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Récit de force. Fevrier 2000
Par Griffon Noir (Christophe Finas)

 

 

 

 

Récit de l'Aventure

La compagnie progressait rapidement, galopant et galopant encore, ne faisant halte que pour préserver leurs destriers. Les Terres Hautes de Xilbor étaient fertiles et vallonnées, parcourues de nombreux ruisseaux à l'eau claire. Les randonneurs étaient habituellement nombreux en cette saison, appréciant la douceur de l'été et goûtant aux parfums fleuris de ces vertes prairies. Mais il n'y avait personne ces derniers jours. Les terres étaient belles mais désertes, silencieuses. Les oiseaux même hésitaient à chanter, comme présageant une terrible tempête.

Le silence se faisait de plus en plus oppressant alors que la nuit tombait. "

Il faut garder nos montures fraîches le plus longtemps possible, avait dit Ahrin lors de la dernière halte en flattant l'encolure de son cheval pendant qu'il s'abreuvait. Nous aurons certainement besoin de toutes leurs forces… tôt ou tard. "

Et peut-être bientôt, avait-il murmuré pour lui-même. Car ils approchaient rapidement de la forêt de Devongh. Ahrin regarda de nouveau ces hommes, ces vingt cavaliers que le Seigneur Layboor lui avait confiés. Ils étaient tellement jeunes… tout comme lui. Des hommes braves dont le potentiel ne pouvait que s'accroître. Pourquoi lui avait-on confié ces hommes au lieu de champions expérimentés et confirmés ? Pourquoi l'avait-on envoyé lui et pas Garion le Brave, Champion de Xilbor et capitaine des armées, celui qui avait été son maître d'armes et qui lui avait tout appris ?
Malheureusement il connaissait la réponse : il ne restait plus rien ni personne d'autre à envoyer à Tanihis. Garion était mort. Il dirigeait la garnison de Trifor, le premier château à être tombé aux mains des nécromanciens. Les forces vives des hommes, chevaliers et paladins, étaient soit tombées soit assiégées à Tanihis.
Garion était comme un père pour Ahrin. Il allait lui manquer terriblement. Rude et valeureux, sage et fort, c'était le plus grand Héros de Xilbor. Refoulant ses larmes, Ahrin contempla ses hommes de nouveau. Combien survivraient parmi eux ? Lesquels tomberaient dans les sous-bois de Devongh ? Lesquels périraient dans les sables de Laanden ? Le plus jeune cavalier était un barde du nom de Khored. Survivrait-il à tous ces périls ? Savait-il manier l'épée aussi bien que la harpe ? Ahrin espérait que oui car il appréciait ce ménestrel plus que tout. Ils auraient besoin de lui et de ses chants, ses hommes auront besoin de courage dans ce voyage long et périlleux.
" Préparez les tentes et reposez-vous, mes compagnons, dit-il aux cavaliers alors que la nuit s'avançait. Demain, nous affronterons la forêt de Devongh. "
Départ à l'aube, allait-il dire, mais ses hommes savaient depuis longtemps qu'ils partiraient aux premières lueurs du jour. Il n'y avait pas une minute à perdre. Tout pelotonné qu'il était dans sa couverture, Ahrin priait les dieux pour qu'ils arrivent à temps à Tanihis.
" Marchooons, chevaliers ! Laissons noos destriers
Parcourooons ces vallées jusqu'à notre arrivée
Eeerrooons, chevaliers ! A travers cooollines et prés
Griimpooons ces montagnes jusqu'à en être au sommet
Regardooons, chevaliers ! Le soleeeiiil monter
Et sa luuuumière briller - à travers ces bosqueeeeeeeeets… "
La voix entraînante de Khored fut bientôt rejointe par celle des autres cavaliers dans cette chanson de marche. Le ton était joyeux, le chant était magnifique. Cela faisait une heure déjà qu'ils avaient pénétré dans la forêt de Devongh et qu'ils s'enfonçaient dans ses profondeurs. L'aspect tordu et inquiétant des arbres, qui les avait effrayé et tenu en silence pendant longtemps, paraissait plus naturel au son de la harpe et des voix humaines. Les feuilles frémissaient, de plaisir ou de rage. Ou peut-être tout simplement à cause du vent, se dit Ahrin.
" Reprenooons, chevaliers ! Nos montuuures éprouvées
Observooons au loin l'ennemi se rassembler
Galopooons, chevaliers ! Et nos lames aiguisées
Découp'rooont leur chair, les faucheront comme le blé
Reposooons, chevaliers ! Nos membres bleessés
Au soleeeeil bienheureux - à ses raaayons d'étéééééééééé… "
Ahrin lui-même, inquiet depuis l'aube au sujet des bandits de la région, se joignit à Khored. Si le voyage se poursuivait à cette allure ils ne passeraient qu'une seule nuit en ce lieu et le quitteraient avant le crépuscule de la deuxième journée. Qui sait, peut-être que le bois était plus court qu'indiqué sur les cartes ? Rares étaient ceux qui avaient franchi la lisière de Devongh et aucun n'en avait fait la carte. Cependant le sentier qu'ils suivaient était net et orienté droit vers le nord en direction de Dyrale. Quelqu'un l'entretenait certainement. Mais qui ? Et pourquoi ?
Le son d'une branche cassé vint le tirer de sa rêverie. Alors que Khored entamait sa troisième strophe, Ahrin l'arrêta d'un geste. " Ce sont les brigands qui ont fait cette route… afin de tendre une embuscade aux voyageurs pressés ", se mit-il à penser tout haut.
Toute la compagnie fit halte derrière le chevalier. Quelque chose d'étrange se produisait. Une brume épaisse s'était levée et les entourait ; un vent lugubre mugissait d'une voix tourmentée ; les arbres torturés les menaçaient de leur présence. C'était comme si leur chanson de marche avait jusque là maintenu les ténèbres de la forêt à l'écart… privés de sa protection, ils se tenaient tels des agneaux livrés aux loups féroces.
Pour couronner le tout régnait ici une odeur inquiétante… les autres cavaliers semblaient ne pas l'avoir reconnue, mais pour Ahrin cela ne faisait aucun doute : c'était l'odeur de la mort, le parfum dégoûtant des cadavres putréfiés laissés à l'abandon. Ahrin mit pied à terre et se couvrit le visage.
" Restez là et tenez-vous prêt, dit-il. Je vais jeter un coup d'œil. " Il ne tenait pas à ce que l'ensemble de ses hommes assiste à ce spectacle funèbre. Et si c'était des mort-vivants ? s'interrogea Ahrin. Mais il n'aurait pas à aller bien loin pour en être certain. L'odeur était trop forte.
Le chevalier chercha en vain un moyen pour faire le moins de bruit possible mais cela s'avéra impossible dans une armure de plates avec tout ce bois sec. Chacun de ses pas cassait une branche dans un " schkrak " retentissant. Autant annoncer sa présence en sonnant les trompettes… ou en chantant, comme ils venaient de le faire. Ahrin se reprocha ces instants de relâchement qui auraient bien pu coûter la vie à l'un d'entre eux. Il prit soin de vérifier plusieurs fois que personne ne le guettait d'un arbre ou alentours et acquit la certitude que chaque buisson pouvait cacher un ennemi mortel.
Il découvrit bientôt le corps. Deux cadavres en vérité : un cavalier et sa monture. L'homme portait une cotte de mailles légère déchirée et maculée de sang. Une flèche lui transperçait les côtes, mais ce ne semblait pas être la cause de la mort. Etant donné l'angle de son cou il s'était certainement brisé la nuque en tombant de cheval. La monture était criblée de traits sur les flancs et dans l'encolure. Ils n'avaient pas mâché leur travail.
Mais quelque chose intrigua Ahrin. Etant donné l'état avancé de décomposition l'homme devait être mort depuis déjà une semaine ou deux et pourtant aucun carnassier ou charognard ne l'avait dévoré. Il y avait des traces de griffures et de morsures assez nombreuses pour être elles-mêmes mortelles mais elles paraissaient moins récentes. Un examen plus poussé révéla même les marques nettes de coups de poignard et de cimeterre. La flèche recouvrait l'une des blessures, comme si on l'avait tiré à l'arc après l'avoir poignardé et laissé mordre par une bête. Le bois et l'empennage des traits étaient intacts et ne portaient aucune trace d'usure contrairement à l'ensemble de l'équipement du défunt cavalier.
L'homme était habillé d'une tunique désormais rapiécée marquée d'un blason décoloré. Ahrin n'eut aucun mal à reconnaître les effigies de Dyrale, un Griffon doré sur fond écarlate. Le soldat possédait également une grande sacoche de cuir usé aux lanières coupées. Elle contenait une couverture épaisse, de nombreuses provisions de viande séchée ainsi qu'une lettre cachetée frappée d'un sceau presque méconnaissable, de Dyrale également. La monture portait d'autres sacoches remplies de nourriture avariée depuis longtemps et de nombreuses outres d'eau croupie.
Il s'agissait d'un messager qui faisait apparemment route vers la capitale. Mais quelque chose clochait… la cité de Dyrale avait un élevage de griffons des plus prodigieux. Ahrin comptait sur cette aide pour rejoindre Tanihis au plus vite et lui apporter son soutien. Pourquoi avoir envoyé un messager monté sur coursier au lieu d'un chevaucheur de griffon comme ils en avaient l'habitude ?
Soupirant de lassitude devant ce mystère, Ahrin prit la lettre et héla ses compagnons. Il fallait donner une sépulture décente à ce soldat et il ne pouvait accomplir cela à lui seul. Ses hommes pâlirent en voyant le corps. Il vaut mieux qu'ils durcissent leur âme maintenant, se dit Ahrin. Ils n'en seront que plus valeureux face aux mort-vivants qui nous attendent.
Mais les cavaliers se reprirent vite. Ils étaient d'une trempe courageuse et se mirent aussitôt à creuser une sépulture sommaire pour ce combattant tombé. Ils n'avaient pas de nom à graver sur un arbre ou sur la croix plantée, et ils n'en inscrirent aucun. Khored chanta quelque chose pour apaiser l'âme tourmentée du défunt messager, et Ahrin ne fit rien pour l'en empêcher malgré la discrétion qu'ils devaient s'imposer. Car désormais il fallait qu'ils se tiennent sur leurs gardes : les brigands pouvaient les attaquer n'importe où, n'importe quand. Ils connaissaient ces bois. Les soldats n'avaient malheureusement d'autre choix que de suivre cette route, aussi dangereuse fut-elle.
" Enterrooons, chevaliers ! Nos compagnons pleurés
Nos amiiis de toujours que la guerre a prélevé
Et chantooons, chevaliers ! Pour tous ceux - tombés
Dans ce cooombat glorieux et que la mort a volé
Poursuivooons, chevaliers ! Sans jamais n'oublier
Que nous pouvons tomber - nous aurons voyagéééééééé… "
La voix de Khored égrenait la troisième strophe de leur chanson de marche, qui correspondait parfaitement aux récents événements. Mais cette fois-ci, il chanta seul.
Le chevalier Ahrin avait décacheté et lu le courrier pendant l'enterrement : cela était peu honorable mais pouvait lui en apprendre beaucoup plus sur la situation de Dyrale. Et voici ce qu'il apprit : la cité était en état de siège mais disait pouvoir se débrouiller par ses propres moyens. Les éclaireurs de Dyrale avaient toutefois repéré une immense armée de mort-vivants qui se dirigeaient droit vers la capitale. Le Comte de la cité de Dyrale, le Seigneur Obéric, craignait pour la sécurité de la nation et conseillait vivement au Seigneur Layboor de conserver toutes les forces possibles pour protéger les murs de la capitale. Il ne voulait aucun renfort et disait avoir la situation bien en main. De plus, il assurait que l'assaut sur Tanihis n'était qu'un leurre.
Ahrin était pensif depuis lors. Ce message semblait lui enjoindre de faire demi-tour et rejoindre le Seigneur Layboor de Manfred mais pourtant il poursuivrait en direction de Dyrale. Cette lettre, comme la découverte du messager, apportait plus de questions que de réponses. Dans le doute il préférait s'en tenir à sa première quête : il avait fait le serment de rejoindre Tanihis et d'en lever le siège, et c'est ce qu'il ferait.

