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Récit de force. Fevrier 2000
Par Fangorn (Sébastien Mallet)

 

 

 

 

Récit de l'Aventure

Ahrin reposa sa coupe de vin, résolu. Il irait à Tanihis, sans hésitation. Pour son seigneur et la protection des Terres Hautes de Xilbor, bien sûr. Mais aussi pour retrouver Telit. Et cette raison l'emportait sur toute autre. Maintenant que les Nécromans menaçaient ce sanctuaire, il lui fallait se hâter...

Les quelques pièces d'or firent leur effet. Le tavernier, jusqu'ici aussi avenant que ses tables crasseuses, consentit à répondre à sa question. Il avait effectivement reçu naguère un voyageur prétendant revenir des étendues brûlantes de Laanden. Les dragons régnaient sur la route de Tanihis. Mais les nomades connaissaient les pistes détournées.
Ahrin ne voulut rien entendre des piètres commentaires du gros homme sur les cavaliers du désert et sortit au grand jour. La journée était déjà bien avancée, et on partait le lendemain à l'aube. La poussière de la capitale voilait presque les écuries de la place centrale. Que les Dieux soient loués, la vitesse traditionnelle des chevaux de Manfred comblerait ce retard d'une journée. Mais il n'avait pas le choix. Ahrin ne pouvait se permettre une telle expédition vers Tanihis sans un livre de sorts.
Telit lui avait dit un jour que la force seule n'était qu'un vent aveugle. Ahrin soutenait que le vent abattait les murailles et rongeait les montagnes, mais Telit l'avait mis en garde contre le souffle des esprits mauvais : "Tu dois imiter le marin qui possède l'art d'utiliser même les vents contraires. Ton esprit saura, grâce à la magie, appliquer tes forces au moment opportun". Décidément, Telit ne changerait jamais. D'ailleurs, ce dont Ahrin avait davantage besoin en ce moment, c'était la vitesse du vent.
Tous ces souvenirs l'avaient mené sans y paraître au pied de la tour. Les quatre étages de la Guilde des Magiciens semblaient le toiser ironiquement, lui qui avait tant décrié leur science. Ahrin haussa les épaules, ajusta machinalement son épée et poussa la lourde porte. Le Conseil des Mages l'accueillit avec bienveillance, après avoir reçu les cinq cents pièces d'or réglementaires. "Espérons que ce satané livre de sorts vaudra son prix, car la solde accordée par le seigneur Layboor n'est pas démesurée", murmura Ahrin entre ses dents, alors qu'il adressait un aimable sourire au vieillard solennel. Il fut admis à visiter les deux premiers étages, où, comme le voulait la Tradition, le disciple n'avait le droit qu'à la durée d'une chandelle pour recopier des sorts. Ahrin eut beau se hâter, la bougie était le fruit de patients efforts destinés à limiter la durée de l'étude. Il ne put inscrire, comme tous ses prédécesseurs, que cinq sorts au premier étage, et seulement quatre au deuxième.
De retour dans la rue, Ahrin se remémora la liste de ces sorts, qu'il énonça à la fois dans la langue courante et dans celle des Iliens (que ses talents de diplomate nécessitaient de maîtriser) : "Hâte/Haste, Parole des Pierres/View Earth, Protection contre l'Eau/Protection from Water, Bénédiction/Bless, Flèche magique/Magic Arrow, Divination/Visions, Sables mouvants/Quicksand, Cécité/Blind, Faiblesse/Weakness". Le soir tombait déjà ; après une dernière inspection de sa troupe de vingt cavaliers, Ahrin regagna ses quartiers. Il s'endormit rapidement en espérant que l'ennemi ne profiterait pas trop de la nuit pour étendre sa puissance.
La troupe avait déjà dépassé depuis longtemps les riches scieries des abords de la capitale lorsque le soleil acheva de se lever. La route principale et la fraîcheur de leurs montures permettaient à Ahrin et ses cavaliers de galoper à un rythme soutenu. Mais il fallait en profiter, car bientôt on quitterait les pavés pour s'enfoncer dans la sombre forêt de Devongh. Les espions et les groupes errants étaient devenus trop nombreux sur la route menant à Dyrale pour pouvoir la suivre jusqu'au bout. Arrivés au colisée où Ahrin s'était maintes fois entraîné, ils bifurquèrent vers la lisière.
De nombreux bruits couraient sur cette forêt de Devongh, et tous n'étaient pas le fruit des imaginations apeurées du peuple de Xilbor. On parlait d'esprits chuchotant dans les bois, de lames scintillantes entre les branches, voire de flammes soudaines. Si les vingt cavaliers avaient été confiés à un autre capitaine qu'Ahrin, il n'est pas certain qu'ils auraient osé pénétrer en aussi faible nombre dans cette région. Leurs chevaux refusèrent de passer la lisière, mais Ahrin, en de grands cris volontaires, franchit la barrière des premiers arbres, entraînant à sa suite les montures hésitantes. L'enchevêtrement de la végétation n'offrait pas d'espace suffisant pour maintenir une bonne allure. Ahrin souhaitait simplement que les éventuels combats à venir se déroulent dans des clairières où une charge de ses cavaliers serait possible.
Ils firent de nombreux détours, car nul chemin n'était tracé. Les hautes fougères témoignaient du peu de visites récentes. Ahrin ne voulut pas trop s'écarter de sa route pour aller ramasser les tas de branches mortes. Les scieries fonctionnaient à plein régime autour de la capitale, il n'avait pas de temps à perdre. Par contre, dans le creux d'un fossé, il aperçut un éclat de lumière : l'épée à la main, il s'approcha et découvrit un trésor à demi enfoui. Les deux mille pièces d'or réparties entre les membres de son armée renforcèrent grandement la fidélité de ses hommes à sa quête !
Ils mirent en fuite quelques Nains près d'un relief : leur mine de cristal ne fut pas perdue pour autant. Ils établirent leur campement autour d'un feu près de la mine. Ahrin observa un moment, du haut de ce promontoire, le soleil couchant qui rougissait les arbres, ainsi que la plaine au loin. Ils avaient déjà parcouru une bonne distance, et, par la splendeur des Déesses, ils pouvaient se repérer par rapport aux lieux traversés. Le matin les trouva donc angoissés par le brouillard environnant. Ils avaient beau tenter de retrouver les endroits découverts la veille, tout était voilé. Ahrin maudit cette magie noire qui provenait de la terre pour mieux l'effacer tandis que le soleil brillait dans le ciel. Face à cet ennemi impalpable, qu'aurait fait Telit ?
Mais, une fois encore, les encouragements d'Ahrin l'emportèrent sur l'inquiétude des guerriers. Bien leur en prit, car ils tombèrent peu après dans une embuscade tendue par des voleurs. Ahrin se félicita d'avoir pris la précaution de scinder ses cavaliers en deux groupes, qui eurent raison des assaillants pourtant vifs et agiles. Sous la contrainte, leur chef révéla que les brumes naissaient du Fauve pétrifié, une idole oubliée au cœur de la forêt. Gagnerait sa chaleureuse bienveillance celui qui la toucherait en se prosternant. Ahrin n'apprit rien d'autre du moribond, qui s'éteignit, un mauvais sourire aux lèvres. Les quelques pièces d'or et gemmes laissées par les voleurs vaincus n'alourdirent pas le maigre trésor de la troupe. Cependant, la bague que portait leur chef renfermait un pouvoir particulier dont Ahrin se rendit compte par la suite : lorsqu'il portait cet Anneau du Voyageur (que les Iliens appellent Ring of the Wayfarer), ces troupes voyaient leur vitesse augmenter en combat.
Or, pour le moment, Ahrin et son armée avaient repris leur marche. Quelques vestiges jalonnaient leurs parcours où Ahrin put accroître sa connaissance ou sa puissance. Mais la forêt refusait de se découvrir. Deux jours s'écoulèrent, sans autres nouveautés que quelques cristaux dispersés près d'un ruisseau. Ahrin regrettait amèrement avoir préféré s'entraîner à la joute plutôt que se familiariser avec les techniques qui offrent la plus précieuse des richesses pour un voyageur : du gain de temps ! Son inquiétude n'était pas vaine, car viendrait prochainement le jour où leurs montures ressentiraient le poids du chemin.
Il n'était plus convaincu d'avoir bien fait de choisir de traverser la forêt pour éviter le détour et les dangers de la route principale. Mais il ne perdit pas espoir et sut cacher ses doutes à ses compagnons.
Soudain, ils se trouvèrent dans une impasse, comme si les arbres les entouraient. Tout guerrier sait reconnaître, presque par instinct, la présence d'une menace imminente. Ahrin s'arrêta et dit d'une voix claire : "Forces de la Forêt de Denvogh, moi, Ahrin, Chevalier au service du seigneur Layboor de Manfred, roi des Terres Hautes de Xilbor, ne veux aucunement investir votre domaine. Mon seul désir est de le traverser au plus vite, afin de rejoindre la garnison de Dyrale". Seul un bruissement de feuilles sembla accueillir ces paroles.
Mais une voix lente, plus profonde que le plus épais des feuillages et plus grave que la plus dure des écorces, se fit entendre : "Nous t'observons depuis fort longtemps, Ahrin, vassal de Layboor. Pourquoi erres-tu dans la mauvaise direction ?". Ahrin répondit, avec grand calme : "Notre chemin se dérobe à chaque aube et nous tournons comme les jouets du Fauve pétrifié, en proie aux mille tours". Alors la voix de la forêt reprit avec fermeté : "Cette fausse idole est plus ancienne que le règne de Layboor et regroupe à ses flancs quantité de Nains. Ce peuple profite de l'obscurité, qui ne les affecte guère, pour éloigner tout visiteur de leurs mines. Mais ils ont perdu toute mesure ces derniers temps et semblent plus nombreux et plus cupides. Il est temps de briser le pouvoir du Fauve pétrifié. Nous vous aiderons à chasser les Nains !". C'est ainsi qu'Ahrin vit apparaître plusieurs dizaines d'êtres étranges dont seules les légendes avaient gardé le souvenir : il s'agissait de Soldats Sylvaniens que le Livre de la Marche de l'Ouest nomme différemment. Ents, Dendroïds ou Sylvaniens, leur nom importait moins aux yeux d'Ahrin que leur puissance !
Ils parvinrent, sous la conduite de leurs nouveaux alliés, à une vaste clairière, au centre de laquelle s'élevait le Fauve pétrifié, exsudant de brumes obscures. Là, de nombreux Nains allaient et venaient, transportant leurs trésors. A les entendre, les forces de la mort les avaient chassés de leurs cavernes et il leur fallait trouver rapidement nouvelle demeure. Bien que vallonné, le terrain était dégagé : la charge serait terrible.
