
rayons du jour avaient fini par traverser les murs.
|
|
Ahrin ouvrit les yeux.
Il aperçut sous l'éclat aveuglant du soleil des ailes et des hommes…
les ailes étaient blanches et les hommes revêtaient une armure
brillante… il entendit le ciel et les nuages chanter et il se
sentit bien.
|
|
L'une des créatures s'approchait
de lui.
" Je vous salue, preux chevalier,
dit une voix belle et dominante qui tomba sur lui comme une avalanche
de douceur et une cascade de mots bienheureux.
- Suis-je mort ? demanda
Ahrin en se délectant de ses paroles.
- Non, bien sûr que non,
répondit une autre voix plus féminine. "
Ahrin soupira et les ténèbres
l'envahirent.
|
|
|
|
Tohril replia le parchemin
avec soin et le rangea dans son étui avec précaution. Ces textes
étaient très précieux et le Maître du Savoir remercia les Dieux
de les lui avoir fait parvenir. Soudain il réalisa qu'il y avait
quelqu'un d'autre à congratuler : dans la salle de lecture se
tenait encore le coursier, le patient et valeureux messager qui
lui avait rapporté ce crucial Parchemin du Savoir.
|
|
La personne avait longuement
insisté pour entrer dans la Tour de Vinghar et lui remettre en
main propre. L'individu lui avait donné l'étui sans prononcer
un mot. Tohril avait bien essayé de lui faire prendre congé mais
il était resté là, complètement immobile. Il fallait croire que
le pauvre était sourd et muet.
|
|
" Il y a autre chose ",
dit soudainement le messager d'une douce voix féminine. Tohril
sursauta sous l'effet de la surprise. Il fut encore plus étonné
quand la personne retira son capuchon… elle avait une longue chevelure
brune et de brillants yeux d'émeraude.
|
|
" J'ai trouvé le chevalier
Ahrin gisant dans la cathédrale détruite et l'ai placé sur mon
pégase puis ramené à Dyrale pour le soigner. Car Ahrin était vivant.
L'histoire que j'ai fait transcrire sur ces feuilles est le témoignage
de tous ses compagnons et le récit de ce qu'il me conta. Je n'ai
pas vu les anges dont il parlait. Peut-être a-t-il pris les ailes
de ma monture pour… autre chose, dit la femme en hésitant. Mais
les démons relâchés sur les contrées de Xilbor disparurent rapidement
et de nombreux soldats parlent encore d'archanges descendus sur
ces terres pour les renvoyer en enfer. " La femme baissa les yeux
et reprit lentement son souffle. Pour rien au monde Tohril aurait
voulu l'interrompre, il se délectait autant des mots que de la
voix de cette dame.
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" Ahrin n'était plus le
même après tout ce drame. Il avait l'âme torturée et tourmentée
par tous ces proches qu'il avait perdu. Il est parti résolu vers
le nord jusque dans le Royaume Désolé, à la recherche de Leetaax
le Maudit. Rares furent ceux qui l'accompagnèrent dans ces régions
redoutées. Je l'ai suivi à son insu et ai vu ses compagnons tomber
un à un sous l'assaut de créatures innommables…, mais Ahrin est
cependant parvenu jusqu'à Leetaax, il a forcé l'entrée de la Tour
de Xanthir, le palais de ce Seigneur Nécromancien. Je n'ai pu
le rejoindre… ". La voix du messager devint tremblante.
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" Il y eut de grands combats.
La magie de la liche a secoué le royaume tout entier… puis Ahrin
est sorti de la tour couvert de blessures béantes. Il avait le
teint pâle et le visage décomposé… il s'écroula mort sur les marches
de Xanthir. Des créatures mort-vivantes s'avancèrent lentement
vers lui, surgies des ténèbres de la Tour. Quand mon pégase me
déposa sur les marches j'eus à affronter de nombreux zombis et
squelettes qui cherchaient à m'arracher sa dépouille pour une
ignoble raison. Je l'amena au Seigneur Layboor de Xilbor qui l'immola
par le feu selon le rite des anciens rois… afin d'honorer sa mémoire,
mais aussi je pense pour empêcher une éventuelle résurrection.
" La femme se redressa et se détourna pour s'en aller.
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" On a plus entendu parler
de Leetaax depuis cet affrontement. On le suppose définitivement
détruit mais personne ne peut en être certain. Ce dont tout le
monde est sûr, par contre, c'est que le chevalier Ahrin fut le
plus grand Héros des Terres de Xilbor et qu'il accomplit tous
les sacrifices pour sauver l'humanité, l'amour et la vie dans
le monde. " Le messager avait ouvert la porte et se retira avant
que Tohril ne puisse prendre la parole. Il disparut dans les escaliers
sans même un mot d'adieu.
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" Adieu et soit béni, messager
de Xilbor… " murmura lentement Tohril en se rasseyant. " Adieu
et merci, belle Yenloëth… "
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