" J'ai besoin d'un volontaire pour rebrousser chemin ", dit Ahrin. Tous ses hommes le regardèrent, interloqués.

" Il faut faire parvenir ce message au Seigneur Layboor de Manfred en personne ", reprit le chevalier en brandissant la lettre. Personne ne se proposa.

" Ceci est très important. Accepter relève de la plus grande bravoure et non de la lâcheté comme vous semblez le croire. Ce message peut très bien sauver le royaume tout entier !

- Sauf votre respect, Seigneur Ahrin, aucun de nous ne souhaite vous fausser compagnie. "

C'était Khored qui venait de prendre la parole. Ahrin acquiesça de la tête. Il allait devoir désigner un volontaire. Il choisit Peredim, qui n'était pas le plus jeune, mais qui était tombé malade en voyant le cadavre du messager.
" Peredim, tu effectueras ce voyage. Prends garde et ne lis cette lettre sous aucun prétexte. Quand tu la remettras au Seigneur Layboor, dis-lui bien que c'est moi qui l'ai décachetée. Dis lui également, de la part de son serviteur le chevalier Ahrin, que les circonstances de la découverte de ce message soulèvent de nombreux doutes quant à sa véracité, et que mon instinct et mon honneur m'ordonnent de poursuivre la quête qu'il m'a lui-même assignée. Fais vite, Peredim, et que les dieux te protègent ! "

Peredim partit aussitôt. Le chevalier attendit de ne plus entendre le galop du cheval avant de s'adresser au reste des hommes.

" Mes compagnons, la cité de Dyrale est en danger. Elle est assiégée par les nécromanciens. Nous devons faire vite et leur manifester notre soutien avant que l'espoir ne les quitte. En avant, chevaliers ! Au nom des Manfred, montrons à ces infâmes que la victoire sera nôtre ! "

Les soldats se mirent en selle rapidement et quittèrent ce lieu malsain. En se fixant un but, Ahrin leur avait donné de la motivation et de l'espoir là où il n'y en avait pas.
La compagnie poursuivait sa route aussi vite que le permettait la prudence. L'empressement leur avait déjà coûté beaucoup : l'un des chevaux était tombé sur un énorme piège à loup. Les mâchoires de fer lui avaient quasiment broyé la jambe. Le destrier était devenu incapable de faire un pas sans s'écrouler et n'avait aucun espoir de survie en cette forêt… ils durent l'abattre sans délai.
Ils attachaient tous beaucoup d'importance à leurs montures. Ce sacrifice leur avait coûté beaucoup et leur moral s'en trouvait affaibli. Mais Ahrin savait qu'en temps voulu ses hommes retrouveraient toute leur bravoure. Son principal soucis était le temps qu'ils perdraient avec un cheval portant deux cavaliers au lieu d'un. Ils n'avaient plus que l'équivalent de dix-huit hommes montés.
Khored ne chantait plus. Les événements récents avaient rappelé à tous la réalité des dangers de cette forêt. Ils sentaient une présence autour d'eux, comme s'ils étaient épiés à chaque instant. Ils avaient l'impression qu'un millier d'yeux les suivaient, que des centaines de murmures les maudissaient pour leur intrusion dans cette maudite forêt. Aucun bandit ne s'était encore montré mais ils apercevaient par moments une ombre se déplacer au milieu des feuillages, une silhouette glisser furtivement entre les arbres, et entendaient des pas discrets piétiner des branches lointaines.
" Nous n'avons pas d'or ! s'écriait Ahrin à intervalles réguliers. Nous n'avons pas d'or ! Laissez-nous passer, au nom des Manfred ! "
Et comme à chaque fois retentissait un murmure étrange en réponse, comme si les arbres eux-mêmes se moquaient et riaient de toutes leurs branches. Un vent lugubre faisait bruisser les feuillages en un sinistre et inquiétant concert.
Mais cette fois il y eut une surprise : des flèches sifflèrent tout autour d'eux. Un cheval touché à mort se cabra et hennit. Des silhouettes vêtues de noir tombèrent des arbres comme des feuilles à l'automne et dégainèrent coutelas et poignards.

" Vite ! La moitié vers l'est et l'autre vers l'ouest ! Pour Dyrale ! Pour Tanihis ! Pour Layboor ! Sus aux brigands !

- SUS AUX BRIGANDS ! reprirent en cœur les cavaliers. "

Le combat était acharné. Ils avaient été pris en embuscade et les bandits étaient cinq fois plus nombreux. Mais ces cavaliers étaient des combattants entraînés, courageux et motivés, presque heureux d'affronter un ennemi bien réel plutôt que les ténèbres menaçantes de cette forêt.
Le sabre d'Ahrin se levait et retombait, encore et encore, abattant tous les brigands qui l'entouraient. Son armure de plates et le carapaçon de sa monture déviaient aisément les lames courbes des mécréants. Poussant sa monture en avant, il en fit tomber plusieurs autres et chargea. Il fallait à tout prix atteindre ces maudits archers ! Ses hommes montés faisaient une cible idéale au milieu de cette mêlée. Son destrier partit de son galop le plus rapide, esquivant les arbres presque instinctivement, sautant les barricades et les trappes disposées en chemin. En un instant Ahrin fut sur ses ennemis avec quelques cavaliers à ses côtés. Leurs lances embrochèrent plus d'un adversaire et le reste se dispersa dans les sous-bois. Ses compagnons allaient les poursuivre mais le chevalier les rappela aussitôt et ils rejoignirent la route au plus vite.
Khored avait mené l'autre moitié de la compagnie dans une lutte acharnée pour éviter d'être encerclé et atteindre les archers situés de l'autre côté. Mais ils avaient rencontré un obstacle inattendu : une compagnie de piquiers leur avait barré la route. Stoppés nets dans leur charge, les cavaliers se défendaient de leur mieux mais ne pouvaient tenir bien longtemps. Ahrin les rejoint juste à temps.
Hurlant des encouragements à ses compagnons, il chargea à travers les rangs ennemis jusqu'à atteindre Khored et ensemble ils combattirent et repoussèrent leurs adversaires. Les bandits se replièrent dans les bois et les cavaliers purent enfin souffler un moment.
La victoire leur avait coûte bien cher : neuf d'entre eux étaient tombés au champ d'honneur et sept chevaux avaient péri des flèches ou lances ennemies. Ahrin ne disposait plus que de la moitié de ses hommes. Ils conservèrent le cheval restant plutôt que de le laisser à ces infâmes brigands.
" Nos ennemis ne sont pas que des bandits de grand chemin, dit Ahrin à ses compagnons. Ils avaient des piquiers en armure et des archers entraînés. Ils doivent posséder une garnison quelque part, certainement dans un château fort comme les nôtres. " Il regarda alors ses frères tombés au combat.
" Donnons une sépulture à nos compagnons. Nous n'avons malheureusement pas le temps de les mettre en terre, d'autres vies dépendent de notre célérité. Nous ferons donc un bûcher. Nous brûlerons aussi les dépouilles de nos ennemis car il ne faut pas laisser leurs cadavres à l'air. Trop de nécromanciens pourraient en profiter. Si nous détruisons les corps ils ne pourront rien en faire. "
Ils accomplirent leur funeste besogne aussi vite qu'ils le purent. Il y avait suffisamment de branches mortes là où ils étaient mais les cavaliers rebroussèrent chemin pour établir le bûcher dans une clairière dégagée. Les lances des soldats furent plantées en cercle autour du tertre funéraire où leurs corps furent brûlés. Les hommes gravèrent dessus le nom de leurs défunts compagnons. Les cendres des cinquante brigands abattus se trouvaient en tas non loin de là, à un endroit moins honorable.
" Nous vengerons nos frères, dit Ahrin d'une voix grave. Nous leur rendrons justice, les dieux me sont témoins. Vous avez tous été courageux et valeureux, mes compagnons. Les âmes des nôtres tombés vont veiller sur nous depuis les cieux où elles reposent désormais. Saluons-les une dernière fois, et mettons-nous en route. "

Khored chanta longtemps pour apaiser les âmes défuntes. Il dit à Ahrin :

" Si je venais à tomber, vous chanterez cela pour moi ? " Ahrin acquiesça de la tête, et retint chacun des mots que prononçait le barde.