Mais Ahrin, à la plus grande stupeur des Sylvaniens, n'ordonna pas l'attaque. S'avançant en pleine lumière, il s'adressa avec vigueur aux créatures prises de court : "Peuple des Nains, nous n'avons pas le désir de vous tuer. Mais sachez que votre présence en cette région n'est pas souhaitée. Libre à vous de résister jusqu'à la mort. Toutefois, vous avez déjà enduré les souffrances d'une guerre contre les Nécromans. Ne prenez pas le risque d'encourir la colère des chevaliers de Xilbor ! Renoncez à votre projet de demeurer dans cette forêt et suivez-nous vers les monts de Dyrale aux multiples gisements !". On ne sut jamais si les Nains reposèrent leurs haches par crainte d'Ahrin ou par désir des richesses du massif de Dyrale. Toujours est-il qu'Ahrin gagna, dans la même journée, la fidélité des Sylvaniens et des Nains, pourtant ennemis depuis toujours. En effet, les Sylvaniens consentirent à laisser les Nains en vie, car ces derniers allaient quitter à jamais leur forêt. Ahrin se retrouva donc à la tête d'une armée composée, fait inouï, de vingt cavaliers, de quelques dizaines de Sylvaniens et d'une petite centaine de Nains.
Parvenu au sommet de la colline, il descendit de cheval et s'approcha de l'idole. Conscient de l'ancienneté de son pouvoir, il garda à l'esprit les paroles du chef des voleurs : il mit un genou en terre et avança la main. Un cri de douleur s'échappa de ses lèvres lorsqu'il ressentit la profonde brûlure au contact de la pierre. C'était comme si les ombres brumeuses s'étaient condensées en un acide extrêmement violent qui avait rongé sa chair. Prostré de douleur, Ahrin semblait aussi figé que le Fauve pétrifié. Pourtant, ce dernier avait cessé de produire ses ombres néfastes. L'horizon était désormais clair.
Le lendemain matin, Ahrin avait repris quelques forces. Mais sa main restait très douloureuse, la chair à vif. Les ombres ne quittèrent jamais plus entièrement le regard d'Ahrin, même dans les plus grandes joies. Les Nains avaient passé la nuit à constituer leurs sacs ; il était convenu, qu'une fois installés dans les monts de Dyrale, ils reviendraient chercher l'essentiel de leurs trésors, provisoirement enfoui dans les recoins des collines de Denvogh. Ils emportaient toutefois une bonne part de leurs richesses, ce qui ralentissait leur avancée, comme à leur habitude.
Il était plus que temps de gagner Dyrale. Certes, la traversée de la forêt avait considérablement accru l'armée d'Ahrin, mais ces nouvelles recrues étaient très lentes. Le bénéfice d'une armée rapide et légère était désormais perdu. Pourvu que Tanihis tienne ! Ahrin pensait de plus en plus souvent à Telit, se rappelant leur vie passée ou anticipant sur leurs retrouvailles. Mais, ses pensées devenaient à nouveau sombres, prisonnières des brumes de l'idole.
Débarrassée du brouillard, l'armée ne mit qu'une journée à sortir de la forêt. Les Sylvaniens compensaient la lenteur de leur marche par leur connaissance sans faille du moindre sentier. Ils s'avancèrent dans la plaine et virent au loin, sans être en mesure de la rejoindre, une armée aux étendards sanglants. Le cœur et les pensées d'Ahrin s'obscurcirent en ne reconnaissant pas les flammes d'azur des bannières de Xilbor. L'ennemi serait donc si près ! Mais bientôt la poussière disparut à l'horizon, sans en apprendre davantage sur son origine.
La grande prairie qui menait à Dyrale manifestait la présence bénéfique des forces avancées des seigneurs de Xilbor. Ahrin rencontra plusieurs campements militaires, où il put compléter sa science de la guerre, déjà imposante. Les nouvelles n'étaient pourtant pas bonnes. A chaque fois se confirmaient les rumeurs d'incursions de troupes ennemies de plus en plus fréquentes. Il ne s'agissait pas encore des grandes légions de Leetaax le Nécromancien, mais de meutes destinées à harceler et affaiblir les Marches de Xilbor.
Alors qu'ils arrivaient en vue des contreforts du massif de Dyrale, Ahrin et ses guerriers furent attaqués par l'une de ces bandes. Elle survint très rapidement du sommet d'un relief et fondit sur le vassal de Layboor. Leur chef, un Chevalier de la Mort, hurlait à la tête d'une horde composée de vampires, de chevaliers noirs, de spectres et de squelettes. Il mena ses quelques chevaliers noirs à l'assaut des cavaliers dont les groupes supportèrent tant bien que mal le choc.
En dépit des pouvoirs de l'Anneau du voyageur, les Sylvaniens et les Nains eurent du mal à rejoindre la mêlée. Les vampires terrifiaient les montures des cavaliers et annihilaient toute riposte, les spectres sitôt touchés regagnaient en vigueur. Enfin, les forces de la forêt et celles des cavernes purent livrer combat, imposant leur puissance. La rapidité des chevaliers noirs qui avait fait leur première force fut mise en déroute par la fureur des Sylvaniens qui les emprisonnèrent dans une cage de racines. Les haches des Nains tournoyèrent : leur éclat fut la dernière lumière que discernèrent les yeux déjà morts des forces nécromanciennes. Les squelettes, qui n'avaient pu suivre la charge de leurs alliés, n'arrivèrent que pour entendre leurs os se briser. Les derniers vampires finirent en poussière, qui se dispersa dans le galop des cavaliers.
La vigueur du combat avait ravivé la brûlure d'Ahrin. Pour protéger sa main, il dépouilla son adversaire de ses gants. Il comprit, en les examinant, pourquoi la meute nécromancienne avait été si prompte : il s'agissait de Gants équestres, en cuir de Pégase, qui augmentaient la vitesse des troupes. C'était une aubaine, pour compenser la lenteur naturelle de son armée ! Il ne quitta plus ces gants, qui masquaient la plaie noire de sa main.
Avant d'entrer dans la cité de Dyrale dont le profil se découpait sur le couchant, Ahrin entreprit de reprendre mines d'or et carrières de pierre investies par les Nécromans. Le sombre capitaine de la meute avait pris soin de laisser quelques troupes pour les défendre. Il fallut donc subir les tirs meurtriers de liches embusquées : leurs rayons et gaz mortels affaiblirent les rangs des Nains, qui tardaient à venir au corps à corps. Les cavaliers ne purent toutes les neutraliser car les groupes étaient trop nombreux. C'est dans une atmosphère empuantie que les Sylvaniens exterminèrent avec fracas les créatures de l'au-delà. Les étendards sanglants furent mis à bas, et l'azur de Xilbor reprit enfin ses droits sur les richesses du massif de Dyrale.
Les arbalétriers de Dyrale, en poste sur les créneaux du Château, firent retentir clairons et tambours pour saluer la plus étrange armée à avoir jamais franchi le pont-levis. Malgré les pertes des derniers combats, les Nains impressionnèrent par leur nombre et leur détermination. Mais plus saisissante fut, pour les habitants de Dyrale, l'entrée des fiers Sylvaniens, guerriers aux branches menaçantes et aux racines meurtrières. Enfin, entouré de sa garde de cavaliers, Ahrin ferma la marche, soulagé d'avoir rejoint la place forte dont il attendait tant.
L'accueil du commandant fut fort tiède. Les assauts des Nécromans s'étaient multipliés, ces derniers temps. Dyrale avait subi de lourdes pertes. Par deux fois, les attaques avaient été si violentes que les murailles avaient terriblement souffert et s'étaient en partie effondrées. Les pouvoirs des moines zélotes s'étaient révélés insuffisants pour maintenir les hordes ennemies à distance. On ne pouvait se permettre de se priver des forces restantes pour les envoyer si loin, défendre un sanctuaire peut-être déjà aux mains de l'au-delà.
Le commandant avait presque tourné les talons lorsque Ahrin le rattrapa fermement par l'épaule : "Ma mission dépend des ordres directs du seigneur Layboor. Il regarderait d'un mauvais œil qu'un simple commandant de garnison décide à sa place des objectifs principaux de la guerre contre les Nécromans. Vous lui devez totale obéissance et fidélité. Rassurez-vous, je ne tiens pas non plus à voir Dyrale sous la bannière de sang. C'est pourquoi je vous apporte davantage que je ne vous enlève. Le peuple des Nains protégera Dyrale en échange de l'exploitation d'une partie des ressources du massif. Leur production paiera bien évidemment leur installation.
Vous gagnez ici, commandant, des défenseurs vigoureux et braves, qui excellent dans la guerre de position". Adouci, le maître des lieux consentit à se défaire des Griffons royaux actuellement en garnison. Les monts de Dyrale étaient réputés comme l'une des principales aires d'entraînement de ces légendaires créatures. Les maîtres-griffonniers ne tarderaient pas à achever la formation des jeunes recrues, Dyrale retrouverait rapidement ses unités volantes.
Ahrin passa cependant la fin de la semaine dans l'inquiétude. Certes, ses cavaliers avaient profité de leur expérience ; ils avaient acquis de nouvelles techniques et étaient parvenus au rang de Champions. Au cours des diverses joutes d'entraînement, ils s'étaient liés aux quelques Champions natifs de Dyrale, et ces nouveaux compagnons étaient prêts à les suivre sur la route de Tanihis. Certes, les Griffons royaux offraient enfin la possibilité d'attaques dans les airs. Mais il manquait cruellement de tireurs. Les derniers moines zélotes et les arbalétriers étaient réquisitionnés pour protéger les murailles de Dyrale, ainsi que les lanciers et les spadassins. Ahrin s'était détourné vers Dyrale pour y récupérer l'essentiel de son armée, et il allait en repartir vulnérable.
Ce n'étaient pas les quelques sorts supplémentaires inscrits dans les deux étages de la Guilde qui feraient la différence ! Telit avait beau vanter la suprématie de la magie, que faire si les troupes étaient vaincues avant d'avoir eu le temps de prononcer le moindre sort ! Si la rumeur de la prolifération des dragons dans le Laanden se confirmait, son armée ne tarderait pas à sentir crins et plumes roussis par un feu alimenté par des braises sylvaniennes...
Ces sombres pensées ne l'avaient toujours pas quitté lorsqu'ils prirent la route la semaine suivante. Le renouvellement des montures redonnait cependant un regain d'énergie, et Ahrin avait la sagesse d'emprisonner les ombres de ses craintes au plus profond de son cœur. Il savait aussi qu'en cas d'absence de conflits dans les jours à venir le commandant lui ferait parvenir sous la conduite de son fils plusieurs troupes en renfort. L'officier n'avait pas été facile à convaincre, mais Ahrin avait gagné le jeune Eglimard à sa cause. L'itinéraire était fixé : le rendez-vous aurait lieu aux confins du Laanden, à l'oasis du Puits de magie. Le départ ne manqua donc pas d'allure, et les défenseurs de Dyrale conservèrent longtemps le souvenir d'une armée marchant avec vaillance et espoir.