La nuit approchait et cela ne présageait rien de bon pour les cavaliers. Ils avaient progressé rapidement mais cette forêt semblait interminable. Les brigands pouvaient revenir n'importe quand. Pire encore, la route bifurquait désormais vers l'est et s'enfonçait plus loin dans la forêt. Le chevalier devait choisir entre quitter le chemin et poursuivre vers le nord à travers bois ou suivre la route en espérant qu'elle bifurquera de nouveau. Dans un cas comme dans l'autre cela impliquait une importante perte de temps. Et du temps, Ahrin en manquait déjà cruellement.
Il fallait prendre une décision, et vite. Il était déjà trop tard pour poursuivre bien loin au risque de se perdre dans la forêt ou de tomber dans une nouvelle embuscade.
" Les bandits doivent s'attendre à ce que nous campions pour la nuit, dit Ahrin. Nous serions beaucoup trop vulnérables et cela leur laisserait le temps de nous préparer une nouvelle embuscade. Nous devons poursuivre, mes amis. Il fait déjà trop sombre pour s'enfoncer dans la forêt, nous suivrons donc la route tant que nous le pourrons. Prions pour qu'elle nous mène à Dyrale. "
Le chevalier prenait beaucoup de risques en choisissant de chevaucher vers l'est. De nuit, les étoiles cachées par les feuillages, ils seront bien incapables de connaître la direction empruntée. Mais c'était son choix. Camper était inutile, ils n'étaient pas assez nombreux pour établir une bonne garde. Et les sous-bois paraissaient encore bien plus inquiétants qu'une éventuelle embuscade tendue sur la route.
Malheureusement cette décision paraissait de plus en plus mauvaise. Le chemin tournait, virait et bifurquait tant et tant qu'aucun parmi eux ne savait vers où ils se dirigeaient, bien qu'ils aient tous la très nette impression que ce n'était certainement pas vers le nord.
" Regardez ! " s'écria l'un des cavaliers en montrant du doigt des buissons éloignés. La mine grisée par la fatigue et l'inquiétude, Ahrin sortit de sa torpeur pour observer… et il les vit.
Une centaine de petites lumières blanches et brillantes, à peine plus grosses que le poing, dansaient et virevoltaient dans tous les sens, se rapprochant manifestement d'eux. L'une d'entre elles vint même jusqu'à toucher le visage du chevalier… c'était une silhouette féminine, il en était certain. Elle riait et tournoyait autour de lui comme si rien d'autre n'existait… et en cet instant aucun homme ne pensait à rien d'autre qu'à observer ces magnifiques créatures et à rire avec elles. Car leur balai était fantastique, on croirait même entendre une musique à travers leurs mouvements, une musique belle et lancinante, les incitant à danser, à festoyer, à dormir… l'une des créatures invita Ahrin de ses gestes et de son chant.
Les petites fées s'éloignaient progressivement et les cavaliers ne purent faire autrement que les suivre.
" Ne les suivez pas… " murmura Ahrin ou du moins essaya-t-il de dire. Car il était lui-même incapable de se l'ordonner, ignorant toute prudence en poursuivant les lumières et quittant le chemin. Il se savait victime d'un enchantement mais ne pouvait faire autrement que s'y soumettre… son cheval trottait puis galopait vers les merveilleuses créatures, comme répondant à un appel extérieur. Ahrin et ses hommes pouvaient à peine s'accrocher à leur monture, ayant seulement conscience de vivre un rêve éveillé.

Mais la flèche les tira de leur rêverie. Elle s'était plantée à moins d'un mètre du chevalier.

Ahrin cligna trois fois des yeux, et dégaina son sabre, stoppant sa monture hypnotisée en tirant de toutes ses forces… le cheval se cabra, hennit mais obéit.

" Attention cavaliers, c'est une embuscade ! " cria-t-il à l'intention de ses hommes. Mais Ahrin s'aperçut bien vite à leur mine hébétée que cela était inutile. " A MOI, CHEVALIERS DE XILBOR ! " hurla-t-il en y appliquant toute sa volonté. Ses hommes réagirent bien que mollement. " COMPAGNIE ! En cercle, prêts à charger ! " ordonna le chef. La compagnie forma rapidement les rangs, agissant plus par instinct qu'en véritable conscience.

" Cela ne sera pas nécessaire, dit une douce voix depuis les buissons.

- Et pourquoi ? répondit Ahrin sur un ton ferme.
Il avait observé la flèche plantée devant lui et il en reconnut l'empennage : c'était le même trait qui avait abattu le messager de Dyrale.

- Nous ne sommes pas vos ennemis.
Il y eut un silence rempli d'une tension inquiétante.

- Je ne vous crois pas, répondit Ahrin.
Il leva son sabre, prêt à ordonner la charge, mais distingua de nombreuses silhouettes tout autour d'eux et hésita un moment.

- Nous vous avons vu affronter les brigands. C'était un grand combat.
Ces bandits sont également nos ennemis, reprit la voix douce.
C'est une voix de femme, se dit Ahrin. Mais cela ne doit pas troubler ma raison.

- Poursuivez, ma dame. Après une seconde d'hésitation, la femme reprit :

- Vous allez nous aider à les combattre.
Le ton était doux mais assuré, calme mais impératif.

- Je m'y refuse, ma dame.

- Oh ? dit la voix plus amusée que surprise.
Et pourquoi ? Auriez-vous peur ?

- Vous devez déjà savoir que non, ma dame.

- Alors pourquoi ?

- Pour de nombreuses raisons.
Premièrement, nous ne connaissons rien de vous.
Deuxièmement, nous ne sommes pas assez nombreux et pas suffisamment renseignés.
Troisièmement, nous n'en avons pas le temps.
Et enfin, je n'ai pas confiance en vous.

- Je peux vous renseigner et je connais les raccourcis qui vous feront sortir de la forêt avec aisance. Que faut-il que je fasse pour gagner votre confiance ?

- Que vous répondiez à une simple question, ma dame.

- Laquelle ?

- Un messager de Dyrale est passé par ici. Est-ce vous qui l'avez abattu ?

- Oui. Ahrin leva son sabre avec vigueur, mais hésita avant d'ordonner la charge.
Ses hommes trépignaient sur place. Mais si le bon sens lui intimait de ne pas croire la femme et d'attaquer l'instinct le poussait à ne pas le faire. Il ne sut pas pourquoi mais il croyait cette femme, et il la savait généreuse et juste.

- Attendez, ordonna Ahrin à l'intention ses soldats. Poursuivez, ma dame. Pourquoi avez-vous fait cela ?

- Nous l'avons abattu, mais nous ne l'avons pas tué.

Ahrin fronça les sourcils. Le messager était déjà mort, dit-elle.

- Expliquez-vous ! Car comment pouvez-vous l'abattre s'il était mort bien avant ?
Etait-ce un mort-vivant ?

- C'est exact, répondit la voix. Vous faites preuve d'une grande sagesse.

- Et de suffisamment de bon sens pour demander de nouvelles explications. Comment saviez-vous qu'il était mort ? Etait-il décomposé ?

- Non, reprit la voix. Il était très bien conservé malgré son état. Mais la forêt nous a dit :
" Celui là n'est pas vivant, il faut le détruire ". Alors… nous l'avons détruit.

- Vous dites que la forêt vous a parlé ?

- Oui. La forêt parle mais vous ne l'entendez pas, la forêt marche mais vous ne le voyez pas. La forêt souffre aussi, mais vous l'ignorez. Notre peuple la comprend et la soutient, réparant le mal que commettent les hommes à son encontre.

- Votre peuple ?

- Le peuple des Elfes, les gens au cœur chantant vivant dans les bois et les forêts.

- Parlez moi du messager, maintenant, reprit Ahrin.

- Il n'y a pas grand chose de plus à en dire. Il voyageait vers le sud à vive allure. Nous l'avons abattu juste avant qu'il ne s'échappe. Nous aurions pu le neutraliser bien avant mais les bandits l'ont protégé.

- Les brigands sont de mèche avec les nécromanciens ?

- Oui, mais pas depuis longtemps. Un seigneur est venu, un chevalier sans âme. Il a organisé les brigands et abattu leur ancien chef. Il a fait construire un château fort du nom de Noirchâteau sur les vestiges de leur modeste campement. Il les a entraîné et formé au combat. Il a failli nous anéantir.

- Comment cela ?

- Il a détruit le Vieil Arbre, le cœur de la forêt. Des siècles de sagesse se sont alors perdus, et la voix de la forêt ne fut plus jamais la même… il a ensuite repéré la clairière où se reposaient nos chevaux, les merveilleux Pégases d'Argent. Usant de magie noire et de ruse, ses hommes sont venus dans la nuit avec des filets et les ont capturés puis ramené à Noirchâteau pour accomplir d'ignobles sacrifices. Il est dit qu'il invoque les ténèbres pour corrompre la forêt, et certains arbres ont le cœur noir depuis. Nous sentons que la forêt devient malveillante, que certaines de ses voix sont sournoises.

- Mais quel est le nom de ce sinistre seigneur ?

- Il se fait appeler Kragg. "

Ahrin s'arrêta un moment pour réfléchir. Kragg était un chevalier félon qui avait mené une rébellion contre les Manfred. De nombreux seigneurs corrompus s'étaient réunis sous sa bannière et avaient organisé la chute du royaume par perfidie et trahison. Seul le courage de Garion le Brave a pu sauver les seigneurs de Manfred. Garion avait rassemblé des volontaires et affronté les traîtres dans les murs du palais de Xilbor, empêchant ainsi l'assassinat du Seigneur Layboor et de ses vassaux. Puis il a mené quelques poignées de soldats à travers le royaume, passant chacun des félons au fil de l'épée et remportant bataille après bataille au nom de la justice. Kragg avait pris la fuite jusque dans le Royaume Désolé, suivi de près par le chevalier Garion, seul homme à oser se risquer dans ces régions. Il est dit qu'un duel s'ensuivit dans ces terres sinistres et que Garion abattit son ennemi après un long combat.
Mais les nécromanciens ont du s'occuper de la dépouille de ce traître… Ahrin inspira un grand coup. De son vivant déjà, Kragg était un grand combattant. Sa condition de mort-vivant l'a certainement rendu plus fort. Mais le chevalier Ahrin se jura, maintenant que Kragg était à sa portée, de l'anéantir une bonne fois pour toutes.

" Nous allons vous aider, annonça-t-il.
Mes hommes et moi assiégerons le château avec les vôtres et Kragg sera éliminé ou chassé.

- Toute la forêt vous en remercie, grand chevalier.

- Cependant je dois vous avouer une chose : il nous faudra faire vite car j'ai besoin de votre aide.

- Et en quoi pouvons-nous vous assister ?

- Les cités de Dyrale et de Tanihis sont assiégées par les forces des ténèbres. Alliez-vous à nous, et aidez-nous à repousser les envahisseurs…

- Et pourquoi ferions-nous cela ? dit la voix de manière moins douce en le coupant. Est-ce que vous l'exigez en échange de votre aide contre Kragg et ses hommes ?

- Non, ma dame. Je vous aiderai gratuitement, vous avez ma parole. Mais je vous supplie de nous porter secours… au nom de tout ce qu'il y a de bon, de juste et d'innocent. "

Ce fut au tour de la dame de réfléchir longuement. Ahrin en vint presque à douter d'elle, à se demander si après avoir vaincu Kragg ses hommes ne seront pas tout simplement reconduit à la lisière de Devongh. Mais non, il s'était fié à son instinct et ce dernier ne l'avait jamais encore trompé.
" J'accepte. Les peuples des Elfes, des Arbres et des Humains attaqueront le château de Kragg. Puis les Elfes poursuivront avec les hommes. Nous vous montrerons les raccourcis, et nous nous joindrons à la libération de Dyrale. Mais nous n'irons pas plus loin car nous ne pouvons nous éloigner plus de la forêt de Vertefeuille, ou Devongh comme vous vous plaisez à l'appeler aujourd'hui.
Ahrin ne put retenir les exclamations des cavaliers. Partout résonnaient des " Hourra ! Hourra ! Hourra pour les Elfes des bois ! ".
Khored mit pied à terre et lança de sa voix chantante :

" Permettez, ma dame, mais j'ai une requête à vous soumettre.

- Quelle est-elle ? dit la voix douce sur un ton pressant.

- Accordez-moi, reine des forêts, que je sois votre champion et votre chevalier servant, fit Khored en s'agenouillant.
Une fois Tanihis libéré, je reviendrai dans ces bois. Je serai alors votre bouclier et votre glaive, votre serviteur loyal et dévoué, car mon cœur vous est déjà acquis.

- Comment ? Mais vous ne me connaissez guère…

- C'est exact, dit Khored en fronçant les sourcils. Permettez que je corrige cet écart… puis-je m'enquérir de votre nom, vous dont la voix me rafraîchit comme la douce brise du printemps ?

- Yenloëth, répondit la voix en riant.

- En ce cas, Dame Yenloëth, acceptez-vous mes services ?

- Je ne sais… dit la voix, hésitante. "

Il y eut ensuite un instant de pure magie. Une silhouette s'avança entre les arbres en direction des cavaliers… et la plus belle des femmes apparut devant eux. Ses longs cheveux étaient d'un noir somptueux et envoûtant, ses yeux avaient la couleur éclatante des feuilles au printemps. Elle était grande et sauvage, d'une beauté inaccessible… elle s'approcha de Khored, littéralement figé, et posa sa main délicate sur son front.

" J'accepte, dit-elle lentement de sa voix la plus douce. Sois béni, cavalier Khored, et relève-toi, premier chevalier de Vertefeuille. Car je suis Yenloëth, reine de ces bois, et tu es désormais mon champion.

- Moi, Khored, fais ici le serment de vous servir et de vous protéger, de la vie au trépas ! "

" Hourra pour le chevalier Khored ! " lança Ahrin. " HOURRA POUR LE CHEVALIER KHORED ! " reprirent les cavaliers. Car le chevalier Ahrin appréciait la tournure des événements. Il ne doutait pas que le Seigneur Layboor allait approuver la nomination de Khored en tant que chevalier. Il pensait même que tous ses compagnons deviendraient au moins champions du Royaume s'ils survivaient au siège de Tanihis. Je prie pour que ces hommes survivent, pensa Ahrin, surtout ce jeune Khored au cœur si vaillant. Je préférerai donner ma vie plutôt que le laisser mourir.

" C'est à mon tour de remercier le peuple des Elfes, reprit le chef des cavaliers à l'intention de Yenloëth. Ensemble nous libérerons cette forêt puis la cité de Dyrale.

- Mais tout d'abord, vous devez vous reposer, reprit la dame. Nous nous occuperons de préparer le siège.

- Dans un premier temps j'aurai juste besoin de catapultes.

- Et c'est tout ?

- Non, mais j'ai déjà un plan. "

Les chevaliers suivirent ensuite les Elfes jusqu'à leur campement un peu plus loin. Ils y festoyèrent longtemps et se reposèrent dans la joie pour la première fois depuis le début de ce périlleux voyage.
La compagnie d'Ahrin se tenait droite et fière devant Noirchâteau. Ils firent sonner les trompettes et s'annoncèrent pour la troisième fois.

" Que Kragg le Félon, chevalier déloyal ayant trahi tous ses serments, se présente aux portes ! Qu'il ose affronter le châtiment qu'il mérite ! Moi, le chevalier Ahrin, le défie devant la justice ! ". Mais cette fois, il y eut une réponse…

" Et quel est ce châtiment ? dit une voix grave, moqueuse et effrayante. Quel est ce sort que vous autres pitoyables vermisseaux me réservez ?

- Le pire des châtiments pour la pire des trahisons, reprit Ahrin sans se laisser influencer. La mort !

- Ah ! La mort, hein ? s'exclama Kragg. Désolé, je la connais déjà. "

Les cavaliers aperçurent un chevalier en armure noire en haut de la plus haute des tours de ce château sinistre. Ce devait être le terrible Kragg. L'homme fit un signe aux archers postés le long des remparts. Alors que les cavaliers s'attendaient à être bombardé de traits, un seul projectile fut lancé et atterri à une dizaine de mètres de la compagnie. Et tous étouffèrent une exclamation d'horreur… car ce projectile n'était autre que la tête de Peredim, celui qu'Ahrin avait dépêché vers Layboor pour lui transmettre un message des plus urgents.
" J'ai l'impression que ce lâche de Layboor ne sera jamais au courant de ce que vous aviez à lui dire… " lança Kragg d'un ton malsain. Une flèche avec une lettre attachée fut tirée depuis les remparts et se planta à côté de la tête du pauvre Peredim. Ahrin était blême, déglutit mais maîtrisa ses émotions. La vie de ses hommes en dépendait.

" Il est dommage, en effet, que les nécromanciens ne parviennent pas à leur fin, lança-t-il. Car le message que cet homme avait à transmettre était erroné, nous l'avions repris sur un soldat de Dyrale… le même que tu as protégé, Kragg, il n'y a pas si longtemps.

- Tu me fais rire, Ahrin-le-fou.

- N'est-il pas vrai que les nécromanciens ont abattu un messager de Dyrale qui traversait les sables de Laanden en direction de Tanihis ?

- Et qu'est-ce qui te fait croire ça ?

- Sa monture transportait suffisamment d'eau pour une semaine de voyage. Or s'il allait vers le sud dès le départ, là où chaque jour il est possible de s'abreuver dans les rivières fraîches coulant entre les collines et prairies, il n'en aurait pas eu besoin. La vérité est qu'il se rendait au nord, que les nécromanciens l'ont pris, tué et envoyé vers le sud avec un faux message. Tu avais ordre de le protéger mais tu as échoué. J'ai commis l'erreur d'envoyer son courrier vers Layboor mais tu as abattu mon messager. Par ta faute le plan des nécromanciens est un échec. Par ta faute Layboor va dégarnir la capitale pour envoyer des renforts vers Tanihis. Je pense que tes maîtres ne vont pas être très satisfaits… " Sur ces mots, Ahrin s'avança vers la lettre.

" Arrêtez-le et reprenez cette lettre ! ordonna Kragg, furieux. Tuez-le ! Tuez-les tous ! "

Les portes massives de Noirchâteau s'ouvrirent et un petit groupe de cavaliers se lança sur eux, bientôt suivi par une cinquantaine de piquiers et tout autant de brigands. Ahrin attendit que les portes se referment derrière eux, puis leva son sabre… c'était le signe pour le reste des troupes. Les catapultes firent alors feu simultanément, faisant trembler les remparts par leurs tirs experts. La compagnie d'Ahrin reçut la charge avec talent et prit les ennemis sur les flancs… en même temps, selon le plan conçut par Ahrin, entraient en scène le reste de ses alliés.
Les arbres eux-mêmes s'avancèrent et entourèrent les soldats ennemis… se riant des carreaux d'arbalète tirés depuis les remparts, les Homme-Arbres dardèrent leurs branches sur des ennemis terrorisés. Les flèches fusèrent de tous côtés, faisant tomber les soldats sous les traits meurtriers. Et les Druides de l'Arbre Sacré, mobilisés exceptionnellement pour venger la forêt de ses tourments, psalmodièrent et envoyèrent sur leurs adversaires des projectiles magiques d'une terrible puissance. Ils ciblèrent ensuite les archers sur les remparts alors même que les tirs chanceux des catapultes ouvraient des brèches dans les murs.
Les cavaliers combattaient ardemment au nom de Peredim et de leurs compagnons tombés. Ahrin lança ses hommes à travers les ennemis déstabilisés et aussi peu nombreux qu'ils furent ses cavaliers furieux percèrent les rangs adverses et franchirent leurs lignes. Les piquiers cherchèrent en vain à s'interposer, empêtrés qu'ils étaient dans des bosquets vivants, et les bandits en déroute s'enfuyaient en tous sens pour se trouver piégés dans les branches des Hommes-Arbres.
Une fois au niveau des remparts la compagnie s'élança sans aucun mal à travers la seule brèche faite dans les murs et chargea les arbalétriers qui se croyaient à l'abri derrière les murs.
Le sort de la bataille s'était presque joué en un instant. La sortie avait mené l'armée de Kragg à sa perte… mais alors que les cavaliers massacraient les derniers arbalétriers, quelque chose d'étrange se produisit. Les ennemis abattus se relevèrent lentement, le regard vide d'expression, et se jetèrent sur la compagnie… les chevaux paniqués se cabrèrent et hennirent, difficilement maîtrisables. Ahrin n'avait que peu de temps pour reprendre la situation en main.

" En avant, cavaliers de Xilbor ! Au nom des Manfred ! Au nom des Elfes ! Au nom des Hommes ! SUS AUX MORT-VIVANTS ! "

La clameur des compagnons résonna jusqu'à l'extérieur des murs. Les zombis furent transpercés de lances et piétinés par les chevaux. Ahrin aperçut alors les portes du donjon intérieur s'ouvrir et un cavalier s'en échapper…

" KRAGG ! appela-t-il. Lâche, tu ne t'enfuiras pas ! " Il lança sa monture, lance en avant… Kragg se tourna et éperonna son destrier pour en faire autant. Les deux chevaliers poussèrent leur cri de guerre… leurs chevaux étaient poussés au maximum de leur vitesse.

Le choc fut terrible. Les deux lances se brisèrent et Ahrin fut projeté au sol.

" Bonjour, preux chevalier, dit la voix de l'ange.

- Suis-je mort ? demanda Ahrin.

- Non, bien sûr que non, répondit l'ange. "

Ahrin soupira. Il se rendormit presque aussitôt.

Le lendemain, Ahrin se leva pour de bon. Il sortit de la pièce où il se trouvait… mais à peine avait-il ouvert la porte et fait quelques pas qu'il dut reculer sous les vivats et les acclamations. Toute la compagnie se trouvait là. Il ne put prendre la parole que quelques minutes plus tard.

" Mais où suis-je ? s'enquit Ahrin en observant la magnifique cour où il se tenait. Ce fut Khored qui lui répondit :

- Bienvenue dans le Château de Vertefeuille, Seigneur Ahrin. Anciennement nommé Noirchâteau, représentant le fief de Kragg le Félon, mais désormais palais de la forêt et terre du Seigneur Ahrin, le Fléau de Kragg.

- Mais ces terres appartiennent aux Elfes…

- Et les Elfes vous l'offrent, enchaîna Yenloëth. En témoignage de notre gratitude pour tout ce que vous avez accompli hier en notre nom.

- Je ne sais que dire, Dame Yenloëth…

- Et bien ne dites rien, tout simplement, reprit Khored.

- Mais vous parlez de la bataille… d'hier ?

- Oui, seigneur Ahrin, vous êtes resté en convalescence pendant plus d'une journée.

- Mais c'est impossible ! Il nous faut nous équiper tout de suite ! Dyrale est assiégée ! enchaîna Ahrin en proie à la panique.

- Calmez-vous, mon bon seigneur, dit la douce voix de Yenloëth. Nos éclaireurs ont observé les mouvements des nécromanciens et vos ennemis hésitent encore à prendre la ville d'assaut. De plus nous connaissons des voies détournées pour rejoindre Dyrale, et avons déjà annoncé à ses habitants notre prochaine arrivée. Les citadins ont retrouvé l'espoir, ils peuvent encore tenir longtemps. Vous vous êtes battu contre Kragg et vous avez fait une mauvaise chute…

- Et Kragg ? S'est-il échappé ?