Cette ardeur dut également impressionner les Gargouilles d'obsidienne, réveillées dans la mine d'or qu'Ahrin avait tenu à investir. En échange d'une somme conséquente, elles acceptèrent de ne pas courir le risque d'être massacrées par les visiteurs... Ahrin se félicita intérieurement des pouvoirs de résistance de ces créatures à certaines forces des Nécromans. Telit lui en avait longuement parlé, un jour où elle était allongée dans l'herbe au pied de la Guilde. Elle se passionnait pour tous les êtres aux pouvoirs étranges et aux origines mystérieuses. Elle passait des heures à conter les aptitudes ensorcelantes et les exploits saisissants de ces "monstres". C'est ainsi qu'Ahrin les nommait, plus attentif à la lumière courant sur la peau de sa jeune instructrice qu'aux sombres magies qu'il était censé retenir.
Ahrin dormit très mal cette nuit-là. Il vit en rêve Tanihis telle qu'il l'avait connue il y a longtemps déjà. Mais ses murailles claires ruisselaient du sang des anges. Les grandes portes étaient brisées, et, devant l'ancienne voûte se tenait Telit, le regard vide, une épée à la main. Ahrin se réveilla en sueur : sa main semblait broyée dans des mâchoires de ténèbres. Il resserra tant bien que mal les lanières de ses gants, cherchant en vain à comprimer la douleur. Rassembler l'armée ne prit qu'un court instant car tous désiraient gagner au plus vite Tanihis et vaincre définitivement les forces nécromanciennes qui empoisonnaient Xilbor de leur présence.
Ahrin avait désormais acquis, grâce aux bornes des chemins parcourus, une science certaine dans l'organisation du déplacement des troupes. Cette compétence lui était indispensable pour conduire son armée dans les profonds défilés encaissés du massif. Vigilant, Ahrin envoyait régulièrement les Griffons royaux ou les Gargouilles d'obsidienne reconnaître le chemin en aval. C'est ainsi qu'il put tomber à l'improviste sur un groupe de liches errantes qui fuyait ces montagnes jugées trop dangereuses désormais pour les rejetons de l'au-delà. Elles eurent à peine le temps de savourer le plaisir d'avoir raison, car elles disparurent sous les griffes des unités volantes d'Ahrin. Les Sylvaniens, restés sur les hauteurs, apprécièrent en connaisseurs le travail de leurs nouveaux alliés et applaudirent à s'en rompre les branches. Le moral était au plus haut, les Nécromanciens seraient vite balayés.
Ce fut même l'euphorie lorsque les guerriers apprirent, au cours d'une halte autour d'une taverne isolée sur les contreforts du massif, que la redoutable armée du légendaire Edric ne se trouvait qu'à une centaine de jets de lance. Les éclaireurs de son armée innombrable, des Griffons royaux pour la plupart, avaient été aperçus il y a peu. En intensifiant le train, nul doute que les deux héros se retrouveraient avant la tombée de la nuit. Edric avait donc réussi à reprendre Trifor à l'ennemi ! L'absence durable de nouvelles avait plongé le seigneur Layboor dans la plus vive inquiétude : on croyait même que l'impossible mort d'Edric était advenue.
Ahrin sourit, entre deux grimaces de douleur. Il convaincrait Edric de faire route sur Tanihis, et, grâce aux renforts d'Eglimard de Dyrale, ils seraient à la tête de la plus grande légion que Xilbor n'ait vue depuis fort longtemps. Telit reconnaîtrait sa valeur, et ensemble, ils iraient jusqu'au cœur du Royaume Désolé pour brûler à jamais le trône de Leetaax...
Ce fut justement une noire fumée dans le lointain qui fit sortir Ahrin de ses rêveries. L'avant-garde de son armée venait à peine de sortir de la forêt de pins qui bordait le flanc de la montagne lorsqu'ils découvrirent avec horreur la plaine noircie qui s'étendait plus bas. Des centaines de corps tordus, broyés, ou lacérés recouvraient toute trace de végétation. On discernait, entremêlés en une danse macabre, les cadavres encore frémissants d'une bataille féroce. Mais l'heure n'était pas encore au silence lugubre : là-bas, au-delà de cette marée noire échouée au pied du massif, se fracassaient les dernières vagues du massacre.
Les Griffons éclaireurs revinrent en hâte informer leur capitaine : Edric luttait désespérément contre une nuée de squelettes. Submergé de rage, Ahrin n'attendit pas davantage et lança la charge. Grâce à son expérience et aux pouvoirs des artefacts de vitesse, Ahrin traversa les rangs foudroyés pour atteindre l'extrémité de l'immense champ de bataille. Malgré la fureur de sa course, Ahrin prenait soin d'observer les créatures gisant à terre. Ainsi les Nécromanciens avaient rallié les créatures souterraines ! Là, des harpies sinistres, au corps transpercé de flèches, recouvraient les armures ensanglantées de leurs ennemis. Plus loin, les corps des champions et de leurs montures s'unissaient définitivement en une sorte de pierre tombale, surmontée de la croix morbide des haches des minotaures qui les avaient fauchés.
A mesure de leur avancée, les guerriers percevaient les ultimes cris de la bataille. Soudain, une colonne de feu tomba du ciel pour foudroyer les quelques cavaliers regroupés au loin. Le grondement du tonnerre qui suivit accompagna la ruée d'une multitude de squelettes sur les victimes déjà terrassées. L'étendard d'Edric avait disparu. Mais déjà Ahrin brandissait le sien pour mener ses troupes déchaînées sur le reste des combattants. Le Capitaine-Nécromancien, dont Ahrin ne sut jamais le nom, ne put se réjouir longtemps de la gloire d'une si grande victoire, ni encore moins rassembler les rescapés de sa terrible armée pour faire front. Rageant d'impuissance, le héros de ténèbres vit le reste de ses forces balayé par l'étrange armée du Chevalier.
Et disparut rapidement l'espoir qu'il avait placé dans son armée de squelettes, issus des cadavres alentour, le fruit de ses manœuvres nécromanciennes. Les rares harpies sinistres survivantes eurent beau tourmenter les nouveaux assaillants, elles furent éventrées en plein vol par la colère des Griffons royaux. Ces derniers avaient découvert les corps de leurs frères abattus et pétrifiés par la haine des Reines Méduses. C'est pourquoi le sang noir de ces créatures visqueuses tachaient déjà plumes, becs et poils de ces fiers animaux. Les Reines Méduses, occupées cette fois-ci, à éclaircir de façon hésitante les rangs des Champions en pleine charge, avaient négligé de se protéger du ciel. La charge des Champions, sur les ordres d'Ahrin, s'était d'ailleurs détournée au dernier moment vers les Minotaures.
Désormais trop peu nombreux, ceux-ci ne réussirent qu'à survivre le temps de l'arrivée des Sylvaniens qui achevèrent la besogne, animés de leur haine envers les porteurs de hache. Les squelettes crurent un instant qu'ils allaient augmenter leur nombre en récupérant les futurs cadavres, mais leurs trois groupes dispersés ne purent frapper qu'une fois. La riposte fut terrible : lances, griffes et branches brisèrent tout espoir de nouvelle frappe. Le Capitaine-Nécromancien, à bout de forces à la suite de sa première victoire redoutable, n'avait eu que l'énergie d'aveugler les Gargouilles d'obsidienne, laissant un répit insuffisant aux morts-vivants. Ahrin n'eut aucune pitié face à son adversaire exténué : le Nécromancien périt décapité en clamant crânement sa victoire sur le glorieux Edric.
La fureur laissa peu à peu la place à la peine. L'amertume d'une lutte brève parce qu'inégale alourdit la tristesse des vainqueurs. Ils cherchèrent en vain le corps d'Edric sous les restes de ses ennemis, ils n'eurent pas même la consolation de lui élever un tertre funéraire en hommage à sa vaillance. Mais rien n'égala la douleur des Griffons royaux qu'Edric avait envoyés en reconnaissance. Ces créatures, liés par une fidélité et une amitié sans précédent à leur maître, auraient sacrifié leur vie pour le défendre jusqu'à la mort. Ils revenaient pour apprendre la fin de leur seigneur. Alors, ils maudirent l'heure où Edric les avait dépêchés en éclaireurs et blâmèrent leur lenteur.
Ahrin sut malgré tout trouver les paroles pour leur redonner vie, à défaut d'apaiser leur souffrance : "La tragédie de cette disparition doit conduire tous ceux qui refusent le pouvoir des ténèbres à s'unir dans une guerre sans relâche. Le Chevalier Edric a ouvert le chemin en reprenant Trifor. Chacun doit se battre pour garantir la liberté de cette route ! Hélas, s'arrêter pour pleurer Edric nous condamnerait à en pleurer tant d'autres plus tard. Tanihis est la prochaine étape. Ne laissons pas les frontières du Royaume Désolé recouvrir ce sanctuaire !".
Ahrin s'était demandé un instant s'il ne devait pas plutôt rejoindre Trifor, y rallier toutes les troupes disponibles et faire route sur les deux garnisons avoisinantes avant de revenir vers Tanihis. Il pourrait ainsi rassembler les forces de trois garnisons complètes pour défendre le sanctuaire. Mais il savait que les deux autres garnisons, encore aux mains des Nécromans, ne seraient délivrées qu'au prix de pertes considérables. En outre, rien n'assurait que l'imposante armée nécromancienne vaincue aujourd'hui fût la seule dans la région. D'ailleurs, les forces de Leetaax avaient manifestement l'appui des Donjons souterrains. Il importait de conserver le seul lien qui rattachait Xilbor aux puissances célestes. Que les Dieux les protègent des Archidiables !
Une autre découverte avait secrètement bouleversé Ahrin. Comme l'usage le voulait, il avait dépouillé son adversaire de ses armes et possessions. Ainsi s'était-il emparé d'un heaume de connaissance, le Casque Noir, et d'un bouclier, l'Ecu des Ténèbres ("Skull Helmet" et "Shield of the Yawning Dead", auraient dit les Iliens). En inspectant le contenu de sa besace, Ahrin en avait extrait un artefact de valeur appelé Amulette de Mana ou "Charm of Mana". Telit avait eu le même. Ahrin en était sûr, c'était cette Amulette que Telit lui avait montrée le jour de son départ.
Ahrin ne savait quel prétexte choisir pour la retenir, et en désespoir de cause, il lui avait lancé qu'elle n'aurait jamais la force ni la connaissance suffisantes pour conserver sa magie. Avec un sourire, elle avait alors sorti de son sac cet artefact qui assurait une meilleure récupération. Comment ce diable de Nécromancien était-il parvenu en sa possession ? Ahrin regretta sombrement avoir tué aussi vite son adversaire. Telit était-elle tombée entre ses mains ? S'était-elle débarrassé d'un artefact jugé désormais inutile ? L'esprit tourmenté et le cœur au supplice, Ahrin n'avait plus qu'un seul recours : gagner Tanihis et découvrir ce qu'était devenue Telit.
Mais le désert de Laanden qui s'ouvrait devant eux n'allait pas arranger leur avancée. Sans perdre de temps, Ahrin donna le signal du départ bien avant le lever du soleil, pour éviter les trop grandes chaleurs. C'est ainsi qu'il découvrit un feu de camp autour duquel s'étaient rassemblés des survivants de l'armée d'Edric. Il s'agissait d'un escadron d'arbalétriers qui avait été contraint de battre en retraite devant les Minotaures. Ahrin reçut enfin les tireurs qu'il attendait depuis si longtemps.