- Echappé ? dit Khored en riant. Que nenni ! Kragg se tenait encore sur sa monture et la faisait pivoter pour vous piétiner, riant aux éclats de votre mauvaise chute. Mais soudain il tituba… et vit la lance qui lui avait littéralement transpercé le cœur. La pointe ressortait de son dos… seul sa condition de mort-vivant l'avait maintenu debout jusque là, à mon avis. Kragg s'écroula, mort pour la seconde fois. Nous avons brûlé ses restes et dispersé ses cendres pour plus de sûreté.

- Et comment suis-je encore en vie ? J'ai l'impression qu'un bélier m'a enfoncé le torse !

- Et c'était le cas, reprit Khored. Dame Yenloëth vous a soigné pendant tout ce temps. Vous pouvez remercier votre écu ou plutôt ce qu'il en reste, sur lequel la lance de Kragg se brisa. Vous joutez bien, seigneur Ahrin, et j'espère de tout mon cœur ne pas avoir un jour à vous affronter en tournoi ! "

Toute l'assemblée éclata de rire. Ahrin était transporté d'une joie indescriptible, limitée seulement par l'absence de trois compagnons supplémentaires, tombés pendant le siège de Noirchâteau. Cela ne l'empêcha de préparer aussitôt leur départ pour la cité de Dyrale.

Franchement, Ahrin se demandait si l'idée du Pégase était bonne.

Ils avaient pris leur envol depuis moins de trois minutes mais les vertiges d'Ahrin lui laissaient envisager la pire des catastrophes. Il n'avait de cesse d'imaginer ce que serait sa chute, combien de temps il aurait pour hurler avant de s'écraser en bas…

Mais une chose était indéniable, le vol était superbe. Il admirait les rayons de soleil se profiler sur les étendues nuageuses, tel un feu rougeoyant éclairant la voie céleste. Il ne cessait de s'étonner de la beauté des étendues boisées de Devongh au sud, de la splendeur aride du désert de Laanden au nord, et de la merveilleuse Dyrale qui siégeait beaucoup plus bas. Il put également apprécier avec précision le nombre de régiments de squelettes et zombis qui s'étaient rassemblés autour de la cité pour en mener le siège… et pressa Yenloëth de faire fi de sa panique et de lancer le Pégase au plus vite en direction de Dyrale.
Ahrin et Yenloëth étaient partis seuls. Le reste de leur modeste armée avait emprunté des passages souterrains connus uniquement des Elfes, accessibles depuis les racines du Vieil Arbre. Ces tunnels aboutissaient juste derrière les lignes des nécromanciens et même au-delà selon les Elfes, bien qu'ils n'aient jamais osé poursuivre plus avant. Ahrin avait laissé le soin à Khored de diriger la troupe pendant qu'il s'entretiendrait avec le seigneur Obéric et organiserait une sortie afin de prendre les ennemis entre deux feux.
Le cheval ailé les déposa en haut de la cour. Le Seigneur Obéric les attendait déjà. Il fut à peine surpris par l'apparition de Yenloëth et du pégase éclatant.

" Bienvenue, Seigneur Ahrin, lança Obéric de manière lasse.

- Je vous salue, Seigneur Obéric. Cependant votre ton m'inquiète.

- Malheureusement, où trouver l'espoir ?

- Nos troupes sont suffisantes, si elles son bien exploitées, pour anéantir l'ennemi !
Que vous faut-il de plus ?
Vous disposez de largement suffisamment d'arbalétriers, de hallebardiers, d'hommes d'armes et de griffons, je les ai vu depuis les cieux !

- Hélas non, reprit Obéric. Hélas non… Les griffons ont toujours été l'apanage de Dyrale.
Cette espèce royale ne peut être trouvée nulle part ailleurs dans les Hautes Terres de Xilbor. Mais s'ils nous en restent beaucoup, ils n'interviendront pas.

- Et pourquoi cela, par tous les dieux ? Ahrin était tellement en colère qu'il en perdait la notion de l'étiquette.

- Il y a une semaine, des mercenaires orques à la solde des nécromanciens ont pénétré en secret dans la cité et enlevé les œufs de griffons. Les rares femelles ont été massacrées et ils purent s'enfuir dans le nord malgré tous nos efforts.

- Pourquoi les griffons ne cherchent-ils pas à combattre et se venger ?

- Les nécromanciens ont annoncé que s'ils participent au combat les œufs seront détruit et leur progéniture perdue à jamais. Avec la mort de toutes les femelles, c'est la race même des griffons royaux qui disparaîtra à tout jamais. Les griffons ne prendront pas ce risque même si cela leur coûte énormément.

- Où les œufs sont-ils retenus ?

- Les mercenaires sont partis dans le désert de Laanden et se sont établis dans l'une des cavernes des Montagnes de Cuivre. Nous ne pouvons y accéder à cause des armées mort-vivantes qui nous en barrent l'accès… et de toute façon, un assaut serait puni par l'exécution immédiate de tous les bébés griffons. Quel horrible sort…
Obéric paraissait vraiment peiné, mais Ahrin n'avait plus le temps désormais d'y accorder de l'importance.

- Préparez vos troupes pour une sortie, Seigneur Obéric, dit Ahrin en montant le Pégase d'argent. Nous prendrons les forces nécromanciennes par l'arrière alors qu'elles s'avanceront vers vous, neutralisant ainsi leurs tireurs en premier.

- Mais sans les griffons nous sommes perdus…

- Je m'en vais chercher les œufs. Faites-moi confiance et préparez-vous à une sortie dès l'aube prochaine.

" Et Ahrin s'envola aussitôt. Obéric restait blême, hurlant au chevalier de renoncer immédiatement.

" Prenez garde, les amis, chuchota Ahrin à ses sept compagnons. Nous approchons de la caverne. Si les œufs s'y trouvent il faut les prendre et les emmener ici sans délai. Que trois hommes restent ici pour les ranger dans les sacs et les attacher aux chevaux. Khored et les trois autres vous serez avec moi dans le groupe chargé de s'en emparer. Nous aurons probablement plusieurs voyages à faire. "
Dès le retour de leur chef les cavaliers avaient mis le cap vers le nord. Les souterrains menaient en effet beaucoup plus loin et comme Ahrin le pensait ils communiquaient avec les Montagnes de Cuivre. En vérité l'un des passages menait même jusqu'à la cache où les mercenaires orques et gobelins gardaient les derniers œufs des griffons royaux.
L'exploration des tunnels ne s'était pas avérée trop fastidieuse, le plus dangereux ayant été l'attaque soudaine d'une soixantaine de troglodytes. Mais les Elfes les accompagnaient encore à ce moment et ils purent aisément les faire battre en retraite. Le plus dur restait à faire.

Le tunnel montait et montait encore dans l'obscurité. Leurs torches éclairaient à peine le chemin escarpé… mais au bout du passage brillait une lumière douce.

" Ergon, va voir de quoi il s'agit ", murmura Ahrin à l'un de ses hommes.

Ergon s'avança aussi silencieusement que possible. La compagnie avait temporairement troqué ses lourdes armures contre des protections en cuir plus souples et plus discrètes. Après avoir jeté un rapide coup d'œil à l'intérieur, il revint beaucoup plus blême auprès de ses compagnons.

" Ce… ce… ce sont les œufs, fit-il en bégayant. Les œufs qui brillent. Mais…mais… il y a un problème… un… un… un Dragon.

- Un Dragon ? répéta stupidement Ahrin. De quel type ?

- Un Dragon maudit, un Dragon d'Os. "

Parfait, pensa le chef de la compagnie, nous voilà face à un Dragon, et sans armure ni monture de surcroît. Heureusement ce n'est qu'un Dragon d'Os !

" Bien, reprit Ahrin pour montrer l'exemple à ses hommes. Le seul avantage est que si un Dragon d'Os garde les œufs des griffons, les mercenaires orques ne sont certainement pas dans le coin.

- Mais comment pourrions-nous le vaincre, seigneur Ahrin ? demanda Khored.

- Espérons tout simplement que nous n'aurons pas à la faire. "

Il franchirent les derniers escarpements, laissèrent un homme muni d'une torche dans le tunnel et pénétrèrent un par un dans la caverne après avoir déposé leurs flambeaux. La lumière des œufs baignait la caverne de merveilleux reflets dorés. L'on reconnaissait là les œufs des griffons royaux, seuls à pouvoir rivaliser de beauté avec ceux des terribles Dragons. Mais un squelette immense entourait les œufs posés en tas… il paraissait impossible de les récupérer sans pénétrer à l'intérieur. Le Dragon d'Os était vraiment terrifiant. Il restait immobile, comme plongé dans un profond sommeil. Ahrin n'aperçut aucune lueur dans les orbites vides de ses yeux, il ne vit aucun mouvement des vertèbres ou des griffes. Peut-être n'est-ce qu'un Dragon mort depuis bien longtemps ? se mit-il à espérer. Il fit signe à ses compagnons de s'avancer vers les œufs pendant qu'il explorait le reste de la caverne. Il avait repéré un tas brillant non loin : c'était certainement de l'or, un cadeau inespéré pour la guerre qui s'annonçait.
Un énorme rugissement lui glaça le sang. Figés sur place, les soldats paniquèrent en voyant le squelette s'animer soudainement… La créature se releva de toute sa stature et poussa de nouveau de son hurlement ténébreux.
" En avant, compagnons ! Ne tremblez pas face à cet amas d'ossements, faites face et combattez dignement ! " lança Ahrin et chargeant la créature. Mais malgré toute leur bravoure, ses compagnons n'osèrent attaquer. Seul Khored s'avança à ses côtés.
La bête prit son envol et dépassa les chevaliers pour fonder sur les trois combattants effrayés. En un instant elle fut sur eux... Ergon chercha en vain à interposer sa lame, mais le Dragon d'Os s'en moqua et le prit dans sa gueule. Les crocs blanchis par l'âge lui broyèrent les chairs alors que la créature affermissait sa prise.
" VITE ! Allez prendre les œufs ! hurla Ahrin à l'intention des deux hommes restant. Toi aussi, Khored ! Je m'occupe de ce monstre… " Le chevalier ignorait totalement comment il pourrait vaincre la créature mais il espérait la distraire suffisamment longtemps pour que ses amis s'emparent des précieux œufs de griffons.
Il dégaina sa grande épée et frappa l'une des griffes de toutes ses forces… sans provoquer autre chose qu'une mince éraflure. Un saut de côté le mit à l'abri de la riposte. Saisissant l'opportunité, Ahrin plongea à l'intérieur du Dragon d'Os et le frappa de nombreuses fois dans les côtes. Le monstre essaya alors de l'écraser sous lui… mais le chevalier s'échappa par les espaces de la cage thoracique et lui asséna plusieurs coups sur les vertèbres. La créature prit alors son envol et Ahrin s'accrocha du mieux qu'il put… il escalada les longues pointes dorsales avec difficulté. Il parvint jusqu'au crâne du Dragon… hurlant tel un forcené, levant son épée à la verticale, il la plongea à l'intérieur… le cartilage épais fut transpercé et la lame s'enfonça jusqu'à la garde dans la tête du monstre rugissant. Ahrin se trouva propulsé par un mouvement brusque du monstre. Les yeux de Dragon d'Os rougeoyaient d'une lueur maléfique et haineuse. Ce coup prodigieux aurait eu raison de n'importe quel Dragon… mais pas d'une telle créature morte depuis si longtemps. Le Dragon d'Os n'était pas encore défait. Oh que non, il était juste très en colère…
" Tenez, seigneur ! " dit Khored en lui lançant sa lame. Les deux autres soldats venaient de s'enfuir dans le tunnel, le dos chargé d'œufs de griffons. Khored les suivait de près. Mais il restait encore au moins un autre voyage à accomplir… et Ahrin doutait de pouvoir tenir si longtemps.
Le gardien des œufs semblait avoir oublié tout de sa mission. Il n'avait plus qu'une chose en tête : éliminer cet imprudent, ce fou furieux qui avait cherché à le détruire. La créature cherchait à la happer de ses griffes, à le prendre dans sa gueule… Ahrin n'avait d'autre choix que de se défendre en escrimant et esquivant du mieux qu'il put. Il se trouva rapidement acculé à la paroi rocheuse de la caverne. Il aperçut du coin de l'œil ses hommes s'avancer vers les œufs… mais il vit également d'autres silhouettes se ruer dans leur direction… les mercenaires orques ! Le Dragon d'Os le chargea et buta contra la paroi. Les choses se corsaient terriblement…
Le Seigneur Obéric observait les dernières lueurs du jour avec une profonde tristesse. La sortie serait pour le lendemain, tous ses hommes en étaient informés. Un acte désespéré au vu des légions de mort-vivants qui se tenaient de l'autre côté. Alors qu'il songeait au nombre de braves qui tomberaient sur le champ de bataille, un garde vint le trouver dans la cour extérieure.