Ils rejoignirent ses rangs, déjà grossis des Griffons royaux fidèles à Edric. Les arbalétriers n'avaient pas hésité à suivre Ahrin ; toutefois celui-ci, contrairement aux jours de son départ, ne convainquait plus par son entrain mais par une vague crainte qui inspirait respect. Même son aspect avait changé. Il ne quittait plus le Casque Noir, qui dérobait à la vue de ses guerriers son visage crispé par la douleur et son regard en proie aux ténèbres.
Au fur et à mesure que le soleil montait dans le ciel pour retomber encore plus lourdement sur le sable brûlant, la soif en venait même à faire regretter le mauvais vin de la taverne de la capitale. Mais elle rendait également plus vif le souvenir des paroles de l'aubergiste : les dragons régnaient sur le désert de Laanden. Les griffons n'en finissaient donc plus de scruter les environs pour prévenir toute attaque de ces créatures gigantesques.
Et si Telit n'était jamais arrivée jusqu'à Tanihis ? Les dragons sont réputés pour leur grande résistance à la magie. Qu'aurait-elle pu faire dans une embuscade ? Certes, son départ remontait à bien longtemps déjà, et les dragons ne s'étaient réveillés qu'il y a peu. Mais sa soif de connaissance pouvait conduire Telit au delà des bornes de la raison. Ne l'avait-elle pas quitté pour aller dans ce maudit sanctuaire découvrir de nouveaux sorts ? Les charmes de Tanihis l'avaient privé de ceux de Telit.
Malgré ses tourments, Ahrin conservait la tête suffisamment froide pour conduire avec sagesse son armée au milieu des sables de feu. Sa prudence fut récompensée. Un groupe de Griffons revint avec des indications précises : les hauts rochers qui se dessinaient au loin servaient de repère à quelques dragons noirs. La piste était donc barrée. Ahrin obliqua sur la droite, vers un promontoire rocheux à l'ombre duquel on attendrait la nuit. Une nouvelle décision s'imposait : fallait-il défier les dragons, au risque d'être exterminés, ou était-il préférable de chercher une autre piste pour les contourner, quitte à perdre un temps et une énergie démesurés ? L'alternative ressemblait à une impasse.
Ahrin se résolut à employer l'un des sorts appris à son départ. Il s'isola de son armée pour gagner le sommet du relief rocheux. L'altitude semblait réduire la distance et Ahrin pouvait entr'apercevoir les ombres ailées des gardiens de la passe. Il descendit de cheval, et s'avança au bord de la falaise. Là, il s'assit et ouvrit devant lui son livre de sort. Rendu malhabile par ses mains endolories et son appréhension, il tourna tant bien que mal les pages du grimoire. Il savait que ce sort, pourtant courant et facile pour un magicien, réduirait ses forces. Il prononça lentement les paroles anciennes et ferma les yeux.
Soudain, comme si son regard avait été projeté en avant sur des ailes de feu, il vit les dragons et entra dans leur esprit. Il sut immédiatement que les dragons attaqueraient quiconque commettrait la folie de s'avancer sur la piste. La vision disparut aussi vite qu'elle était apparue, et Ahrin se retrouva en sueur, allongé et épuisé, au bord du précipice. La résolution des dragons lui avait paru si vive qu'Ahrin décida, de retour au campement, d'éviter le combat.
Ils partirent le lendemain plus au sud, dans l'espoir de trouver une brèche dans la chaîne des monts qui barrait la route. Mais leur route se heurtait à chaque fois aux falaises escarpées. Les griffons ne surent discerner un passage quelconque.
Ils ne réussirent même pas à déceler la présence des nomades qui semblèrent surgir des sables mêmes. Jadis, ces habitants du désert entretenaient un commerce régulier avec les caravanes de voyageurs. Mais le réveil des dragons les contraignait désormais à monnayer leurs services de guides. Il existait bien un passage, mais il était périlleux. Le chef des nomades ne consentit à accompagner Ahrin qu'en échange d'une somme importante.
Le Chevalier avait hésité un instant à contraindre par la force les nomades à avouer leur secret, mais il avait rapidement rejeté cette hypothèse, redoutant d'être conduit dans un piège en représailles. Il ne regretta plus l'allégement considérable de la bourse confiée par le seigneur Layboor lorsqu'il se rendit compte que des nomades ne cessaient de sortir des recoins de la falaise et des dunes avoisinantes. Contre toute attente, le chef des nomades fit rebrousser chemin à l'armée d'Ahrin pour revenir au promontoire rocheux de la veille. Les montagnes étaient infranchissables pour toute armée.
Mais, selon les légendes des sables, à force de s'élever, ces sommets s'étaient creusés à leur racine, formant une multitude de galeries par en-dessous : dans leur vanité, ils se vidaient. Ahrin eut un demi-sourire en entendant les paroles du chef nomade et se rappela ses disputes avec Telit. Il lui avait un jour reproché de se vider le cœur en voulant emplir son esprit. Furieuse, elle lui avait rétorqué que ses lacunes d'apprenti suffiraient pour assécher l'océan. Cœur lacunaire contre désert de connaissance, c'était le paysage de leur histoire.
Arrivés au promontoire, les nomades se dirigèrent vers le flanc opposé à la piste. Pour cela, ils s'élevèrent légèrement au lieu de le contourner entièrement. Ahrin jeta un dernier regard vers la piste gardée par les dragons. Il se figea, saisi de terreur. Les dragons noirs avaient pris leur envol pour fondre sur une armée lancée au galop ! Ahrin ne voulut pas le croire au début, mais il ne put que reconnaître l'étendard d'Eglimard de Dyrale. Ainsi les renforts arrivaient-ils plus tôt que prévu, et, par tous les pleurs des Dieux, ils couraient à leur perte. Ahrin voulut faire demi-tour, mais le chef des nomades retint son cheval par la bride. Il était trop tard.
Eglimard, plein de fougue et d'ardeur, avait dû traverser les restes du champ de bataille où avait péri Edric. A la vue du massacre, le jeune homme s'était sûrement enflammé de rage, pour se lancer tête perdue à l'assaut des nécromans, croyant qu'Ahrin avait pris beaucoup d'avance. Il ne vit les dragons qu'au dernier moment. Empli de fureur, il accéléra la charge, sachant de toute façon qu'il ne pouvait plus battre en retraite. C'est ainsi qu'Ahrin assista une nouvelle fois au massacre de ses alliés.
Les monstres d'ombre et de feu se répartirent en trois groupes. Les dragons du centre s'élevèrent haut pour retomber, tels des rayons ardents, sur les champions parvenus en premier à la lisière des montagnes. Il n'y eut qu'un hurlement crépitant, puis une flamme gigantesque embrasa la colonne. Les deux autres groupes décrivirent symétriquement un large arc de cercle pour dévaster les armées sur chaque flanc. Les lanciers qui protégeaient les arbalétriers au nord et les paladins qui assuraient la défense des moines zélotes au sud périrent ensemble, dévorés entre deux mâchoires ardentes. Seuls les griffons échappèrent à la fournaise. Ahrin pria pour qu'Eglimard parvienne à se retirer de cet assaut infernal grâce aux griffons. Mais un groupe de dragons noirs, rendus euphoriques par l'odeur de la mort, revint à la charge : aucun griffon ne fut épargné. Ils disparurent comme autant d'étincelles soufflées d'un brasier.
Dans son cœur où la mort venait de faire un nouveau pas, Ahrin se nomma le Lent Maudit, car deux fois, il avait perdu ses alliés par trop de retard. Le chef des nomades le regarda avec tristesse, mais fermement il conduisit son cheval vers l'entrée de la caverne que l'on devinait en contrebas. Ahrin crut un instant que la roche ouvrait une bouche avide pour l'engloutir à la suite d'Eglimard. Ils passèrent entre les crocs de pierre pour s'enfoncer dans le ventre du désert. La chute de température fut aussi brutale que la perte de la lumière. Ils marchèrent un temps dans l'obscurité avant que leurs yeux ne s'habituassent à la sourde lueur des champignons phosphorescents qui tapissaient les parois.
Curieusement, la pénombre ne déplut pas à Ahrin, qui y trouvait un accord avec la trame de ses pensées. Mais ses troupes, abattues par la répétition de la tragédie, ressentaient le poids du chagrin et de la fatigue. Ils ne tardèrent pas à s'arrêter ; la découverte d'une étrange statue atténua doucement leur égarement, comme un signe d'une promesse divine. C'était en tout cas le témoin d'une civilisation, passée ou présente, que l'on risquait de rencontrer. La prudence s'imposait et chacun reprit ses mécanismes de guerrier.
Quelques heures suffirent pour que l'armée se repose. Au matin (ou du moins ce que l'on supposait être l'aube), ils reprirent leur route, les sens en éveil. Le désastre de la veille les affectait toujours autant, mais la douleur s'était mue en désir de vengeance. C'est pourquoi les troglodytes qu'ils délogèrent en train de cueillir les champignons furent fauchés avant même d'avoir pu réagir. Certes la victoire n'était pas belle, et encore moins glorieuse, mais elle avait permis de détourner les pensées de chacun vers un ennemi commun. Leurs congénères, rencontrés quelques virages plus loin, subirent le même sort. Ahrin n'y gagna pas grand chose, seulement une mauvaise expérience et quelques mesures de soufre.
Ils débouchèrent dans une salle immense, parcourue d'un vent furieux. Le chef des nomades imposa le silence à tous en murmurant à l'oreille d'Ahrin qu'ils se trouvaient dans un Nid de Dragons. En effet, une fois que fut ravivé le brasier d'une colonne de pierre, ils découvrirent plusieurs recoins calfeutrés de soufre et d'or, connus pour servir de couveuse aux futurs dragons. Ahrin s'étonna que le chef des nomades ait allumé la colonne de feu alors qu'il réclamait le silence. On ne pouvait pas annoncer plus clairement leur arrivée. Mais le sage du désert le rassura sur l'improbable retour des dragons noirs : ils ont coutume, après chaque massacre, de s'endormir un moment, repus de leurs crimes. Le silence, par contre, est de rigueur, car les troglodytes aveugles ont l'ouïe fine. Ils sont nombreux aux alentours à cultiver mines de soufres et champignons pour nourrir les jeunes dragons.
L'armée d'Ahrin se trouvait en fait à la perpendiculaire de la barrière des montagnes du désert. Les vents violents naissaient des puits verticaux donnant accès à la surface. Une vague lumière tombait de ces ouvertures, et chacun redoutait qu'elle disparaisse soudainement, voilée par l'ombre du retour des dragons. Malgré les réticences du chef nomade, Ahrin ne voulut pas perdre de temps : il n'eut pas à forcer ses hommes pour se ruer sur les nids. Les quelques dragons nourrices s'éveillèrent rapidement.