" Seigneur Obéric, fit-il en s'agenouillant, j'ai de bien graves nouvelles. L'armée ennemie s'est mise en marche au crépuscule et se prépare à un assaut direct.

- Grands dieux ! lança Obéric. Sonnez l'alerte et mobilisez tous les hommes. Dyrale ne doit pas tomber cette nuit ! ".

Le seigneur s'avança jusqu'aux remparts et contempla les masses de mort-vivants attroupées de l'autre côté. Sans l'aide des griffons, les soldats seraient bien incapables d'éliminer les puissantes liches qui constitueraient leur principale force de frappe.
Il plaça ses arbalétriers sous l'escorte de nombreux hallebardiers et autres régiments d'hommes d'armes. Les rares cavaliers dont il disposait furent disposés à proximité des moines de l'Ordre Divin, les prêtres sacrés de Dyrale, dont la foi allait peut-être ce soir sauver la cité tout entière. Les légions de squelettes et de zombis s'avançaient lentement alors que les remparts tremblaient sous le feu des catapultes. Une aura maléfique s'avança sur les gardes postés… de nombreux soldats tombèrent au sol en proie aux plus horribles souffrances avant de passer de vie à trépas. Les liches avaient frappé. Les arbalétriers firent pleuvoir en retour des nuées de projectiles mortels afin de ralentir l'avancée des cadavres vivant. Les moines en appelèrent à leur divinité sacrée, qui leur accorda suffisamment de pouvoir pour repousser les créatures ennemies et en abattre de nombreuses. Mais il y en avait toujours plus…
Obéric observa avec crainte une nuée de chauve-souris se rapprocher des remparts. N'importe qui aurait pris cela comme quelque chose de négligeable… mais pas un vieux seigneur comme lui qui avait connu tant de guerres contre les nécromanciens. Il prépara ses hommes à recevoir l'assaut des terrifiants vampires, laissant entrevoir des failles là où il n'y en avait pas afin de les piéger par la suite. Et cette stratégie fut un succès complet. De nombreux hallebardiers et homme d'armes tombaient, mais la cavalerie poursuivait les vampires partout où ils attaquaient, réduisant rapidement leur nombre. Parfois un nosferatu se relevait guéri de ses blessures après s'être repu d'un soldat, parfois d'autres tombaient en cendres le cœur percé par les lances des champions. Le faible nombre d'hommes montés fut assisté dans sa tâche par les régiments d'hommes d'armes.
Pendant un instant Obéric crut que la victoire était possible. Un instant seulement.
De nouvelles vapeurs mortelles se formèrent autour de ses hommes et les firent tomber raides morts. Les zombis et goules s'étaient plongés dans les douves et s'engageaient dans les maigres brèches alors qu'arbalétriers et moines avaient déjà fort à faire avec les nosferatu. La bataille était mal engagée…
Quelque chose d'étrange se produisit alors : les vampires prirent leur envol et se replièrent dans la plus grande panique. Même les zombis et goules hésitèrent et revinrent en arrière. Les créatures mort-vivantes qui avaient investi la cité furent rapidement abattues par les hallebardiers et Obéric lança sa cavalerie à la poursuite des autres. Car il savait ce qui se produisait : les Elfes de Devongh avaient pris l'ennemi par l'arrière ! Moines et arbalétriers bombardèrent les lignes ennemies une nouvelle fois, faisant choir squelettes et zombis comme des épis de blés alors que les troupes de Dyrale faisaient une sortie.
Des lueurs blanches brillaient dans le ciel au reflet de la pleine lune : l'on reconnaissait sans mal la robe laiteuse et merveilleuse des Pégases d'Argent de Yenloëth. Se jetant sur les vampires ennemis, leur chef, reine de Devongh, lança au milieu des étoiles :

" Tous ensemble, gens de Dyrale ! Luttons et tenons bon ! Car les griffons viennent ! Les griffons viennent ! "

Une grande clameur monta parmi les soldats qui chargèrent alors les troupes ennemies avec un courage renouvelé. Au-dessus d'eux se firent entendre les premiers cris des griffons royaux qui se joignirent au combat.

La victoire était leur mais ils n'avaient pas le temps de la fêter. Tanihis était assiégée depuis bien trop longtemps et le pire était à prévoir.
Les armées mort-vivantes s'étaient repliées après avoir subi de lourdes de pertes. Elles faisaient route vers Tanihis. Bien qu'au premier abord on puisse supposer que les ennemis souhaitaient rejoindre leurs alliés qui menaient le siège, Ahrin avait une toute autre théorie.

" Ils foncent droit vers le nord, mais s'arrêteront au niveau des avant-postes fortifiés pour les tenir contre nous. " Obéric regarda ce chevalier avec le plus profond respect. Il était revenu couvert de blessures de son raid pour récupérer les œufs et voulait poursuivre sans plus attendre. " Il faut que nos hommes s'emparent du poste de gardes avant eux. Nous n'avons pas le choix. Sans leurs liches ils ne pourront pas le reprendre rapidement.

- Mais avez-vous perdu la raison ? lança l'un des capitaines du seigneur Obéric. Nos hommes sont fatigués et blessés. Jamais nous ne pourrons rejoindre ce poste fortifié à temps !

- Nous progresserons en marche forcée et nous contenterons d'écraser ces mort-vivants en route ou de les forcer à emprunter un chemin moins rapide. Nous devons rejoindre Tanihis avant eux !

- Mais comment diable ferions-nous ?

- J'ai un plan, dit Ahrin avec un sourire généreux. Tout d'abord, nous prendrons avec nous tout l'or que Dyrale pourra offrir. Cela nous facilitera la traversée des sables… Dame Yenloëth, reprit-il en changeant de sujet, nous vous remercions pour l'aide que vous avez apportée. Vous avez accompli déjà beaucoup pour nous, et…

- Comment, un remerciement et c'est tout ? Et vous croyez que je vais vous laisser vous jeter sous les cimeterres gobelins et dans les gueules des Dragons d'Os sans surveillance ? Oh que non ! Les Elfes vous accompagneront jusqu'à Tanihis, chevalier Ahrin !

- Hourra pour la Reine de Devongh ! " lança Ahrin bientôt repris par ses hommes. Car le chevalier lui devait déjà beaucoup : alors qu'il se trouvait à combattre une dizaine de gobelins dans les ténèbres des souterrains, elle et ses Elfes étaient venus jusqu'à eux pour les soutenir. Ses Pégases d'Argent avaient ensuite porté les œufs plus vite que le vent pour les offrir aux griffons royaux dans leurs nids célestes et avaient par la même occasion sauvé Dyrale de la ruine. " L'ensemble des Seigneurs de Manfred vous doit déjà beaucoup, Dame Yenloëth, mais nous avons en effet encore besoin de vos services. Il vous faudra guider les Pégases d'Argent et les Griffons Royaux de Dyrale vers cet avant-poste. Votre armée sera ainsi infiniment plus rapide que la nôtre et que la leur et vous pourrez prendre l'avant-poste sans difficulté avec vos troupes volantes. Notre cavalerie menée par le chevalier Khored se tiendra légèrement en retrait pour se joindre à vous au cas où les légions mort-vivantes lanceraient tout de même un assaut désespéré. Seigneur Obéric, nous dirigerons l'armée de Dyrale le plus rapidement possible. Nous rejoindrons Tanihis… et ce même si ce n'est que pour y mourir d'épuisement ! "

La traversée du désert de Laanden n'était pas chose aisée. Les centaines de hallebardiers et d'hommes d'armes peinaient dans la contrée sableuse, les chevaliers en armure suaient toute leur eau sous le soleil de plomb. La cité de Dyrale avait presque été vidée de tout défenseur : les seuls à rester pour garder les murs étaient les blessés légers et graves. Ahrin regretta l'absence de Khored, partit devant eux avec la cavalerie, mais se rappela soudain qu'il devait avoir la voix trop desséchée pour chanter de toute manière.
Mais malgré toute cette chaleur Ahrin poussait les soldats à accélérer l'allure. Beaucoup tombaient d'épuisement puis étaient allongés sur des chevaux endurants mais déjà courbus de fatigue. Ils progressaient vite mais pas suffisamment, et les oasis aperçues n'étaient à chaque fois que des mirages… seul le charisme d'Ahrin et d'Obéric maintenait les hommes motivés pour continuer.
On aperçut bientôt des contreforts montagneux à l'horizon. Et là il ne s'agissait pas d'une vulgaire illusion : droit au nord se tenaient les Montagnes de Cuivre. L'armée devait s'engager dans une vallée idéale pour une embuscade, la Passe du Cimeterre, ou contourner les montagnes et perdre plusieurs jours. Ahrin avait décidé de prendre le risque et d'emprunter la vallée. Il savait pourtant parfaitement que les mercenaires gobelins devaient être légions par ici. Les Seigneurs des Manfred avaient toujours jugé inutile de pacifier les tribus barbares de Laanden, occupées qu'elles étaient le plus souvent dans des querelles intestines.
Au milieu de la vallée il parut aux soldats que le pire était passé. Mais des rochers chutèrent tout autour d'eux… et ce n'était pas du à une avalanche. Des groupes de cyclopes jetaient les projectiles meurtriers depuis les hauteurs des plateaux. Ne voyant aucun moyen pour les atteindre, Ahrin ordonna d'avancer encore plus vite et de se mettre à l'abri. Les cavernes autour d'eux vomirent alors gobelins et loups géants à leur encontre. Confiants dans leur embuscade, les Cyclopes commirent l'erreur stupide de descendre dans la vallée pour dévorer les soldats. Le chevalier fit sonner les cors de bataille et éperonna sa monture pour charger l'ennemi. Les gobelins tombèrent rapidement sous les carreaux d'arbalète et les loups féroces furent arrêtés nets par les rangées de hallebardes puis abattus par l'infanterie lourde. Les cyclopes se montrèrent beaucoup plus redoutables mais étaient, heureusement, bien trop peu nombreux.
Décidément, les orques ne savaient vraiment pas compter. Ils avaient lancé l'assaut sur un groupe trois fois plus nombreux et avait annulé leur avantage d'embuscade par une charge stupide.
Ahrin observa toutefois les cieux avec inquiétude alors qu'un groupe de Rocs décrivait des cercles au-dessus de leur armée. D'autres ombres ailées apparurent un peu partout… Ahrin reconnut sans mal les terrifiants Dragons d'Os. Mais les mort-vivants fuyaient vers le nord, poursuivis par les Rocs belliqueux… apparemment les barbares s'étaient retournés contre les nécromanciens !
Ahrin sourit en songeant à l'or qu'ils avaient offert à des éclaireurs barbares deux jours plus tôt. Personne ne savait à l'époque si les sauvages avaient compris leur requête. Désormais la traversée de Laanden allait être beaucoup plus aisée avec les Rocs comme alliés. Mais le chevalier ordonna à ses hommes d'écourter leur halte et de presser le pas : personne ne savait combien de temps allait durer leur loyauté.
L'armée de Dyrale avait rejoint Khored et Yenloëth trois jours plus tard. Les nécromanciens avaient attaqué l'avant-poste… mais une fois leurs Dragons d'Os détruits ils avaient lâchement battu en retraite.
La grande armée faisait désormais route vers Tanihis. Tous virent bientôt la cité autrefois splendide, qui désormais n'était que ruine et cendres. Les plaines étaient encombrées de nombreux régiments de mort-vivants se dirigeant droit vers leurs troupes. Une nuée de chauve-souris mit le cap vers eux alors que les liches anciennes prenaient position e haut des collines. Les nécromanciens avaient tout mis en œuvre pour prévenir la libération de Tanihis.
Les yeux pleins de larme devant ce spectacle désolé, Khored chanta de sa voix la plus claire, dominant les hurlements du champ de bataille :
" Nos villages sont brûlés, leurs cendres dispersées.
Mais dans ces braises éteintes résonnent encore leurs plaintes.
Nous les entendons tous, ils veulent être vengés !
Cavaliers de Xilbor ! L'ennemi est déjà loin
Mais la vengeance nous guidera
De la nuit jusqu'au matin.
Nos montures nous porteront
Plus vite que le vent
Nos lances les frapperont
Enhardies par nos chants.
Jamais nous ne tomberons, toujours nous poursuivrons.
Par delà la mort nous chevaucherons encore
Guidant les glaives de nos frères vers le cœur de l'ennemi
Et au son du cor seront fauchés leurs corps
Car pour venger les nôtres, nous leur ôteront la vie ! "
Ahrin fit sonner le rassemblement puis s'adressa rapidement à Khored : " Nous devons rejoindre la cathédrale au plus vite. Peu importe les pertes humaines que nous subirons, elles ne seront rien en comparaison de ce qui se passera si les nécromanciens parviennent à ouvrir leur Porte des Enfers. "
Puis il lança à l'ensemble des soldats : " EN AVANT, SOLDATS ! POUR LA LIBERTE ! POUR LA VIE ! POUR LES MANFRED ! ! ! ! " et chargea à la tête de ses hommes, Khored à sa droite, le vieil Obéric à sa gauche, et les Pégases d'Argent de Yenloëth au-dessus de lui.
Ahrin titubait et boitait en gravissant les marches de la cathédrale. Son corps était couvert de sang mêlé : il y avait le sien sang mais également celui de ses ennemis… et celui de ses frères. Leurs pertes avaient été nombreuses. Le chevalier doutait même qu'il y ait encore des survivants. De toute manière rien de tout cela ne comptait désormais, car il avait échoué.
Ils étaient arrivés trop tard.
Le chevalier gravit encore péniblement les dernières marches. Il franchit les colonnes autrefois magnifiques du temple suprême. Les Archidiables faisaient déjà résonner leurs hurlements terrifiants, leurs légions démoniaques avaient massacré leurs troupes et poursuivaient en quête d'autres cités à détruire. Tanihis la grande, le joyau de ces contrées, n'était plus qu'un amas de cendres.
Ahrin chassa du pied les cadavres de dizaines de diablotins alors qu'il parvenait aux portes voûtées du bâtiment. Il distingua sur le côté le cadavre du seigneur Obéric, tombé en affrontant courageusement d'innombrables ennemis. Il ne voyait plus Khored, ce jeune barde si vigoureux, celui qu'Ahrin considérait presque comme son fils. Il ne se rappelait même plus à quel moment du combat il l'avait perdu de vue, pressé qu'il était de rejoindre la cathédrale.
Et maintenant il s'y trouvait, il l'avait rejointe. Mais il était trop tard.
Les portes s'ouvrirent sans difficulté. Dehors résonnaient encore de nombreux affrontements, lutte acharnée de soldats désespérés contre des ennemis trop nombreux. A l'intérieur régnait un calme presque monastique.
Devant Ahrin se trouvait la fameuse Porte des Enfers, celle qui avait lâché tant de tourments sur le monde. Il s'agissait d'une sorte de voûte gigantesque auréolée d'une lueur maléfique. De l'autre côté, on voyait des dizaines de corps se tordre dans d'horribles douleurs. De l'autre côté, on distinguait le désespoir s'emparer des cœurs et distiller dans l'âme son poison mortel. De l'autre côté, on apercevait des dizaines de démons griffus assoiffés de sang, pressés de dévaster les terres paisibles de Xilbor.
Le chevalier franchit encore quelques mètres avec peine. Le sol était jonché de cadavres de paladins, de démons et de restes de chevaliers de la mort. Le combat avait du être acharné. Mais comment détruire cette porte ? se demanda Ahrin. Elle ne semblait pas avoir de structure propre.
Ce fut alors qu'il le vit.
L'homme en armure était resté assis sur les bancs, complètement immobile. Il se leva et s'avança lentement… Reconnaissant le blason des chevaliers de l'Effroi, capitaines des armées des ténèbres, Ahrin dégaina prestement son épée. La créature fit de même, le fixant froidement de ses yeux rouges et maléfiques.

" Tu es revenu, Ahrin ", dit-elle d'une voix glaciale.
Mais malgré ce ton dénué de sentiment le chevalier reconnut là la voix de Garion, son ancien maître, celui qui lui avait tout appris alors qu'il n'était qu'un page ignorant tout de la voie de la chevalerie. " Garion ? demanda Ahrin. Est-ce toi ?

- Qui d'autre, Ahrin ? Qui d'autre aurait pu mener les légions de mort-vivants à vaincre encore et encore et à s'emparer de Tanihis ? Qui d'autre aurait pu écraser les paladins de l'Ordre du Phénix, gardiens de la cathédrale sacrée qui garantissait la prospérité des Seigneurs de Manfred ? L'homme en armure souleva alors la visière de son casque. Et derrière les runes de malédiction, derrière les motifs démoniaques, se trouvait un visage pâle mais serein, froid mais empli de sagesse. Le teint était trop pâle, les yeux n'étaient plus que le miroir d'une âme damnée pour l'éternité… mais il s'agissait bien de Garion, Garion le Brave, héros de tous et véritable père pour Ahrin.

- Mais pourquoi ? Ahrin sentit ses larmes couler alors que des vagues de souvenirs l'assaillaient. Garion ne pouvait être la créature damnée présente devant lui. Pourtant, la démarche, la façon de parler, toutes les manières de ce chevalier de l'Effroi lui ressemblaient tellement…

- Ahrin, je t'ai appris tant de choses. Mais ce que la vie après la mort peut apporter je ne pourrai te l'enseigner… à moins de te tuer. Sur ces mots le chevalier extirpa une grande épée enfoncée dans le corps de l'un des paladins.

- Non, Garion, je ne veux pas me battre…

- Alors laisse toi faire et rejoins-moi dans l'au-delà. Les choses sont tellement plus simples désormais. Tu verras… je t'amènerai devant Leetaax, la plus ancienne des Liches de Puissance, et elle fera de toi le plus parfait des généraux.

- Non, Garion, cela ne sera JAMAIS, dit Ahrin en se reprenant et essuyant ses larmes. Je ne souhaite pas te combattre mais ne deviendrais jamais comme toi, un être dénué d'âme et de bonté, un misérable laquais asservi par la plus noire des magies.

- Et qu'es-tu pour Layboor si ce n'est un laquais ? dit Garion en soupirant de lassitude. De toute manière tu n'as pas à être d'accord, je ne l'étais pas moi non plus. Une fois mort tu te poseras moins de questions… Garion s'avança encore de quelques pas.

- Non, fit Ahrin en reculant et tremblant. Non, je ne veux pas t'affronter, Garion. Laisse moi passer, laisse moi détruire cette Porte des Enfers, au nom de ce que tu as été. Car tu aimais cette terre avant de mourir, tu aimais les gens qui la peuplaient, et tu n'avais qu'un seul désir, celui de détruire Leetaax, le Seigneur Nécromancien qui t'a vaincu.

- Avant de mourir, peut-être, mais il est trop tard maintenant. Ainsi tu veux détruire la porte ? Un simple coup d'épée suffirait. Impressionnant, non ? Toute l'œuvre des puissances mort-vivantes pourrait être anéantie… d'un simple coup d'épée. Il restera bien sûr les hordes d'archidiables déjà lâchées sur le monde, amplement suffisantes pour envahir tout Xilbor. Oh, c'est vrai, j'oubliais… je suis le gardien de la Porte. Avant d'accomplir tous ces actes héroïques et blasant, il te faudra donc m'affronter ! "

Celui qui avait été Garion chargea alors son ancien écuyer avec toute l'énergie que lui avait accordé sa seconde vie. Ahrin se défendit du mieux qu'il put mais n'avait ni la force ni la volonté de combattre. Tout espoir était perdu pour lui. Son épée retomba et le chevalier s'écroula complètement épuisé, à la merci de Garion, après seulement quelques passes d'armes.