Mais la soif de vengeance était trop vives chez les assaillants. Si chaque dragon rouge s'empressa de jaillir, ils furent abattus un à un par les Champions. Les lances rouge et blanc perçaient inlassablement les ventres flamboyants des gardiens qui s'effondraient en un cri rauque. Les Nids furent trahis par leur isolement car un regroupement de ces dragons eût changé le visage du combat. L'armée d'Ahrin ne connut pas de pertes importantes. Elle mit en outre la main sur une part considérable du trésor des dragons, qui scintillait à la lueur du brasier. Ahrin découvrit notamment un artefact puissant, l'Armure Dragon (Dragon Scale Armor), qu'il revêtit avec une certaine exaltation guerrière.
Sans aucun remords, Ahrin réveilla les jeunes dragons rouges, dont le sommeil n'avait pas été troublé par le massacre de leurs nourrices. Il lui fallut cependant employer tout son art de persuasion pour faire admettre à ses fidèles soldats la présence de la race meurtrière des dragons. Deux bandes de troglodytes qui avaient eu la mauvaise idée de venir aux nouvelles firent les frais de cette nouvelle alliance... Le Lent Maudit récupéra ainsi quelques mines de soufre, indispensables à l'entretien de ses jeunes recrues. Il reçut de mauvaise grâce les conseils du chef nomade qui le pressait d'avancer. Ahrin se sentait beaucoup plus assuré depuis son entrée dans les souterrains. Sa main semblait le faire moins souffrir, et il attribuait ceci à l'obscurité ambiante, sorte de baume intangible. Mais le risque était trop grand : les dragons noirs anéantiraient les assassins de leurs congénères.
Les souterrains de Laanden formaient un réseau de galeries que l'expérience du chef nomade démêlait sans peine. Ce dernier s'arrêta : on arrivait à la partie la plus périlleuse du trajet. Il fallait passer en vue du Donjon de Laanden, place forte enterrée des nécromans. Ahrin comprit bien mieux l'extraordinaire mobilité des troupes du Royaume Désolé et leur renouvellement important. Ainsi, le désert de Laanden semblait n'être gardé en surface que par les dragons noirs, alors qu'il grouillait en profondeur des allées et venues des forces de Leetaax. L'origine des troupes souterraines du Nécromancien tueur d'Edric était désormais claire ! Le chef nomade lui apprit également que de nombreuses galeries débouchaient vers de multiples points stratégiques de Xilbor, à commencer par Tanihis !
Si c'était le cas, Ahrin ne pouvait se permettre de dépasser discrètement le Donjon, laissant ainsi un nid de serpents dans son dos. Il lui fallait investir cette place pour nettoyer Laanden. A demi rassuré par la présence des dragons rouges et menacé de perdre salaire et vie en cas de désobéissance, le chef nomade mena l'armée au pied des terribles murailles du Donjon.
Ahrin caressa la pierre noire du trône de la salle majeure. La victoire avait été glorieuse ! Il n'était plus le Lent Maudit mais le Puissant des Profondeurs. Contre toute attente, le Donjon n'abritait pas l'essentiel de ses forces traditionnelles. Les Nécromans avaient surestimé la peur inspirée par les dragons noirs du désert et avaient enrôlé dans leurs armées errantes de nombreux guerriers. Ahrin se rappela avec plaisir la frénésie des méduses pour regagner leurs tours alors que tombaient les premiers blocs propulsés par sa science de la catapulte.
Certes, elles avaient eu le temps de décocher leurs traits meurtriers sur les arbalétriers, causant des pertes préoccupantes en cas de siège durable. Mais les dragons avaient fait merveille : les défenseurs du Donjon avaient pu vérifier avec beaucoup plus d'intensité la qualité de ces créatures qui les soutenaient habituellement. Les dragons avaient surgi dans la cour principale, telle une éruption volcanique aérienne. Les centaines de troglodytes périrent de la bouche ardente des jeunes dragons rouges qu'ils avaient contribué à nourrir. Cruel retournement des choses, fit Ahrin avec un fin sourire. Telit aurait certainement admiré l'opportunité du sort de Hâte lancé sur des Griffons Royaux qui n'en demandaient pas tant.
Les Yeux Maléfiques du Donjon, immondes créatures tentaculaires au regard mortel, n'avaient eu que le temps de les voir arriver avant de sombrer dans la cécité éternelle. Ahrin n'avait pu contrôler un mouvement de rage lorsque les Minotaures, à la suite des Scorpicores, s'étaient également attaqué à ses chers Griffons. Mais l'endurance et la vaillance de ses fidèles animaux légendaires ne s'étaient pas démenties : ils avaient riposté à nouveau, affaiblissant considérablement leurs adversaires. Les Champions n'étaient pas allés jusqu'à défier inutilement des défenseurs au pont-levis. Ils s'étaient réservés pour une éventuelle charge finale. Les Gargouilles d'obsidienne ne parvinrent pas à franchir en une fois les murailles, mais les défenseurs n'avaient pas attendu pour rien. Les Scorpicores avaient reçu pour la peine quelques carreaux d'arbalète, réussissant tant bien que mal à franchir l'obstacle des murailles.
Ahrin allongea un peu plus ses jambes et se massa la main avec précaution. Il était surprenant que la douleur s'atténue ainsi. Il en retrouvait progressivement l'usage. Il ne pouvait toutefois plus brandir son étendard : dès qu'il essayait de s'en saisir, la plaie se ravivait. Il s'était résigné à tenir les rênes de la main gauche qui portait le fameux bouclier. Il n'avait donc pas participé à l'assaut. Pour de jeunes recrues, les dragons s'étaient d'ailleurs parfaitement conduits, se conformant au moindre de ses ordres. Il les avait dirigés sur les Scorpicores qu'il avait cru plus vigoureuses. Elles ne vécurent pas assez pour imiter leur lointain ancêtre le scorpion qui choisit de se suicider au sein d'un incendie, et elles partirent en cendres. Les Griffons se précipitèrent à nouveau sur les Minotaures qui avaient osé les attaquer en surnombre. Les haches des monstres heurtèrent le sol pour ne plus se relever.
Le Donjon était à lui ! Ahrin espérait vivement que le seigneur Layboor lui laisserait le Donjon de Laanden comme fief. Il demeurait persuadé que Telit l'avait quitté autrefois parce qu'elle n'osait pas s'avouer un amour naissant pour son apprenti. Son désir d'acquérir les connaissances de Tanihis ne pouvaient être autre chose qu'un prétexte, qu'une fuite en avant. Une fois nommé Maître du Donjon, il ne doutait pas que la Noble Guerrière, férue de magie, accepte enfin de lui donner sa main. Un cortège d'Archanges saluerait leur union : l'Erudite de Tanihis et le Puissant des Profondeurs rassembleraient forces célestes et souterraines pour protéger Xilbor !
Il se leva pour surveiller les activités de ses subordonnés. Il vit avec plaisir que les dragons s'étaient installés dans les grottes de leurs prédécesseurs. Ils ne tarderaient pas à muer, pour arborer de noires écailles, signes de leur croissance. Les Champions avaient établi leur campement près de l'académie militaire. Les Sylvaniens s'essayaient à d'étranges cultures sur les champignons, tandis que les Gargouilles d'obsidienne entraînaient déjà les harpies naissantes. Ahrin descendit la haute spirale d'escaliers qui le mena dans la cour. Les troglodytes s'affairaient à réparer les dégâts des murailles et les méduses avaient ordre de ne pas quitter leurs tours. Ahrin se sentait décidément à son aise dans ce Donjon. L'académie militaire lui avait déjà enseigné de nombreuses connaissances tactiques (qui seraient très utiles pour les futurs combats) ; même ses dispositions à la magie semblaient avoir doublé, à cause probablement des souffles mystérieux qui traversaient ces cavernes. Il décida de se rendre à la Guilde pour parfaire son savoir.
Mais il en ressortit hors de lui. Ces damnés magiciens, que leur orgueil méprisant les étouffe ! Ahrin s'était retenu de frapper le gardien de la Guilde qui tenait à ne lui confier que l'habituel bout de chandelle ridicule pour visiter les deux étages. Cet incapable pouvait remercier l'Interdit Universel, qui défendait à quiconque de faire preuve de violence dans une Guilde. Ahrin dut se plier au rituel et il enrageait car il n'avait trouvé quasiment que des sorts déjà inscrits sur son livre ! Il mit quelque temps à se calmer, et finit par regretter sa colère. Il ne comprit surtout pas comment elle avait pu surgir si soudainement. Il n'avait jamais vraiment apprécié tout ce qui se rapportait à la magie, mais sans en venir à un tel état. D'ailleurs, Telit ne cessait de se moquer de lui dès qu'il en était question, lui claironnant qu'il n'était qu'un petit soldat. Ahrin finissait toujours par rire avec elle, emporté par sa gaieté rayonnante. Il en venait même à provoquer ces éclats de rire pour le seul plaisir de l'instant. Ahrin avait hâte de la retrouver. Mais plus encore, il voulait la savoir vivante, avant tout.
Le nouveau seigneur du Donjon ne voulut pas partir en laissant la place sans véritable défense. Les Nécromans, qui avaient commis cette erreur, pouvaient revenir à tout moment. Ahrin attendit donc que la population du Donjon augmente avant de se résoudre à en confier la garde à un officier de confiance. Mais Tanihis était si proche qu'il serait rapidement de retour - que les Puissances invisibles l'entendent ! Il sauverait Telit et lui demanderait de revenir avec lui. Si la belle indépendante résistait, il saurait la convaincre en jouant sur son désir effréné de connaissances et de pouvoirs : le Donjon recelait le plus grand des trésors, à savoir le cercle des vents d'enchantement qui augmente l'aptitude à la magie (le fameux "Mana Vortex" dont parlent les grimoires des Iliens).
Ahrin ne semblait pas douter, par contre, de sa victoire sur les forces nécromanciennes qu'il risquait de rencontrer au siège de Tanihis. Il faut avouer que son armée était terrifiante. Si la garnison du Donjon y restait pour la plupart, la prise des Nids des dragons avait considérablement accru leur nombre. Le trésor des dragons avait permis d'en réveiller une bonne dizaine. En outre, le séjour souterrain avait laissé le temps suffisant pour réunir les diverses bandes de nomades qui exploraient les galeries de Laanden. L'armée des sables s'était rassemblée, sans affaiblir cette fois-ci le trésor de guerre. Longtemps les parois des cavernes résonnèrent de la marche de l'armée conquérante. Toujours à ses côtés, le chef nomade conseillait Ahrin sur la route à suivre dans le labyrinthe obscur. Leur chemin était pénible, car il montait presqu'autant qu'il avançait, pour parvenir à la montagne de Tanihis.
Ahrin refusa poliment l'offre d'une bande de centaures qui erraient dans les souterrains. Ils se proposaient de soutenir la quête d'un capitaine à l'allure aussi fière, mais ce dernier, dans un sourire ironique caché derrière son Casque Noir, leur répondit ne pas vouloir les entraîner dans une bataille sans importance pour une race si légendaire. Il ne voulait surtout pas, en son for intérieur, se priver de l'une de ses sept armées pour s'embarrasser de si faibles combattants. En effet, tout héros, quelle que soit son appartenance, était tenu de respecter rigoureusement la Loi d'Erathia, interdisant à quiconque de mener une armée supérieure au nombre des jours de la semaine. Ahrin n'allait tout de même pas renvoyer ses Champions pour leur laisser la place !
Le trajet se poursuivait sans réel danger. Seules quelques créatures eurent l'occasion d'apprendre qui était le nouveau maître des lieux. Mais, à mesure qu'il gagnait en altitude, Ahrin sentait la douleur de sa main se réveiller. Elle était restée le plus souvent simplement engourdie au Donjon ; elle brûlait sombrement en s'approchant de la lumière. Déjà discernait-on un faible changement de lueur : les champignons étaient moins phosphorescents et une lueur insensible flottait vers l'extrémité de la galerie.
Ahrin comprit que sa main blessée révélait comme une prémonition lorsque les nomades (qui avaient remplacé dans le rôle d'éclaireurs les Griffons, moins habitués aux profondeurs de la terre) revinrent alarmés : une immense armée Nécromancienne occupait la sortie du souterrain. Ahrin vit ici l'occasion de bénéficier de l'effet de surprise. Il balaya d'un geste impatient de la main les avis du chef nomade qui lui conseillait un léger détour pour prendre une autre galerie vers une autre sortie. Ahrin voulait au contraire arriver le plus près possible de la cité de Tanihis, et cette sortie débouchait sous la crête menant au sanctuaire. Il n'y avait pas plus proche !
Le combattant s'adressa solennellement à ses armées : "Fiers guerriers de Xilbor, vous voici parvenus à l'aube de votre plus grand exploit ! Sur les flancs de la montagne grouillent les bêtes immondes de l'au-delà, ces créatures déjà mortes vomies par le Royaume Désolé pour souiller à jamais les terres de vos ancêtres. Vous êtes le dernier glaive pour trancher à la racine cette invasion. Grâce à votre sacrifice, Tanihis sera sauvée de la ruine et de la corruption. Les érudits et les mages de cette illustre Cité abandonneront leur orgueil habituel pour chanter les louanges de leurs glorieux libérateurs !". Peu d'hommes rassemblés à sa suite entendirent distinctement ces paroles, mais tous furent frappés par l'intensité de sa voix qui semblait faire frémir la montagne elle-même. On raconte que même les défenseurs restés au Donjon furent saisis par les échos grondeurs de ces mots enflammés.
Ils avaient dû traverser également les roches de la montagne car ce fut une armée parfaitement ordonnée qui attendit cruellement l'apparition de l'auteur d'une telle menace. Le souterrain surgissait désormais au milieu d'une clairière de squelettes, aussi nombreux que les arbres des pentes boisées sur les autres versants. Leurs sabres reflétaient faiblement la mortelle lumière émanants des sceptres des Grandes Liches, prêts à projeter leurs nuées empoisonnées. Les Dragons Fantômes, postés sur les hauteurs rocheuses, n'échappèrent pas à la vigilance d'Ahrin. Un nuage de chauves-souris Vampires annonçait les pires horreurs à venir. S'avancèrent lentement, ombres innombrables parmi les silhouettes desséchées des squelettes, les sinistres lambeaux enveloppant les spectres affamés d'énergie vitale. Le paysage, jadis empli de la sérénité des monts éternels, s'était recouvert des grises brumes d'un cimetière hostile.
Au centre de cette assemblée de morts vivants se tenait leur seigneur, un Chevalier de la Mort, aux insignes sanglants de Général de Leetaax. Sa garde rapprochée était formée de Chevaliers de l'Effroi, et, fait plus étrange, de Scorpicores (recrutées certainement lors d'une précédente visite souterraine). L'étendue de cette armée était telle qu'aucune issue n'était possible, à moins de reculer vers les cavernes. Ses solides connaissances en tactique permirent à Ahrin de disposer au plus vite ses forces et de s'avancer légèrement à découvert.
Les arbalétriers, abrités derrière une ligne rocheuse centrale, seraient couverts par les Sylvaniens. Ahrin prévoyait que les Seigneurs Vampires ne tarderaient pas à attaquer ses tireurs, malhabiles en corps à corps, pour se saisir de leurs âmes et neutraliser leurs tirs aguerris. Il déploya donc vers un surplomb les Gargouilles d'obsidienne, animées d'une haine mortelle envers ces créatures sanguinaires. L'aile droite, en amont, sera constituée des vaillants Champions : ordre leur était donné de se ruer sur les Grandes Liches au plus vite. A leur suite, le peuple des nomades agrandirait la voie en taillant les haies de squelettes. Aux Griffons Royaux la plus lourde des tâches : harceler Chevaliers de l'Effroi et Scorpicores dans tous leurs mouvements. Ils devaient tenir le temps nécessaire aux Dragons Noirs de repousser à jamais les Dragons Fantômes.
Cette organisation tactique s'élabora clairement dans l'esprit d'Ahrin, malgré le retour envahissant des ombres sifflantes, telles des revenants engouffrés dans son âme. La montagne se taisait, comme pour conserver le dernier souffle de paix avant les fracas de la guerre.
Les Dragons Noirs prirent leur envol, signe implicite du début de la bataille. Ils rejoignirent aisément les Dragons Fantômes, dont les corps subtils demeuraient vulnérables aux flammes. Le hurlement terrifiant des Dragons Noirs crachant leur feu envahit le massif entier qui répercuta longtemps les roulements de l'assaut. Mais les airs ne furent pas purifiés de ces Fantômes. Leur apparence translucide avait caché leur véritable nombre. Tendu, Ahrin observa ces créatures se regrouper pour riposter : les Dragons au vol blanchâtre dessinèrent une étrange courbe claire dans le ciel pour revenir sur les Dragons Noirs. Il serra les dents en repensant aux enseignements de Telit : les Dragons Fantômes, monstres gigantesques de l'au-delà, ont le pouvoir d'accélérer le vieillissement de leurs adversaires. Mais - était-ce dû à la jeunesse de ses recrues ou à une protection inconnue ? -, le nuage noir de ses Dragons supporta sans peine la tempête du nuage spectral. Le combat engagé dans les airs allait maintenant s'ouvrir sur terre.
Déjà les Champions poussaient leurs chevaux pour renverser, comme prévu, le cercle empuanti des Grandes Liches. Ahrin avait levé les bras en signe de bénédiction, et les cieux les avaient couronnés de leur protection. La vitesse de leur charge leur suffit pour lacérer, en peu de mouvements de lance, les manteaux d'acier des hideuses silhouettes. La violence de l'assaut fit trembler les forces des ténèbres : jamais on n'avait vu armée de Champions si déterminée ! Cette bataille verrait leurs hauts faits et la vaillance de la cavalerie de Xilbor serait crainte de tous.
Pleinement conscient de l'enjeu décisif de cet ultime affrontement, Ahrin attribuait l'état second dans lequel il se trouvait à l'intensité de la concentration et de l'énergie dépensée. Son esprit environné de brumes obscures se déplaçait comme un point flamboyant d'un endroit de la mêlée à un autre. Il lui semblait avoir quitté son corps pour contempler le spectacle meurtrier. Seuls quelques élancements dans son bras blessé le ramenaient au lieu présent. Tout se déroulait selon ses plans, les armées imposantes de son ennemi seraient renversées sans trop de pertes.
Hélas, le Chevalier de la Mort s'était rendu compte que les Dragons Noirs domineraient bientôt les airs s'il continuait à leur opposer les Dragons Fantômes. Il intima l'ordre à ces derniers de ravager la ligne défensive des arbalétriers qui périrent presque tous, l'âme et le corps déchirés de terreur. Les Scorpicores les suivirent pour transpercer les survivants. Ainsi disparurent les arbalétriers d'Edric, qui ne purent chercher à venger leurs anciens compagnons avant de les rejoindre. Les Griffons royaux, dont beaucoup avaient également fait partie de l'armée d'Edric, s'étaient tenus en vol d'observation jusqu'alors. Ils virèrent en direction de la garde rapprochée du Général ennemi, résolus à infliger de lourdes représailles. Mais ils avaient sous-estimé la stature des Chevaliers de l'Effroi. Les sinistres sabres géants fendirent des dizaines de paires d'ailes. Ils semblaient ne jamais s'arrêter, fauchant sans cesse les animaux légendaires. L'air lui-même saignait de ces crimes.
Ahrin, craignant un nouveau massacre, garda les Gargouilles d'obsidienne en réserve. Elles grondèrent de haine en voyant au loin les Seigneurs Vampires harceler les malheureux Champions privés de secours. La meute des buveurs de sang était si vive que les lances restaient inutiles, toute riposte était vaine. Ahrin découvrit effaré l'ampleur des puissances de l'au-delà. Il discerna trop tard, dans son esprit infecté, les ténèbres terrifiantes qui émanaient de l'ennemi. Les guerriers du Royaume Désolé se servaient avant tout des propres peurs de leurs adversaires. Et le peuple des nomades, qui n'avait pas toujours accueilli avec entrain les décisions d'Ahrin, fut paralysé par les flots de la mort qui se dressait devant eux. Les Champions ne virent donc pas arriver en soutien les cavaliers du désert.
S'avancèrent alors les spectres, avec une cruelle lenteur. Les Champions leur apparaissaient désormais comme des victimes offertes en sacrifice aux affamés de l'au-delà. Des mains décharnées et griffues écartèrent les vieux lambeaux, vestiges de leur linceul, pour s'élever doucement vers les veines pleines de vie. Ils sifflaient une mélodie morbide en encerclant progressivement les fidèles d'Ahrin. Leurs danses, maintes fois exécutées, creusaient des sillons mystérieux qui les nourrissaient à mesure que leurs victimes perdaient des forces. Ahrin lui-même, comme fasciné par cette ronde, sentait sa concentration s'amenuiser.
Bien que maintenues dans un détestable corps à corps, les Grandes Liches survivantes exhalèrent leurs gaz mortels sur leurs anciens assaillants. A travers les grilles de leurs heaumes, ces derniers aperçurent les étendues de squelettes en marche qui surgissaient des nappes de brumes empoisonnées. Chacun tenait tête pourtant à des dizaines de squelettes, mais ces masques de mort revenaient toujours plus nombreux. A ce spectacle, les Sylvaniens, compagnons de la première heure, perdirent espoir et ne purent combattre. Trop désireux de dépasser leur lenteur naturelle pour voler au secours de leurs amis, ils se raidirent d'effroi. Mais, plus que quiconque, Ahrin pressentait le destin inéluctable de ses compagnons. Ils n'étaient plus que sept. Et la situation était d'autant plus cruelle que les Dragons Noirs, seule force susceptible de les sauver, devaient avant tout éliminer les Dragons Fantômes.