" Non, non, beaucoup trop facile… " lança le chevalier de l'Effroi en reculant et redonnant son arme à Ahrin.

Le combat reprit plus intensément. Mais là encore Ahrin malgré tous ses efforts ne fit pas le poids face aux compétences martiales de son ancien maître. Il s'écroula de nouveau, désarmé.

" Pitoyable " reprit Garion. " J'ai encore beaucoup à t'apprendre, jeune Ahrin. Heureusement il nous reste l'éternité… " Il leva son épée au-dessus d'un Ahrin défait et désespéré. La pointe s'abattit droit vers son cœur… et rencontra une autre épée dans une gerbe d'étincelles.
" Relevez-vous, seigneur Ahrin ! lança la voix chantante de Khored le barde qui engageait le combat. Relevez-vous et combattez, que diable ! Il y a cette Porte à détruire ! " Les coups d'épée se succédaient alors que Khored cherchait à vaincre un ennemi invincible.
" DEBOUT, CHEVALIER DE XILBOR ! " lança finalement le jeune homme. Sa voix résonna à travers chaque voûte de la cathédrale. Le jeune guerrier reçut alors une méchante estafilade sur le côté. Il recula et céda du terrain devant Garion qui reprenait peu à peu l'initiative.
Au moment même où Ahrin se relevait, le chevalier de l'Effroi accomplit une botte avec maîtrise et perfection. La lame du barde fut déviée et la pointe de l'épée de Garion s'enfonça dans sa poitrine jusqu'à la garde. Ahrin et Khored hurlèrent ensemble, l'un de désespoir et l'autre de douleur. Garion retira son arme et recula, triomphant.
" Ja… jamais… nous ne tomberons, toujours… nous poursuivrons… murmurait Khored blessé à mort, essayant vainement de relever son arme.
Par delà… la… mort… nous chevaucherons encore… dit-il en vacillant en laissant choir son épée.
Guid… guidant… les glaives… de nos frères… vers le cœur… de l'ennemi… fit-il en s'écroulant dans les bras d'Ahrin. Un mince filet de sang s'écoulait de sa bouche.
Et… et… au son… du… cor… seront fau… fauchés… leurs corps… " murmura-t-il d'une voix faible. Un dernier spasme l'anima alors et il rendit son dernier soupir.

" Car pour venger les nôtres, nous leur ôteront la vie ! " acheva Ahrin les yeux pleurant.

Le chevalier se releva alors empli d'une nouvelle énergie. La haine et la colère qui l'animaient transformaient son corps entier en un instrument de vengeance.

" TOI ! hurla-t-il à l'intention de Garion. TOI ET TON MAITRE ! JE VAIS VOUS DETRUIRE ! "

Ahrin chargea alors un Garion presque surpris. Le combat fut acharné et violent. Le chevalier de l'Effroi avait déjà mené de nombreux affrontements pour s'emparer de la cathédrale et la guerre avait déjà épuisé son adversaire, pourtant les deux guerriers luttaient âprement avec des forces renouvelées.

Ahrin commençait à prendre l'avantage après de longues minutes de duel. Pris au dépourvu, Garion essaya d'effectuer la botte qui avait eu raison de Khored… mais il avait oublié, dans son mépris des autres, qu'il l'avait déjà enseignée par le passé à un jeune et valeureux écuyer qu'il combattait désormais.
Ahrin reconnut la manœuvre et en connaissait la parade. Fort de son nouvel avantage il accomplit une deuxième botte, de sa propre conception, et plongea sous la lame de son adversaire pour passer dans son dos.
Au moment où Garion se retourna il avait déjà l'épée d'Ahrin plongée dans son ventre. Cela ne l'arrêta qu'un moment… le chevalier de l'Effroi hurla et leva son arme. Ahrin tourna son épée et la fit remonter dans le torse de l'ennemi. Garion hurla de plus belle… et abattit sa lame.
Ahrin retomba au sol, grièvement blessé, se vidant de son sang. Son ennemi leva de son nouveau son arme pour livrer le coup de grâce… il tomba à genoux, en proie à l'agonie… Garion releva la visière de son casque, comme pour respirer un air dont il n'avait plus besoin… il s'écroula et rendit finalement l'âme avant d'accomplir son dernier méfait.
Les yeux de Garion se fermèrent lentement. A l'heure de sa seconde mort son visage apaisé inspirait la confiance. Il avait repris les traits de Garion le Brave, ce héros courageux qui avait défié les forces du mal jusqu'à les poursuivre dans leur repaire. Ce preux chevalier qui était tombé malgré tout… cet homme qui avait pris il y a bien longtemps un jeune orphelin encore gamin sur ses genoux et lui avait chanté les mille et une vertus de la chevalerie.
Cet orphelin était allongé à ses côtés, en proie à la souffrance du corps et de l'âme. Mais Ahrin reprit son souffle dans un hoquet de douleur. Il ne pouvait mourir maintenant. Il avait encore une chose à accomplir.
Le chevalier rampa sur les derniers mètres, laissant une longue traînée de sang épais derrière lui. Il entendait les hurlements démoniaques se rapprocher. Il sentait des démons se ruer vers la Porte pour empêcher sa destruction. Ahrin leva son épée.

" Retournez aux Enfers, dévots et suppôts ! Retournez aux Enfers et n'en revenaient JAMAIS ! "

Il lança son arme sur la Porte au moment où de longues griffes en surgissaient. Que ce soit sous l'effet de la force de sa volonté ou du simple contact de l'acier, la texture de la fissure se troubla rapidement. Des éclairs de saphir frappèrent les colonnes de marbre et brisèrent les vitraux, des hurlements inhumains résonnèrent à des lieues… puis il n'y eut plus rien, rien que des arcs électriques et l'écho terrifiant de ces cris.

Quelques secondes plus tard un tremblement secoua tout le bâtiment. Des fissures zébrèrent les piliers et les murs et les derniers vitraux volèrent en éclat. Je vais mourir enseveli, pensa Ahrin alors que d'énormes blocs de pierre chutaient tout autour de lui. Mais il était bien trop blessé pour se mettre à l'abri. D'une certaine manière il lui importait peu de mourir maintenant. Peu de choses lui importaient à l'heure actuelle. Il ferma les yeux et attendit son heure.
Il entendit les voûtes de la cathédrale céder sous une force inconnue et s'écrouler partout autour. Des gravats et rochers le recouvrirent rapidement. Il sentit une lumière forte lui brûler les paupières, comme si les rayons du jour avaient fini par traverser les murs.
Ahrin ouvrit les yeux. Il aperçut sous l'éclat aveuglant du soleil des ailes et des hommes… les ailes étaient blanches et les hommes revêtaient une armure brillante… il entendit le ciel et les nuages chanter et il se sentit bien.

L'une des créatures s'approchait de lui.

" Je vous salue, preux chevalier, dit une voix belle et dominante qui tomba sur lui comme une avalanche de douceur et une cascade de mots bienheureux.

- Suis-je mort ? demanda Ahrin en se délectant de ses paroles.

- Non, bien sûr que non, répondit une autre voix plus féminine. "

Ahrin soupira et les ténèbres l'envahirent.

Tohril replia le parchemin avec soin et le rangea dans son étui avec précaution. Ces textes étaient très précieux et le Maître du Savoir remercia les Dieux de les lui avoir fait parvenir. Soudain il réalisa qu'il y avait quelqu'un d'autre à congratuler : dans la salle de lecture se tenait encore le coursier, le patient et valeureux messager qui lui avait rapporté ce crucial Parchemin du Savoir.
La personne avait longuement insisté pour entrer dans la Tour de Vinghar et lui remettre en main propre. L'individu lui avait donné l'étui sans prononcer un mot. Tohril avait bien essayé de lui faire prendre congé mais il était resté là, complètement immobile. Il fallait croire que le pauvre était sourd et muet.
" Il y a autre chose ", dit soudainement le messager d'une douce voix féminine. Tohril sursauta sous l'effet de la surprise. Il fut encore plus étonné quand la personne retira son capuchon… elle avait une longue chevelure brune et de brillants yeux d'émeraude.
" J'ai trouvé le chevalier Ahrin gisant dans la cathédrale détruite et l'ai placé sur mon pégase puis ramené à Dyrale pour le soigner. Car Ahrin était vivant. L'histoire que j'ai fait transcrire sur ces feuilles est le témoignage de tous ses compagnons et le récit de ce qu'il me conta. Je n'ai pas vu les anges dont il parlait. Peut-être a-t-il pris les ailes de ma monture pour… autre chose, dit la femme en hésitant. Mais les démons relâchés sur les contrées de Xilbor disparurent rapidement et de nombreux soldats parlent encore d'archanges descendus sur ces terres pour les renvoyer en enfer. " La femme baissa les yeux et reprit lentement son souffle. Pour rien au monde Tohril aurait voulu l'interrompre, il se délectait autant des mots que de la voix de cette dame.
" Ahrin n'était plus le même après tout ce drame. Il avait l'âme torturée et tourmentée par tous ces proches qu'il avait perdu. Il est parti résolu vers le nord jusque dans le Royaume Désolé, à la recherche de Leetaax le Maudit. Rares furent ceux qui l'accompagnèrent dans ces régions redoutées. Je l'ai suivi à son insu et ai vu ses compagnons tomber un à un sous l'assaut de créatures innommables…, mais Ahrin est cependant parvenu jusqu'à Leetaax, il a forcé l'entrée de la Tour de Xanthir, le palais de ce Seigneur Nécromancien. Je n'ai pu le rejoindre… ". La voix du messager devint tremblante.
" Il y eut de grands combats. La magie de la liche a secoué le royaume tout entier… puis Ahrin est sorti de la tour couvert de blessures béantes. Il avait le teint pâle et le visage décomposé… il s'écroula mort sur les marches de Xanthir. Des créatures mort-vivantes s'avancèrent lentement vers lui, surgies des ténèbres de la Tour. Quand mon pégase me déposa sur les marches j'eus à affronter de nombreux zombis et squelettes qui cherchaient à m'arracher sa dépouille pour une ignoble raison. Je l'amena au Seigneur Layboor de Xilbor qui l'immola par le feu selon le rite des anciens rois… afin d'honorer sa mémoire, mais aussi je pense pour empêcher une éventuelle résurrection. " La femme se redressa et se détourna pour s'en aller.
" On a plus entendu parler de Leetaax depuis cet affrontement. On le suppose définitivement détruit mais personne ne peut en être certain. Ce dont tout le monde est sûr, par contre, c'est que le chevalier Ahrin fut le plus grand Héros des Terres de Xilbor et qu'il accomplit tous les sacrifices pour sauver l'humanité, l'amour et la vie dans le monde. " Le messager avait ouvert la porte et se retira avant que Tohril ne puisse prendre la parole. Il disparut dans les escaliers sans même un mot d'adieu.
" Adieu et soit béni, messager de Xilbor… " murmura lentement Tohril en se rasseyant. " Adieu et merci, belle Yenloëth… "

 

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