Les sommets virent donc une nouvelle fois les géants reptiliens partir à la poursuite de leurs fantômes. Etrange combat que ces ombres noires affrontant leurs doubles blafards. Une nouvelle fois également, les premiers eurent l'avantage sur les seconds. Mais cette fois-ci, l'attaque avait été si violente qu'il ne restait presque plus de Dragons Fantômes, du moins pas assez pour représenter une véritable menace sur la suite du combat. Ils n'étaient plus que quatre pour fondre sur les nomades, qui ripostèrent avec ardeur. Les cavaliers du désert se sentaient coupables de leur peur déraisonnée et voulaient se rattraper.
Mais le mal était fait, même si les Champions savaient que les renforts n'auraient pas suffi à les sauver. Les fiers combattants décidèrent donc de se sacrifier pour attirer vers eux les forces des ténèbres, libérant alors l'espace pour leurs successeurs. On vit leurs sept lances se toucher en un ultime adieu, puis se tourner en autant de rayons vers les ombres de l'au-delà. Leur cri de guerre retentit, unanime. En quelques foulées, ils exterminèrent les dernières Grandes Liches, obéissant en cela aux ordres de leur capitaine. Leur mission était même plus que remplie, car ils provoquaient un déséquilibre dans les rangs ennemis concentrés autour d'eux. Les sept derniers Champions ne purent résister à la fureur des Chevaliers d'Effroi, et périrent sous les sabres glacés. Ivre de chagrin, Ahrin ne percevait même plus le vacarme de la bataille. Il flottait dans un brouillard vertigineux. Il n'avait plus qu'une conscience ponctuelle : il en était réduit à suivre les événements un par un, comme si les instants étaient disjoints.
La chute des Champions libéra les Sylvaniens de leur paralysie désespérée, et des larmes de sève coulaient de leurs yeux d'or. Elles n'avaient pas encore atteint les racines que les dernières Scorpicores inondèrent de leur sang les terres alentour. La mort des arbalétriers était vengée, celle des Champions ne pouvait tarder à l'être !
Les Griffons royaux, bien que plus faibles, firent preuve de courage pour éparpiller le nuage de Vampires. Mais le Général Nécroman leva la main, et lança un sort sur ses créatures, qui attisa leur soif sanguinaire. Elles dévorèrent bon nombre de Griffons. Ce surcroit de vitalité réanima plusieurs de ces chauves-souris maléfiques, anéantissant presque les dommages reçus. Elles grimacèrent un sourire en constatant que les Gargouilles d'obsidienne perdaient toute énergie pour le combat, rongées de leurs angoisses de pierre.
Le champ de bataille, en pleine tempête, voyait sombrer les guerriers de toute part. Tandis que la cavalerie nomade écrasait les deux Dragons Fantômes survivants, les spectres emportaient les âmes des Griffons avec eux. Ainsi disparurent presqu'en même temps deux troupes qui avaient fait le renom de leur armée respective ! Nul ne sait si leur combat se poursuivit sur les chemins d'éternité. Les Sylvaniens, animés d'une Hâte suscitée par Ahrin, se rapprochèrent du cœur du conflit, à la rencontre de la forêt de squelettes. On verrait si les os résistaient au bois... Les Dragons Noirs descendirent enfin vers les Chevaliers d'Effroi, si meurtriers. La puissance de leurs flammes fut phénoménale et atteignit même les Seigneurs Vampires. Pour la première fois peut-être, le Général de Leetaax s'agita frénétiquement pour réunir ses forces. Son destin vacillait à son tour.
On raconte qu'il y eut des affrontements terribles entre les belligérants, car aucune troupe ne perdait vraiment pied. Longtemps, les armes se choquèrent, les chairs s'ouvrirent et le sang coula, sans que l'on vît une armée prendre le pas sur l'autre. Les Seigneurs Vampires régnaient en maîtres sur le terrain : ils revenaient presque aussi nombreux après chaque attaque, malgré les Gargouilles dont l'énergie vitale ne pouvait être dérobée. Mais à chacun de leur passage, les Dragons Noirs embrasaient les morts-vivants, jusqu'à ce que le dernier groupe de Vampires disparaisse. Les spectres et les squelettes avaient déjà retrouvé les tombes qu'ils n'auraient pas dû quitter, lorsque les Sylvaniens broyèrent les Chevaliers d'Effroi, dans leurs racines sans pitié.
Les vents des sommets eurent fort à faire pour dégager les lourdes fumées du champ de bataille. Les pentes ne retrouveraient pas de sitôt leur aspect d'antan. Tout était noirci et brisé. De profondes crevasses entaillaient les roches, comme si la montagne elle-même avait subi la haine des guerriers. A mesure que l'air s'éclaircissait, les vainqueurs scrutaient le moindre espace, pour prévenir tout sursaut de l'ennemi. Mais le Général du Royaume Désolé s'était évanoui, laissant pour seul vestige des armes d'exception.
Ahrin retrouva un semblant d'ordre dans ses pensées. Il se releva dans sa selle et regarda autour de lui. Il avait donc triomphé des forces de Leetaax. Tanihis était sauvée. Il avait hâte de rassembler les survivants de son armée pour gagner la Cité qui s'abritait sur le versant opposé. Mais son armée ressortait de ce combat très affaiblie. Toutes les troupes issues des Châteaux étaient tuées, ainsi que les Gargouilles d'obsidienne. Le peuple des nomades était réduit de moitié. Par contre, la célèbre résistance des Sylvaniens s'était vérifiée de nouveau, car peu d'entre eux étaient tombés. Quant aux Dragons Noirs, l'essentiel de leur force était toujours disponible : les affrontements n'en avaient abattus que trois. Ahrin reprit la route, menant une fois de plus une armée étrange. Il aurait décidément l'habitude d'entrer en triomphe dans les Cités de Xilbor à la tête de créatures très variées. Ils prirent rapidement la route de Tanihis. Ils reviendraient bientôt sur le champ de bataille pour offrir une scépulture plus décente à leurs vaillants alliés, mais il fallait rassurer au plus tôt les maîtres du sanctuaire.
A peine eurent-ils franchi la crête et découvert la fière Cité que les hautes portes s'ouvrirent tandis que le pont-levis s'abaissait lentement. Ahrin sourit involontairement : son esprit avait beau s'agiter d'une multitude d'idées sombres, il aspirait à la vertu de Tanihis. Tant de doutes y trouveraient leurs réponses, tant d'inquiétudes y seraient apaisées. Où était Telit la belle ? Une angoisse indescriptible l'envahit alors : son exploit suffirait-il à gagner le fier cœur de l'Erudite ?
Mais ce sentiment insoutenable disparut dès qu'Ahrin reconnut entre les portes le Heaume de Licorne que Telit portait dans les grands événements. Elle vivait et elle l'aimait ! Sa quête était atteinte ! Ses espoirs les plus fous étaient comblés et ses rêveries de bonheur prenaient forme : sept Archanges entouraient Telit, dévoués à son service. Ahrin y vit le symbole des sept derniers Champions, comme s'ils avaient tenu à lui envoyer des messagers célestes en récompense. Les êtres divins irradiaient d'une grâce majestueuse et redoutable. Les légendes n'avaient pas menti : leur splendeur était inégalable. Comme les douleurs passées et présentes se révélaient bien faibles au regard de l'honneur d'un tel accueil !
Emporté par tant d'émerveillement, Ahrin n'aperçut pas tout de suite le déploiement belliqueux des Archanges. C'est le grondement furieux de ses Dragons Noirs qui réveilla son attention. Il ne s'agissait pas d'un cortège de louanges mais d'une révoltante et incompréhensible attaque ! En un geste fulgurant, Telit cingla le ciel d'azur d'un éclair apocalyptique qui embrasa les Sylvaniens : ce fut comme une antique forêt détruite par un caprice divin. Déjà les Archanges étaient sur eux. Terrassé d'une fièvre noire, Ahrin hurla sa colère et sa douleur, que les Dragons Noirs reçurent comme un cri de guerre. Leur envolée fut sans appel : l'incendie qui rongeait les restes des Sylvaniens fut englouti par les torrents de feu jaillissant des monstres noirs.
En une succession d'éclairs foudroyants, dans l'orage de son âme, Ahrin entrevit les clefs du mystère : emportée par son désir de connaissance, Telit était donc devenue folle d'orgueil ! La magie l'avait perdue, mettant en péril la survie de Xilbor ! Dieu sait par quel funeste sortilège elle avait réussi à corrompre des Archanges ! Des lambeaux d'énigmes s'assemblaient d'eux-mêmes : les Nécromans avaient pu envahir la région grâce à la protection et la traîtrise de Tanihis, aux mains de Telit l'Erudite. Et l'Amulette que détenait le Tueur d'Edric n'avait pas été dérobée à Telit ; c'est elle qui l'avait confiée à son serviteur. Qu'il avait été aveugle et fou d'imaginer l'amour de Telit. Elle avait le cœur aussi creux que les montagnes de Laanden ! Seule lui importait la puissance des savoirs anciens.
Le temps pour Ahrin d'abandonner ses rêves illusoires, et la réalité se transforma en cauchemar. Les nomades, loin de leurs sables brûlants, arrosaient une terre impie de leur sang chaud comme le désert. La fine silhouette de la Guerrière Erudite dessinait des formes inconnues dans l'air pour tenter de soutenir par ses invocations les Archanges en perdition. Les Dragons Noirs, insensibles à la magie, restaient hors d'atteinte de son pouvoir. Bien qu'amoindris, ils effacèrent en un ultime souffle rauque toute trace des Archanges et de leur Dame, la belle Telit emportée par la folie.
Ahrin, Chevalier du Seigneur Layboor, entra dans la Cité de Tanihis, victorieux mais détruit. Il avait achevé sa mission, il avait aussi perdu toute joie de vivre. La ville était vide de tout autre défenseur, à croire que les maléfices de Telit avaient dévasté l'antique sanctuaire. Le Roi serait heureux : on avait évité le pire. Si Telit avait pu réunir une armée d'Archanges corrompus, elle aurait renversé le règne des Manfred. Elle aurait même pu prétendre détrôner Leetaax lui-même et s'emparer du Royaume Désolé.
Il fallait donc rétablir au plus vite l'union avec les puissances célestes, de peur que les Dieux ne se détournent à jamais des Terres Hautes de Xilbor, irrités de la corruption de leurs Archanges. Arrivé devant l'Arche céleste qui permet d'invoquer les puissances supérieures, le Chevalier au cœur sombre se laissa glisser au bas de son cheval. Il présenta les offrandes rituelles, assisté par un groupe de prêtres tremblants, et prononça les paroles d'imploration. Il avait à peine fini qu'un immense éclat de rire sardonique retentit en une boule de feu. La terre s'ouvrit pour mettre au monde Diables et Archidiables. Tanihis ruisselait de sang.
L'un des Dragons Noirs, vétéran de la quête de Tanihis, rapporta un jour aux Elfes du Vent le dialogue entre le Prince des Archidiables et le Héros Déchu. - Tu m'as bien servi, cher Ahrin, ricana le Prince en faisant signe à ce dernier d'approcher.

- Je... je ne comprends pas, balbutia le Chevalier. Comment avez-vous pu venir ? Les Archidiables ne peuvent être invoqués que par les forces noires.

- Mais tu fais partie des nôtres, cher Ahrin. Ne t'es-tu pas étonné de voir la douce Telit fondre sur toi avec fureur ? Non, elle n'était pas folle. Cette garce nous avait même fait perdre tout espoir en invoquant ces misérables Archanges. Heureusement que tu es venu, mon fidèle...

- Cessez vos mensonges ! hurla Ahrin. J'appartiens aux Terres Hautes de Xilbor !

- Regarde ton étendard, au lieu de m'assourdir. Cet étendard que tu n'as plus brandi depuis longtemps et que tu gardais derrière toi. Je n'y vois pas les pâles couleurs de Xilbor, mais la puissance d'un magnifique rouge sombre ! C'est cet étendard que Telit a voulu éloigner de Tanihis...

- Quel est ce sortilège ?! Qu'est devenue ma bannière ? Comment Telit n'a-t-elle pu me reconnaître ?

- Cela fait maintenant quelque temps que tu nous as rejoints, cher Ahrin, fit le Prince en un sinistre sourire. Rappelle-toi l'idole de la forêt de Devongh, rappelle-toi l'obscurité qui t'a alors envahi et la brûlure de ta main. C'est ton être tout entier qui s'enflammait pour notre cause ! Cela ne t'a pas surpris de ne pas être poursuivi par les Dragons de Laanden ? Mais, pauvre ignorant, ils écoutaient nos ordres de te laisser en vie. Tu n'as pu vaincre quelques armées Nécromanciennes que pour mieux venir à Tanihis ! Il fallait toute ta science de la persuasion pour rallier tant de créatures, sans que personne ne se doute de nos vastes projets, à commencer par toi ! Tu as été le jouet de tes propres illusions. - Alors Telit...

- Telit était notre pire ennemie, coupa sèchement le Prince. Nous avions besoin de toute ton ardeur pour venir jusqu'à elle et la détruire. Sans toi et ton armée de Dragons Noirs, le passage de Tanihis nous serait resté interdit, car sa magie était trop grande.

- Mais alors comment avez-vous réussi à dérober son Amulette, que j'ai retrouvée sur le corps du Tueur d'Edric ?

- Le Nécromancien l'avait lui-même prise à Edric. La belle Telit l'avait donnée à son amant...

Fangorn

 

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